L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès. Berthier Ferdinand
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СКАЧАТЬ par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi, de l'Espérance et de la Charité chrétienne.

      Le 1er août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le cœur le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable (Mme Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur une recommandation de Mme Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de l'Épée47 dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-Antoine, chargée de la salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite, cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux sœurs ses aînées, lui et une sœur plus jeune; qu'il y a dans la maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien, son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle.

      D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie royale sous le titre de Note intéressante. En voici la teneur, portant en marge qu'on tient ces renseignements de l'abbé de l'Épée, instituteur gratuit des sourds-muets:

DU PREMIER MARS 1776NOTE INTÉRESSANTE

      «Le 2 septembre 177348, on a trouvé sur le grand chemin de Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et muet49, âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté pour servir selon ses forces dans une des salles.

      »Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par signes d'une manière assez sensible pour faire entendre:

      «1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée;

      «2º Que son père, qui était boiteux, est mort;

      «3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois filles et lui;

      «4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que lui-même y a toujours été servi;

      «5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver, et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver;

      «6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un cavalier;

      «7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le menait;

      «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.

      «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état et ses biens.

      «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte intéressante, sera récompensé par une gratification.»

«A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»

      Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique: «Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.

      Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau, maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères d'infortune.

      Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois, à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.

      L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.

      «La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa sœur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»

      Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.

      XIII

      L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la Providence – Menaces dont il est l'objet. – L'autorité le protége. – Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. – Voyage du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis, sa ville natale. – Nouvelles reconnaissances. – Joseph se rappelle une cicatrice de son père. – Il est reconnu par son grand-père, mais sa sœur hésite d'abord. – Une démarche auprès du duc de Penthièvre. – Elle réussit. – Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar. – Le paiement en est СКАЧАТЬ



<p>47</p>

Il était alors âgé de soixante-quatre ans.

<p>48</p>

La date du 1er août n'a été connue de l'auteur de la note que depuis les informations faites par ordre du ministère.

<p>49</p>

Voyez à la note J la différence entre les mots sourd-et-muet et sourd-muet.