La Liberté et le Déterminisme. Fouillée Alfred
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Название: La Liberté et le Déterminisme

Автор: Fouillée Alfred

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ que, si une chose est tout ce qu'elle peut être, c'est tantôt par puissance, tantôt par impuissance; or, dans le premier cas, il reste à savoir si sa puissance est bonne et bienfaisante; dans le second, l'impuissance de cette chose à être meilleure que ce qu'elle est, au moment où elle l'est, n'implique pas qu'elle soit la meilleure absolument. Il peut y avoir des choses meilleures qu'elles dans un autre genre; il peut y en avoir de meilleures dans le même genre. Enfin, elle-même peut être meilleure à un autre moment; elle peut l'avoir été dans le passé, elle peut l'être dans l'avenir. Bien plus, cette amélioration future résultera souvent de ce qu'un être, tout en étant ce qu'il peut au moment actuel, s'aperçoit qu'il n'est pas ce que sa pensée conçoit de plus parfait. Quand il se compare avec un idéal, bien qu'il ne soit pas et ne puisse pas être conforme à cet idéal au moment même de la comparaison, il ne s'en juge pas moins imparfait par rapport à lui. Si de plus il conçoit un perfectionnement comme possible dans l'avenir, quoique impossible dans le moment même, dira-t-on qu'il perd son temps à concevoir un idéal chimérique? Quand j'éprouve une douleur dont je conçois le remède, ce remède n'est pas possible dans le moment même, car il serait contradictoire de dire qu'au même instant je sois malade et guéri; en résulte-t-il que je conçoive et désire en vain la guérison future? Nous nous retrouvons ici en présence de l'argument paresseux, qui est le fond caché de tant d'objections aux déterministes. Si de plus l'idée même du progrès contribue à le rendre possible, si l'idée de la délivrance contribue à délivrer, si l'idée de liberté sert à susciter un pouvoir qui nous améliore, l'introduction de cette idée dans le déterminisme même le rapprochera encore de la doctrine contraire.

      Le spinozisme, appliqué à l'histoire, doit être jugé d'après les principes précédents. Éliminez tout panthéisme, et ne conservez que le déterminisme; telle chose, dites-vous, ne pouvait arriver autrement. – Soit; elle n'est pas pour cela bonne en elle-même; de plus, elle aurait pu arriver autrement si telle condition eût été changée. – Hypothèse sans valeur, puisqu'en fait elle ne s'est pas réalisée. – Sans valeur pour le passé, oui; pour l'avenir, c'est une autre question. Le déterministe ne récriminera pas sur le passé, assurément; nos ancêtres ont fait ce qu'ils ont pu et su faire; qu'ils reposent en paix: nos plaintes ne changeraient rien à ce qui n'est plus. Mais nous, les vivants, la nécessité même nous a amenés à concevoir et à désirer un idéal meilleur; et si cette idée-force est assez claire, si ce désir est assez dominant, nous nous rapprocherons nécessairement de l'objet conçu et désiré. N'avons nous pas toujours le droit de formuler en ces termes la comparaison du réel avec l'idéal: «Relativement au bien idéal, il n'est pas bon que nous soyons ce que nous sommes, et il est bon que nous soyons autrement?» Qu'on ne s'étonne donc plus de voir Spinoza tracer des règles de conduite: ces règles sont des descriptions de l'idéal qui s'adressent à l'intelligence; si ces descriptions sont assez claires et assez belles pour nous émouvoir, nous serons portés nécessairement dans la direction que Spinoza nous indique. Un sage voit et suit nécessairement le meilleur chemin, il nous le montre nécessairement, nous le voyons nécessairement à notre tour et nous le suivons nécessairement; cet inévitable adverbe ne nous empêche pas de déclarer qu'il est bon de voir, de suivre et de montrer aux autres le bon chemin.

      On le voit, le déterminisme n'exclut pas la notion de progrès; seulement le progrès y est conçu sous l'idée de nécessité, au lieu d'être conçu sous l'idée de liberté. Si on entend par science morale la science des conditions nécessaires du progrès pour l'individu et la société, on comprendra que Spinoza ait pu écrire une morale, une éthique.

      Est-ce à dire que la morale ne soit en rien modifiée? Nous ne le prétendons pas. Tout ce que nous avons le droit de conclure en ce moment, c'est que la négation de notre libre arbitre ne supprime pas l'idée d'un «bien en soi,» ni d'un bien plus ou moins grand dans les choses, ni d'un bien plus ou moins grand en nous-mêmes, ni d'un agrandissement possible de ce bien sous l'influence des idées et des désirs. En un mot, il y a, dans l'hypothèse déterministe, du bien et de la perfection, il y a du perfectionnement et du progrès.

