Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Fournier Edouard
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Название: Le roman bourgeois: Ouvrage comique

Автор: Fournier Edouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de toutes ces belles qualités; mais elle ne vouloit point engager son cœur qu'en establissant sa fortune. Le marquis fut donc obligé de luy faire plus de promesses qu'il ne luy en vouloit tenir, quelque honneste homme qu'il fust: car qu'est-ce que ne promet point un amant quand il est bien touché? Et qu'y a-t-il dont ne se dispense un gentil-homme quand il est question de se deshonorer par une indigne alliance? Il avoit commencé d'acquerir l'estime de Lucrece en faisant grande dépense pour elle; il luy laissa mesme gagner quelque argent, en faisant voir neantmoins qu'il ne perdoit pas par sottise, ni faute de sçavoir le jeu. Apres, il s'accoustuma à luy faire des presens en forme, qu'elle reçut volontiers, quoy qu'elle eust assez de cœur; mais elle estoit obligée d'en user ainsi, car elle avoit moins de bien que de vanité. Elle vouloit paroistre, et ne le pouvoit faire qu'aux dépens de ses amis. Les cadeaux n'estoient pas non plus épargnez; les promenades à Saint-Clou, à Meudon et à Vaugirard, estoient fort frequentes33, qui sont les grands chemins par où l'honneur bourgeois va droit à Versailles34, comme parlent les bonnes gens. Toutes ces choses neantmoins ne concluoient rien; Lucrece ne donnoit encore que de petites douceurs qu'il falloit que le marquis prist pour argent comptant. Il fut donc enfin contraint, vaincu de sa passion, de luy faire une promesse de l'épouser, signée de sa main et écrite de son sang, pour la rendre plus authentique. C'est là une puissante mine pour renverser l'honneur d'une pauvre fille, et il n'y a guere de place qui ne se rende si-tost qu'on la fait jouer. Lucrece ne s'en deffendit pas mieux qu'une autre; elle ne feignit point de donner son cœur au marquis et de lui vouer une amour et une foy réciproque. Ils vécurent depuis en parfaite intelligence, sans avoir pourtant le dernier engagement. Ils se flattèrent tous deux de la plus douce esperance du monde: le marquis de l'esperance de posseder sa maîtresse, et Lucrece de l'esperance d'estre marquise. Mais ce n'estoit pas le compte de cet amant impatient; sa passion estoit trop forte pour attendre plus longtemps les dernieres faveurs.

      D'ailleurs il y avoit un obstacle invincible à l'exécution de sa promesse de mariage, supposé qu'il eust eu dessein de l'exécuter. Il estoit encore mineur, et il avoit une mère et un oncle qui possedoient de grands biens, sur lesquels toute la grandeur de sa maison estoit fondée. L'un et l'autre n'y auraient jamais donné leur consentement; au contraire, il estoit en danger d'estre désherité ou mesme de voir casser son mariage s'il eust esté fait. Il redoubla donc son empressement aupres de Lucrece, et il trouva enfin une occasion favorable dans une de ces mal-heureuses promenades qu'ils faisoient souvent ensemble.

      Ce n'est pas que Lucrece n'y allast tousjours avec sa tante et quelques autres filles du voisinage accompagnées de leurs meres; mais ces bonnes dames croyoient que leurs filles estoient en seureté pourveu qu'elles fussent sorties du logis avec elles, et qu'elles y revinssent en même temps. Il y en a plusieurs attrapées à ce piege; car, comme la campagne donne quelque espece de liberté, à cause que les témoins et les espions y sont moins frequens et qu'il y a plus d'espace pour s'écarter, il s'y rencontre souvent une occasion de faire succomber une maîtresse, et c'est proprement l'heure du berger35. D'ailleurs, les gens de cour ne meurent pas de faim faute de demander leurs necessitez; ils prennent des avantages sur une bourgeoise coquette qu'ils n'oseroient pas prendre sur une personne de condition, dont ils respecteroient la qualité. Enfin, notre assiegeant somma tant de fois la place de se rendre et il la serra de si près qu'il la prit un jour au dépourveu et éloignée de tout secours, car la tante estoit alors en affaire, et occuppée à une importante partie de triquetrac qu'elle faillit gagner à bredoüille.

