La Liberté et le Déterminisme. Fouillée Alfred
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Название: La Liberté et le Déterminisme

Автор: Fouillée Alfred

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ jusqu'à engager non seulement sa liberté, mais celle de ses enfants et des enfants de ses enfants, au service d'une dynastie. Pour nous, nous demandons la stabilité des contrats et des institutions à la nature même des choses et à la force des idées vraies, non aux résolutions toujours révocables du libre arbitre. Persuadez-moi en m'éclairant et en me donnant des idées justes, ce sera le meilleur moyen de m'enchaîner pour l'avenir. La science est immuable comme son objet, le vrai et le bien; c'est sur elle que nous fondons l'éternité de nos promesses et de nos engagements. Chercher un point d'appui ailleurs que dans les choses éternelles et dans la pensée qui les conçoit, c'est mettre sa confiance dans ce qui ne la mérite pas.

      – Vous semblez confondre deux choses: le sujet qui pense et l'objet pensé. Rien ne m'assure que la constance qui est dans la vérité se trouvera aussi dans votre pensée: car celle-ci est livrée à toutes les nécessités, conséquemment à tous les hasards des influences extérieures ou intérieures; elle ne sait pas si elle restera toujours la même à travers le temps et l'espace; au contraire, ma volonté, si elle est libre, peut le savoir. Quand je m'engage envers vous par une promesse, je m'engage aussi envers moi-même, et je me promets à moi comme à vous de rester le même pendant tout l'intervalle de temps qui séparera la promesse faite de la promesse accomplie. Ce temps, ma volonté le domine; elle le tient sous sa puissance, avec toute la série des phénomènes qui peuvent y trouver place. Quels que soient les événements qui suivront ma promesse, quelque nombreux et divers qu'ils soient, cette série intermédiaire d'antécédents ou de conséquents ne comptera pour rien; ma promesse sera l'antécédent immédiat et unique de sa réalisation: la même volonté qui l'a faite, l'exécutera. La liberté, idéale ou réelle, est donc la puissance de vouloir une même chose à des intervalles plus ou moins éloignés. Dès l'instant présent elle se fixe à elle-même une limite ou un but dans le temps encore à venir; puis, demeurant identique pendant tout l'intervalle, elle manifeste cette identité à chacun des points intermédiaires, en résistant à toutes les causes qui tendraient à la faire dévier, en demeurant indifférente à tout ce qui n'est pas l'action promise. Par l'élan qu'elle s'est ainsi imprimé et dont elle mesure intérieurement l'énergie, elle sait qu'elle atteindra le but sans que rien l'en détourne. Si vous rejetez avec raison la liberté d'indifférence, vous sera-t-il aussi facile de méconnaître cette liberté vraie qui se ferait à elle-même sa nécessité et qui, après s'être donné un ordre, y obéirait partout, toujours? «Ne va pas au sénat,» dit Vespasien à Helvidius Priscus; et ce dernier répond: «Tant que je serai sénateur, il faut que je me rende aux délibérations. – Vas-y, mais n'y dis mot. – Ne me demande pas mon avis, et je me tairai. – Il faut que je te le demande. – Et moi, il faut que je te dise ce qui paraît juste. – Mais si tu parles, je te ferai périr. – Quand donc t'ai-je dit que je fusse immortel7Il le faut, dit Helvidius; mais il devrait dire: il le faut, parce que je le veux librement.

