La Liberté et le Déterminisme. Fouillée Alfred
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Название: La Liberté et le Déterminisme

Автор: Fouillée Alfred

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ devez-vous alors vous étonner que les autres suppléent à cette insuffisance par des moyens de défense, de contrainte et d'intimidation? C'est à vous qu'on s'en prendra, puisque le mal exécuté au dehors existe d'abord en vous et dans l'intimité de votre vouloir. Quand vous êtes malade, n'est-ce pas à vous qu'on administre des remèdes souvent très douloureux? Et si votre maladie est dangereuse pour les autres, le législateur va-t-il la laisser suivre son cours, surtout quand il existe des remèdes? Il y a, même en ce sens, imputabilité à l'individu. En vous punissant, d'ailleurs, mon but n'est pas réellement de vous punir, mais de vous guérir, s'il est possible, ou au moins de me défendre et de vous mettre dans l'impossibilité de nuire aux autres. J'essaie de rétablir l'ordre dans votre intelligence, dans toutes vos facultés, en vous faisant comprendre votre erreur et la laideur de votre caractère: qu'avez-vous à dire? Que vous méritez l'indulgence et la pitié? Je vous l'accorde; mais, malgré cette pitié et à cause d'elle, je m'efforce de vous guérir par la souffrance; sans compter que ma pitié à l'égard de vos semblables m'entraîne également à vous châtier, si aucun autre moyen ne réussit.

      Même au sein du déterminé, il y a une distinction possible entre ce qui est imputable en un certain sens à l'individu, conséquemment punissable, et ce qui ne lui est imputable sous aucun rapport. Platon même a su faire cette distinction. Par exemple, l'injustice et l'ignorance simple sont au fond déterminées. Mais, dans l'ignorance, le mal est extérieur pour ainsi dire à l'individu, puisqu'il est simplement l'impuissance des moyens intellectuels à atteindre leur fin; la fin est ici hors de l'esprit, et le rapport des facultés à cette fin est extrinsèque. On ne peut donc porter une correction violente dans le sein même de l'individu; ce qui ne servirait absolument à rien et n'augmenterait pas la puissance naturelle de son esprit. On guérit un boiteux et un difforme par la gymnastique, non par des corrections. L'injustice, au contraire, est pour Platon, un trouble intérieur, qui résulte d'un renversement d'ordre dans les rapports mutuels des fonctions et dans leur hiérarchie, et qui aboutit à un désordre social. Quoique cette maladie morale et sociale soit toujours déterminée et se réduise même en partie, selon Platon, à une certaine espèce d'ignorance ou d'infériorité mentale, la cause ici n'en est pas moins intrinsèque; comment donc la guérir? En agissant par la correction et la douleur sur ces facultés mêmes qui entrent en lutte. Le désir, dit Platon, contrarie l'opinion du bien, parce que le plaisir le séduit; le correcteur vous fait éprouver de la peine pour rétablir l'équilibre: dès lors la crainte de la peine compense l'amour du plaisir, et l'ordre reparaît. C'est comme une révulsion médicale. Platon vous traite par le fer et le feu, et ne recule pas devant les moyens violents pour remédier à la violence intime de la maladie; le mal artificiel guérit le mal qui s'était produit naturellement. C'est la théorie que Socrate lui-même expose dans le Gorgias, et qu'on retrouve dans la République et les Lois. Cette différence d'imputabilité entre l'ignorance et l'injustice ne les empêche pas, encore une fois, d'être toutes les deux nécessitées; seulement les causes nécessitantes sont tantôt intérieures, tantôt extérieures11.

      De plus, il y a pour le législateur et le juge une distinction capitale à faire entre les divers actes selon qu'ils ont été accomplis ou non par l'individu sous l'idée de sa liberté propre; que cette liberté soit en elle-même relative ou absolue, qu'elle se ramène à un déterminisme plus profond ou qu'elle révèle un principe plus fondamental encore que le déterminisme, toujours est-il que l'individu agit tantôt sous l'idée qu'il est relativement maître de soi, capable de résister à la passion actuelle par la réflexion sur soi, tantôt sans aucune idée de liberté et par un entraînement d'une violence aveugle. Or, ces deux cas ne peuvent être identiques pour le juge. L'un marque la possession de soi par l'intelligence, dont est inséparable, pour le déterminisme bien entendu, une certaine possession de soi effective et proportionnelle à la force même de l'idée. L'autre est un état dans lequel on ne se possède plus, dans lequel on est hors de soi. Si une action contraire à l'ordre social a été accomplie dans le premier état, c'est la preuve que ni le motif de l'ordre social ni le motif même de la liberté, conçue comme pure idée directrice, n'ont été assez forts pour contrebalancer la passion. Il importe donc au juge de fortifier 1o l'idée de l'ordre social, 2o l'idée même du pouvoir plus ou moins grand que tout être intelligent et raisonnable a sur ses passions. Il y aura alors un genre particulier de responsabilité individuelle résultant de ce que non seulement c'est l'individu qui a agi, mais encore de ce qu'il a agi sous l'idée de sa liberté et de sa responsabilité même.

      En définitive, la responsabilité sociale dans le déterminisme n'est pas morale au sens chrétien, mais intellectuelle et physique au sens grec du mot: c'est simplement le point d'application sur lequel la société doit agir pour produire l'effet qu'elle cherche. Dès que ce point d'application est dans l'individu, il y a une certaine responsabilité, encore bien plus s'il est dans l'intelligence, s'il est dans la réflexion, s'il est dans cette forme suprême de la réflexion qu'on nomme l'idée de liberté.