      Lucrece se rendit donc; je suis fâché de le dire, mais il est vray. Je voudrois seulement pour son honneur sçavoir les parolles pathetiques que luy dit son amant passionné pour la toucher. Elles furent plus heureuses que toutes les autres qu'il luy avoit dites jusques-là. Je croy qu'il luy fit bien valoir le saffran qu'il avoit sur le visage; car, en effet, il estoit devenu tout jaune de soucy. Je croy aussi qu'il tira un poignard de sa poche pour se percer le cœur en sa presence, puisque son amour ne l'avoit pû encore faire mourir. Il ne manqua pas non plus de la faire ressouvenir de la promesse de mariage qu'il luy avoit donnée, et de luy faire là dessus plusieurs sermens pour la confirmer. Mais, par malheur, on ne sçait rien de tout cela, parce que la chose se passa en secret; ce qui serviroit pourtant beaucoup pour la décharge de cette demoiselle. Seulement il faut croire qu'il y fit de grands efforts; car, en effet, Lucrece estoit une fille d'honneur et de vertu, et elle le monstra bien, ayant esté fort longtemps à tenir bon, bien que, de la maniere dont elle avoit esté élevée, ce dust estre une bicoque à estre emportée facilement. Quoy qu'il en soit, elle songea plustost à establir sa fortune qu'à contenter son amour. Elle ne crut pas pouvoir mener d'abord le marquis chez un notaire ou devant un curé, qui auroient esté peut-estre des causeurs capables de divulguer l'affaire et de donner occasion aux parens de son amant de la rompre. Elle crut qu'il falloit qu'il y eust quelque engagement precedent, et elle ayma mieux hazarder quelque chose du sien que de manquer une occasion d'estre grande dame. Ce n'est point la faute de Lucrece si le marquis n'a point tenu sa parolle, qu'elle avoit ouy dire inviolable chez les gentils-hommes. Et certes, il y en a beaucoup qui ne se mocqueront pas d'elle, parce qu'elles y ont esté aussi attrapées. Leur amour dura encore longtemps avec plus de familiarité qu'auparavant, sans qu'il y arrivast rien de memorable; car il n'y eust point de rival qui contestast au marquis la place qu'il avoit gagnée, ou qui envoyast à sa maistresse de fausses lettres. Il n'y eut point de portrait, ny de monstre, ny de bracelet de cheveux qui fust pris ou égaré, ou qui eust passé en d'autres mains, point d'absence ny de fausse nouvelle de mort ou de changement d'amour, point de rivale jalouse qui fist faire quelque fausse vision ou équivoque, qui sont toutes les choses necessaires et les matériaux les plus communs pour bastir des intrigues de romans, inventions qu'on a mises en tant de formes et qu'on a repetassées si souvent qu'elles sont toutes usées.

      Je ne puis donc raconter autre chose de cette histoire; car toutes les particularitez que j'en pourrois sçavoir, si j'en estois curieux, ce seroit d'apprendre combien un tel jour on a mangé de dindons à Saint-Cloud chez la Durier36, combien de plats de petits pois ou de fraises on a consommés au logis de petit Maure à Vaugirard, parce qu'on pourroit encore trouver les parties de ces collations chez les hostes où elles ont esté faites, quoy qu'elles ayent esté acquitées peu de tems apres par le marquis, qui payoit si bien que cela faisoit tort à la noblesse. Ils furent mesme si discrets qu'on ne s'avisa point qu'il y eust plus de privauté qu'auparavant, et cela n'empescha pas qu'il n'y eust plusieurs personnes du second ordre qui entretinssent Lucrece et qui en fissent les amoureux et les passionnez. Mais c'estoit toûjours avec quelque espece de respect pour le marquis, et sous son bon plaisir. Ils prenoient leur avantage quand il n'y estoit pas, et ils luy cedoient la place quand il arrivoit; car chacun sait que ces nobles sont un peu redoutables aux bourgeois, et par conséquent nuisent beaucoup aux filles, à cause qu'ils écartent les bons partis.

      Lucrece avoit accoustumé son amant à souffrir qu'elle entretinst, comme elle avoit toujours fait, tous ceux qui viendroient chez elle. Particulierement depuis sa faute, que le remords de sa conscience luy faisoit encore plus publique qu'elle n'estoit, elle les traita encore plus favorablement. Peut-estre aussi que par adresse elle en usoit de la sorte; car, quoiqu'elle se flattast toujours de l'esperance d'estre Madame la marquise, neantmoins comme la chose n'estoit pas faite et qu'il n'y a rien de si asseuré qui ne puisse manquer, elle estoit bien aise d'avoir encore quelques autres personnes en main pour s'en servir en cas de necessité. Outre qu'il est fort naturel aux coquettes d'aymer à se faire dire des douceurs par toutes sortes de gens, quoiqu'elles n'ayent pour eux ny amour ny estime.