      – Ou plutôt parce que je le comprends, répliqueront les déterministes. Nous ne nions pas, en effet, comme vous nous en accusez, la distinction du sujet et de l'objet, de l'intelligence humaine et de l'immuable vérité; mais nous croyons que la vérité et la justice peuvent susciter dans la pensée qui les conçoit une puissance analogue à elles-mêmes et dont la durée, proportionnée à leur évidence, subsiste malgré tous les obstacles extérieurs. Notre automate est un théorème vivant, et ce théorème est une idée vivante; n'assimilez pas le mécanisme ou dynamisme de la nature, si complexe dans ses causes et plus encore dans ses effets, aux ouvrages grossiers et fragiles de l'art humain. Si nos microscopes étaient aussi puissants à pénétrer les délicatesses du cerveau humain que nos télescopes à sonder les profondeurs du ciel, qui sait si nous ne découvririons pas entre les mouvements astronomiques et les mouvements de la pensée une merveilleuse analogie? Peut-être notre cerveau est-il un firmament. Les étoiles qui sont au-dessus de nos têtes nous envoient, des extrémités du ciel, une traînée lumineuse qui nous révèle leur présence; depuis combien de temps ce rayon tremblant, qui semble toujours prêt à s'éteindre, est-il en marche à travers l'infini? Les siècles passent, et le foyer même dont il est parti peut s'obscurcir; lui, il continue de vibrer avec une vitesse dont nul obstacle ne peut arrêter l'élan. Et vous voudriez que les plus lumineuses de nos idées, celle de la justice, celle de la vérité, fussent impuissantes à persévérer dans une tête humaine pendant la vie entière? De même que le rayon de l'étoile semble s'être promis de traverser l'immensité et en effet la traverse, ainsi le sage se promet à lui-même de traverser en droite ligne, dans son élan vers le bien, l'espace entier de la vie et, s'il le fallait, l'éternité. Aurez-vous moins de confiance dans cet invisible élan de la pensée que dans le mouvement de la lumière visible? Les grandes idées sont des centres immuables d'attraction autour desquels gravitent toutes nos autres pensées et tous nos actes. La seule différence entre les divers individus est que, chez les uns, c'est encore un chaos où la lumière est diffuse, où les mouvements semblent déréglés; chez d'autres, malgré des perturbations passagères, c'est un petit monde où règnent déjà, comme dans le grand, un ordre et une harmonie qui eussent charmé Pythagore. Cette harmonie durable, dont l'homme juste a le sentiment et le spectacle intérieur, ira se communiquant d'une intelligence à une autre, comme d'une sphère plus éclairée à une région plus obscure, jusqu'à ce que tout resplendisse enfin des mêmes clartés.

      – Je veux bien que ma tête soit un firmament, pourvu que vous reconnaissiez le libre esprit qui anime et agite la masse de ces mondes, et qui y réalise les prodiges d'une mécanique plus céleste que celle même du ciel. Mais, si vous refusez de reconnaître ce foyer inépuisable de la volonté consciente et toujours sûre d'elle-même, vous finissez par placer en dehors de nous, quoi que vous puissiez dire, la dernière garantie des contrats ou des promesses; et quelque probabilité que vous laissiez à ces contrats, vous ne leur laisserez pas une certitude absolue. Dans l'hypothèse de la liberté, il est vrai, nous ne sommes pas certains que le contractant accomplira effectivement le contrat: mais, s'il ne l'accomplit point, nous ne dirons pas comme vous qu'il n'a pas pu, nous dirons qu'il n'a pas voulu. D'après vous, le moyen indispensable peut manquer à l'agent; selon nous, ce moyen ne manque jamais parce qu'il ne fait qu'un avec l'agent lui-même. Supposez toutes les autres conditions changées, il y en a une qui, selon nous, ne peut l'être; et cette condition suffisante par elle seule, c'est la puissance de vouloir encore ce qu'on a une fois voulu et promis.

      – Eussiez-vous raison dans la théorie, il ne s'agit maintenant que de la pratique. Or, à ce point de vue, nous finissons par admettre tous les deux un moment où la série des faits à venir devient douteuse. Pour vous, la libre puissance de vouloir se bifurque bientôt, et vous n'êtes plus certains de la voie que prendra la volonté; vous avez seulement des probabilités considérables. Mais ces probabilités subsistent également dans notre déterminisme, et c'est d'après elles que se guide la pratique, non d'après la nature absolue de la volonté. Qu'on place le point d'interrogation devant le pouvoir ou devant le vouloir, les autres éléments de la question demeurent pratiquement analogues. Il faut toujours faire un acte de confiance en soi ou en autrui; vous avez confiance dans la volonté, et moi dans l'intelligence; pour vous comme pour moi, cette confiance vient en définitive de ce que nous avons le sentiment d'une puissance acquise, d'une habitude contractée, d'un développement accompli et comme d'une vitesse durable. —

      En dernière analyse, les deux doctrines adverses constatent également dans l'homme une puissance consciente de soi, mais l'expriment de deux façons opposées. D'après les partisans de la liberté, puissance exempte de contrainte, nous aurions directement conscience de ce que nous pouvons, par exemple tenir une promesse; d'après les partisans de la nécessité ou de la contrainte subie, nous aurions plutôt conscience de ce que nous ne pouvons pas faire, par exemple manquer à cette promesse. Il est certain que nous pouvons parfaitement avoir conscience ou connaissance de notre caractère et des incompatibilités qui s'y rapportent: je sais, par exemple, que je ne suis pas capable d'un meurtre, d'un vol de grand chemin, etc. Je puis savoir de même qu'un parjure est incompatible avec ma constitution mentale, mon éducation, mon milieu social, etc. Malgré la différence de forme entre les СКАЧАТЬ



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Arrien, Dissertations, II, 19.