      Cette idée du bien est encore très indéterminée, vide d'un contenu précis. Une nouvelle question se présente donc: si les déterministes peuvent concevoir un bien et une perfection, terme et fin du progrès, peuvent-ils concevoir la nature ou le contenu de ce bien de la même manière que les partisans du libre arbitre?

      L'idéal épicurien, le bonheur, se conçoit indépendamment des systèmes sur la liberté; nous pouvons donc placer en premier lieu, parmi les doctrines ouvertes au déterminisme, celle d'Epicure sur le souverain bien. Les idées de perfection sensible, de désir satisfait, de joie ou de félicité, n'ont rien d'incompatible avec l'idée d'une nécessité fondamentale.

      Les déterministes peuvent aussi s'élever plus haut et placer l'idéal, non dans le bonheur personnel, mais dans le bonheur universel. C'est la doctrine adoptée par l'école anglaise. On peut être déterministe et juger que le bonheur de tous est un bien préférable en soi au bonheur individuel, et un idéal plus satisfaisant pour la raison en général. Car il ne s'agit encore, ne l'oublions pas, que du bien en soi, et non du bien pour nous; nous ne faisons qu'une spéculation désintéressée sur l'idéal, indépendamment du rapport qu'il peut avoir avec notre propre conduite.

      La notion encore vague de bonheur a besoin elle-même d'être complétée. A la perfection sensible ajoutons la perfection intellectuelle; au bonheur, la science et l'intelligence: c'est l'élément socratique et stoïque. Ici encore, rien d'incompatible avec le déterminisme.

      De même pour la puissance, si on entend par là l'absence de tout obstacle à la satisfaction de l'intelligence et du désir, à la science et au bonheur. Mais cette puissance attribuée à l'idéal du bien sera-t-elle une puissance de nécessité ou de liberté? – Il semble, au premier abord, que ceux qui admettent dans l'homme la liberté pourront seuls la transporter dans le souverain bien comme un de ses attributs les plus essentiels: ils feront ainsi consister le bien, non plus à être intelligent, heureux et puissant de n'importe quelle manière, mais à être le libre auteur de son intelligence et de sa félicité; au contraire, la perfection de puissance que les déterministes ajoutent à la perfection d'intelligence et de félicité, semble ne pouvoir être qu'une puissance nécessaire sans réelle «dignité morale;» leur idéal paraît toujours un bien neutre et impersonnel, plutôt qu'une bonté vivante et personnelle qui supposerait la volonté librement bonne; il semble qu'on mêle en vain la puissance, l'intelligence et le bonheur: ces attributs réunis ne sont pas encore la bonté.

      Cette objection suppose que la conception du souverain bien et de sa nature est toute subordonnée à celle de la nature humaine; en d'autres termes, que la notion de l'idéal et même du divin dépend entièrement de la notion du réel et de l'humain. De ce point de vue, on dit aux déterministes: «Vous ne mettez pas dans l'homme la liberté, donc vous ne devez pas la mettre dans le bien.» – Mais, pouvons-nous répondre, la conclusion n'est pas inévitable. De ce qu'on n'attribue pas à l'homme l'éternité ou l'immensité, s'ensuit-il qu'on n'ait pas le droit de l'attribuer à la perfection, idéale ou réelle? Est-il défendu de dire: l'éternité, l'immensité serait chose très belle et très bonne; par malheur, nous ne la possédons pas. Sans élever si haut notre ambition, ce serait aussi chose très belle et très utile de pouvoir parcourir dix mille lieues en une seconde; en fait, nous n'avons pas ce pouvoir. Y a-t-il des êtres qui le possèdent? Nous l'ignorons; peut-être dans quelque étoile ces êtres privilégiés existent; peut-être sur la terre même quelque découverte de la science accomplira un jour le miracle. De même, les déterministes, parce qu'ils n'admettent point en nous la liberté, ne sont pas réduits à l'exclure de partout, à tous ses degrés, sous toutes ses formes, non seulement comme réalité, mais même comme idée: ils ne perdent pas le droit de prononcer jamais ce mot. Les déterministes, il est vrai, ont eux-mêmes partagé cette erreur; c'est précisément pour la détruire que nous écrivons ce livre. Nier que la liberté existe en nous, ce n'est pas nier que l'idée de liberté existe et agisse dans notre pensée. Une telle négation est impossible; les déterministes et СКАЧАТЬ