      Parmy ce corps de reserve de galands assez nombreux se trouva Nicodeme, qui estoit un grand diseur de fleurettes, et, comme j'ay dit, un amoureux universel. Il s'engagea si avant dans cette amour, qu'un jour, apres avoir prosné sa passion avec les plus belles Marguerites françoises37 qu'il pust trouver, Lucrece, pour s'en défaire, dit qu'elle n'adjoustoit point de foy à ses parolles, et qu'elle en voudroit voir de plus puissans témoignages. Il luy respondit serieusement qu'il luy en donneroit de telle nature qu'elle voudroit; elle luy repliqua qu'elle se СКАЧАТЬ



<p>33</p>

C'est là qu'on faisoit alors les fines parties, et Furetière est loin d'avoir tort dans ce qu'il ajoute sur les risques qu'y couroit «l'honneur bourgeois». Ailleurs il en avoit parlé, et sur le même ton (V. le Voyage de Mercure, liv. 4, Paris, 1653, in-4. p. 88) – Sarrazin, dans la lettre qui sert de préface à son Ode à Calliope, dit aussi, par allusion au scandale de ces gaités-champêtres: «Si je devine bien, le mot d'aventure et le lieu de Saint-Clou (sic) vous feront d'abord songer à quelque chose d'étrange, et vous ne tarderez guère à scandaliser votre bonne amie et votre très humble serviteur.» Un amant ne pardonnoit pas à sa maîtresse de faire sans lui une promenade à Saint-Cloud:

Je ne saurois vous pardonner

Le regal qu'à Saint-Cloud Paul vient de vous donner;

C'est le plus dégoûtant de tous les esprits fades.

Vous aimez trop les promenades,

Iris: allez vous promener.

(Poésies de Charleval, Amst., 1759, in-12, p. 52, épigr. 37.)

<p>34</p>

«Aller à Versailles, être renversé.» Ant. Oudin, Curiositez françoises, Paris, 1640, in-12. p. 569.

<p>35</p>

Nous ne nous arrêterions pas sur cette expression, devenue très commune, si elle n'avoit été, du temps de Furetière, fort à la mode et de bon ton, à ce point qu'on fit, en manière de définition galante, un petit traité de l'Heure du Berger, qui se trouve dans le Recueil de pièces en prose les plus agréables du temps, etc., Paris, 1671, quatrième partie, p. 72-75.

<p>36</p>

C'étoit, sous Louis XIII, la plus fameuse cabaretière des environs de Paris. On trouve dans Tallemant (édit. in-12, t. 9, p. 223-226) une longue et curieuse historiette sur elle, sur son vaste cabaret de Saint-Cloud, sur les longs crédits qu'elle faisoit à la noblesse, etc. Il y est aussi parlé de ses amours avec Saint-Preuil, et de la belle conduite qu'elle tint quand, aux instigations du duc de la Meilleraye, ce gouverneur d'Arras fut jugé et décapité à Amiens. «Elle reçut sa tête dans un tablier, dit Tallemant, et lui fit faire un magnifique service à ses dépens.» Dans les notes curieuses qu'il a données sur ce passage des Historiettes, M. Monmarqué omet de dire qu'en décembre 1803, lors des fouilles qu'on fit dans l'enclos des Feuillans d'Amiens, on a eu la preuve des soins pieux que prit la Durier pour l'inhumation de Saint-Preuil; on retrouva le corps et la tête embaumés. Le détail de cette découverte et du bruit qu'elle fit à Amiens se lit tout entier au t. 2, p. 198-199, des Essais historiques sur Paris, publiés en 1812, in-12, par le neveu de Saint-Foix, pour faire suite à ceux publiés par son oncle. – Quelques auteurs du temps ont aussi parlé de la Durier, entre autres Sarrazin, qui, dans la préface de son Ode à Calliope, se fait dire par sa muse: «Je quitteray pour vous la table des dieux si vous quittez pour moi celle de la Durier.» (Les Œuvres de M. Sarrazin, etc., Paris, 1696, in-8, p. 283.)

<p>37</p>

Il est fait allusion ici au livre de François Desrues: Les Marguerites françoises, ou fleurs de bien dire, contenant plusieurs belles et rares sentences morales recueillies des meilleurs auteurs, et mises en ordre alphabètique. Rouen, Behourt, 1625, in-12. Cette édition, décrite par Brunet, Manuel, II, 65, n'est pas la plus ancienne de ce recueil, qui s'appeloit auparavant: Fleurs de bien dire, recueillies des cabinets des plus rares esprits de ce temps, pour exprimer les passions amoureuses de l'un comme de l'autre sexe, etc. Il y en a sous ce titre une édition de 1598, Paris, Guillemot, pet. in-12.