      Du reste, la question de la responsabilité n'est plus alors qu'une question d'efficacité relative, non de légitimité absolue. Ce n'est pas que la pénalité ne soit encore légitime dans le déterminisme; mais elle ne l'est que relativement à l'intérêt majeur de la défense sociale; et au fait, même dans les autres doctrines, la pénalité a-t-elle un autre fondement?

      Reste donc à savoir si cet intérêt majeur de la société est juste et s'il constitue un véritable droit de conservation ou de défense; car on ne peut éliminer de la pénalité cette grande idée du droit que présuppose l'ordre social. Le déterminisme et la doctrine de la liberté, d'accord sur la question des faits sociaux et sur celle des intérêts sociaux, pourront-ils s'accorder jusqu'au bout sur la question des droits sociaux? Suivons pas à pas les deux systèmes, sans rien préjuger; ne parlons pas encore de droit absolu et métaphysique, de moralité absolue et métaphysique; ne faisons usage que des éléments qui jusqu'ici ont paru communs aux deux doctrines, et cherchons s'ils pourront nous suffire dans la pratique.

      V. – Libres ou non, nous sommes des êtres intelligents, par conséquent doués d'expérience et de raison. Nous demanderons donc à nos lois et à leurs sanctions d'être non seulement efficaces, mais raisonnables: il faut que celui même qui est frappé puisse, en écoutant sa raison au lieu d'écouter sa passion, être d'accord avec la raison du juge qui le frappe. Au rapport d'inégalité entre la force et la faiblesse doit succéder ce rapport d'égalité, d'identité même, qui existe entre une raison et une autre, entre une intelligence qui convainc et une intelligence qui est convaincue. Sans cela, les lois des êtres intelligents seraient en tout semblables aux lois des êtres matériels ou des brutes, chez qui ne règne d'autre droit que le droit du plus fort.

      Quelle est donc la raison valable et suffisante qui doit faire accepter à tout être intelligent les lois sociales avec leurs sanctions, et qui peut appuyer l'action physique sur une conviction intellectuelle?

      Les motifs d'intérêt, général ou particulier, n'impliquent nullement l'idée de liberté; les déterministes peuvent donc faire d'abord appel à ces motifs pour montrer que les lois, réellement efficaces, sont rationnellement intelligibles. «Le principe général auquel toutes les règles de la pratique devraient être conformes, dit Stuart Mill12, le critérium par lequel elles devraient être éprouvées, c'est ce qui tend à procurer le bonheur du genre humain, ou plutôt de tous les êtres sensibles; en d'autres termes, promouvoir le bonheur est le principe fondamental de la téléologie.» Nous ne sommes point encore obligés d'accorder que le bonheur universel soit, à tous les points de vue et pour l'individu même, la fin suprême et le souverain désirable. Mais ce qu'on ne saurait refuser aux déterministes, c'est que le bonheur du genre humain est une chose réellement désirée et rationnellement désirable, au moins pour le genre humain lui-même, considéré par opposition à l'individu. En fait, les hommes, quand ils se conçoivent comme membres d'une société et non comme individus, voient dans le bonheur social une fin désirable et la désirent effectivement. Supposons que les automates spirituels СКАЧАТЬ



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Pourquoi, demande Victor Cousin, ne punissons-nous pas aussi bien ceux qui agissent sans connaissance de cause, que ceux qui savent ce qu'ils font? – Remarquons-le d'abord, l'ignorance n'est pas toujours une excuse aux yeux de nos juges; par exemple, l'ignorance de la loi n'est prise que pour une circonstance atténuante: on veut par là exciter les citoyens à se tenir au courant de ce qui les concerne. Quant à cette ignorance complète qui consiste à ne pas même savoir ce qu'on fait, à agir sans aucune connaissance de cause, elle enlève en effet la responsabilité légale, pour le déterministe comme pour le partisan de la liberté. Punir un homme pour un acte accompli dans de telles conditions, serait perdre son temps et ressembler à l'enfant qui bat la porte où il s'est heurté; ce serait en outre choquer et corrompre la raison publique, en ne distinguant point un dommage inconscient et passager d'un dommage prémédité et tendant à se reproduire, un accident sans portée d'une maladie ou perversion qui atteint le fond même du caractère. Non que la préméditation du mal implique la liberté pour le déterministe; loin de là, c'est une servitude, et une servitude bien plus dangereuse pour autrui que celle de l'ignorance pure et simple; mais le danger même appelle ici des précautions appropriées. Pour des raisons semblables, la folie se distingue de l'injustice et doit être traitée autrement par le législateur. Les châtiments ne serviraient à rien pour un fou, et ne l'empêcheraient pas de retourner à sa manie; encore se sert-on de corrections envers les fous comme envers les animaux. – Au contraire, pour cet autre genre de désordre dans les penchants, qui pousse au meurtre ou au vol, la punition peut être efficace: on peut corriger l'individu, soit en l'intimidant, soit, ce qui vaudrait mieux encore, en l'instruisant quand cela est possible. La peine est en même temps un moyen d'intimidation pour les autres hommes. L'emploi de la force matérielle et de la persuasion intellectuelle comme moyens répressifs, et la diffusion de l'instruction dans toutes les classes de la société comme moyen préventif, sont donc rationnels dans l'hypothèse du déterminisme non moins que dans celle de la liberté; ici encore la conciliation est possible.

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Logique, II, 559.