Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,
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Название: Les français au pôle Nord

Автор: Boussenard Louis,

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ pauvre diable, fou de terreur, claquant des dents, à la pensée du danger auquel il a miraculeusement échappé, raconte son histoire.

      Oh! très sommairement. Car, en sa qualité d'Esquimau pur sang, de nomade errant sur le désert de glace, il possède un vocabulaire des plus restreints. Une centaine de mots anglais ou danois, accrochés de bric et de broc, en fréquentant les baleiniers.

      Quelques matelots de la Gallia sont eux-mêmes nantis d'un nombre égal d'expressions groenlandaises.

      Avec beaucoup de gestes et pas mal de bonne volonté, on finit par s'entendre.

      L'homme était le chef d'un petit clan anéanti l'année précédente par la variole. Ainsi réduit à une épouvantable solitude, il avait hiverné sur la côte, dans une hutte de neige. Manquant de provisions, réduit à manger ses chiens, il cherchait à rallier Upernavik, au moment où la goélette franchissant la baie de Melville se trouvait arrêtée par les glaces.

      L'apparition du navire modifia aussitôt ses intentions. Le prenant pour un baleinier, il résolut de venir offrir au capitaine ses services, ou tout au moins de lui demander assistance. Il se mit en marche sur le floe, mais, tout en cheminant, fut éventé de loin par une famille d'ours blancs qui lui donnèrent la chasse.

      Telle fut à peu près la substance du récit, nécessairement fort incomplet, que fit à ses sauveurs le Groenlandais Oûgiouk, c'est-à-dire le Grand-Phoque, dont le nom revint à satiété, pendant la narration.

      Il termina en disant qu'il avait faim, qu'il avait soif, et ne savait que devenir. Les capitaines blancs en général étant des pères pour les Esquimaux, le capitaine de la goélette était son père, à lui, Oûgiouk. Il ne pouvait, par conséquent, le laisser dans la détresse. Bref un petit boniment point maladroit, et rendu intéressant par la bonne figure sympathique et la situation cruelle du postulant.

      Bien que d'Ambrieux eût résolu en principe de n'adjoindre à son œuvre que des éléments exclusivement français, l'humanité lui faisait un devoir de garder à bord le Grand-Phoque. Impossible, en effet, de le rapatrier, puisque le temps manquait. Impossible également de le renvoyer à Upernavik avec un traîneau, des vivres et des chiens, le nombre de ces auxiliaires à quatre pattes étant à peine suffisant.

      Donc, Oûgiouk restera sur la goélette en qualité de passager.

      Enfin rassuré sur les éventualités du lendemain, se croyant matelot pour tout de bon, passablement excité par une rasade copieuse qui l'a fortement allumé en éteignant sa soif, le Grand-Phoque devient étonnamment prolixe. Il baragouine, interpelle un à un les marins, veut savoir leur nom, court visiter les chiens et les fait aboyer avec fureur, en leur jetant des syllabes gutturales, et finalement revient près des trois ours.

      Cet amas de chair fraîche l'attire, le fascine d'autant plus qu'il est à jeun, et que les provisions de la cambuse ne paraissent pas l'allécher outre mesure.

      Ses petits yeux bridés scintillent comme des diamants noirs, sa bouche palissadée de défenses à rendre jaloux un morse, s'entre-bâille jusqu'à ses oreilles, et ses joues, de la nuance d'une vieille casserole graisseuse, se gonflent comme deux outres, quand l'hiatus qui sépare le nez du menton se ferme, dans le mouvement rythmique d'une mastication imaginaire.

      Dumas s'est emparé de l'ourse, et armé du grand couteau professionnel, détache par principes la peau du colosse.

      Mais les principes du maître-coq ne sont pas ceux de l'homme des glaces qui proteste avec véhémence, et finalement enlève des mains de son sauveur le vaste tranche-lard.

      Avec une adresse merveilleuse et une célérité inouïe, ma foi, ce petit homme rabougri, tontonnant, remuant, bavard, coupe, rogne, dissèque, écorche, décolle, arrache, tant et si bien, que l'animal est déshabillé en un tour de main.

      A présent, la curée.

      C'est plus curieux encore. Un seul coup suffit à ouvrir l'abdomen et à faire surgir de la cavité béante, un véritable monceau d'entrailles fumantes.

      Oûgiouk saisit le foie, crache dessus et le lance par-dessus bord au grand scandale du cuisinier.

      «Laissez-le faire, interrompt le docteur.

      «Il a parfaitement raison, car le foie de l'ours est très malsain.

      «On peut même être empoisonné si on a l'imprudence d'en manger.

      «Je profite de l'occasion pour vous recommander de vous en abstenir en toute circonstance, comme aussi du foie de phoque.»

      Les viscères de l'ours sont absolument vides. Preuve que depuis longtemps l'animal était soumis à un jeûne rigoureux.

      La constatation de ce fait amène un vaste rire sur la face camuse du Groenlandais. Sans perdre un moment, il tranche au niveau de l'orifice inférieur l'intestin, encore tout chaud, l'introduit dans sa bouche, et absorbe avec d'intraduisibles mouvements de tête et de cou.

      La bouche est pleine et les bajoues gonflées comme celles d'un singe dévalisant un verger.

      Ne pouvant plus, sous peine d'asphyxie, introduire un atome de substance, Oûgiouk, d'un second coup de tranche-lard, abat, au ras de ses lèvres, le bout de boyau, fait un violent effort de déglutition, et le paquet franchissant l'isthme du gosier, tombe dans les profondeurs insondables d'un estomac polaire.

      Puis il recommence, avec ce mouvement de va-et-vient familier aux canards, entonne une bouchée dont le volume ferait reculer un chien d'équarrisseur, bleuit quand la masse filandreuse pénètre dans le pharynx… et continue de plus belle.

      Tant et si bien que la tripaille entière, l'estomac compris, y passa sans encombre. En tout, une dizaine de kilogrammes.

      Souriant, heureux, épanoui, le brave Esquimau se frotte avec une béatitude comique le ventre, puis, se ravisant tout à coup, semble se dire:

      «Mais il y a encore de la place.

      «De quoi loger un dessert, une friandise, un rien.»

      L'épine dorsale de l'ourse est capitonnée, au niveau des reins, d'une couche de graisse jaune qui tire l'œil d'Oûgiouk.

      «Allons! les dernières bouchées, les meilleures, celles qui font la joie du gastronome, celles qu'on absorbe pour le divin plaisir de la gourmandise.»

      Et le Grand-Phoque arrache une pleine poignée de graisse encore tiède, emplit sa bouche, écouvillonne la charge avec ses doigts, et finit, après un tassement laborieux, par introduire jusqu'aux derniers vestiges.

      Les matelots témoins de ce festin qui eût fait frémir le bon Gargantua, le grand amateur de tripes, sont littéralement confondus, sauf les baleiniers, depuis longtemps édifiés sur les capacités d'une panse groenlandaise.

      Plume-au-Vent et Dumas n'en peuvent croire leurs yeux.

      Le cuisinier, pendant cet engloutissement qui n'a pas duré plus de cinq minutes, est passé par les phases de la surprise, de l'étonnement, puis de la stupeur.

      On l'entend murmurer:

      «C'est pas un hôme… c'est un puits… un gouffre… un abîme…

      – N'est-ce pas, hein! Dumas.

      «Je ne connais, moi, que mon fourneau de chauffe pour être aussi СКАЧАТЬ