Название: Les français au pôle Nord
Автор: Boussenard Louis,
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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«Bâbord!.. tribord!.. la barre droite!»
Et le capitaine répète, d'une voix brève, les commandements au timonier, attentif au moindre mot.
«Tribord! capitaine… tribord toute!» hurle bientôt le pilote des glaces.
– Pourquoi? demande l'officier.
– Les floes sont en mouvement… ils chassent l'un sur l'autre… le chenal se resserre… il va être trop étroit.
«Il faut virer sur place.
– Virer!.. mais tu vois bien que nous manquons d'espace.
– Alors, machine en arrière!
– Jamais!
«La barre qui bouche le chenal… quelle largeur?
– Une encâblure.
– Et après?
– Les eaux libres.
– Va bien!
«Timonier, attention!
«Gouverne droit!
«Machine en avant!.. à toute vapeur!»
Soudain, la Gallia pousse un long halètement, et l'hélice tourne avec rage dans le chenal empli de houle.
Elle court de plus en plus rapide, son éperon hors de l'eau, comme si elle cherchait de loin la place où elle va se ruer.
Chacun s'accroche où il peut, en prévision du choc, et se demande avec angoisse quelle va être l'issue de cette lutte inégale.
Bientôt l'obstacle apparaît, fermant la passe qui n'est plus qu'un cul-de-sac.
Quelques secondes encore… les secondes angoissées pendant lesquelles on se sent rouler au bord d'un abîme, puis un heurt brutal accompagné d'un craquement terrible.
Le taille-mer en acier pénètre dans l'écorce rigide, l'éclate, la broie, l'entame en forme de coin, la désarticule…
La force intelligente va-t-elle triompher d'emblée de la matière inerte?
Peut-être! Mais, à coup sûr, pas sans une lutte émouvante.
Brusquement arrêté dans sa course vertigineuse, le vaillant navire, qui paraît n'être pas seulement ébranlé, glisse par l'avant sur le floe, comme pour s'y échouer. Mais la glace, incapable de supporter un pareil poids, fléchit, s'effondre et passe, de bout en bout, par fragments sous la quille.
«En arrière!» crie le capitaine.
La Gallia recule de trois cent cinquante à quatre cents mètres, prend du champ et se rue de nouveau sur la barricade.
Le taille-mer pénètre exactement au point qu'il vient d'entamer, puis la force d'impulsion n'étant pas épuisée, le navire pour la seconde fois s'élance sur le floe, le fait écrouler sous sa masse, et gagne encore près de deux longueurs.
Les matelots, qui s'échauffent à cette lutte, battent des mains et trépignent d'enthousiasme. Le moins audacieux d'entre eux ne doute plus du succès.
De nouveau retentit le commandement: «En arrière!» bientôt suivi de: «Machine en avant!»
Et la Gallia qui, sous la puissante main du capitaine, semble réellement douée de pensée, court, frappe, bondit, avance, recule, attaque avec des attitudes de cétacé en fureur, souffle, rugit, et semble prise de délire à mesure que l'obstacle cède sous ses coups.
Au loin, la banquise craque et détone sourdement. Les floes voisins sont agités de trépidations qui se répercutent à la masse totale. Puis, sous les coups incessants du bélier qui martèle avec une rage toujours nouvelle cette barre en principe infranchissable, la glace désarticulée s'écarte enfin à droite et à gauche.
La voix du pilote basque, dominant du haut de la mâture le ronflement de la machine et les crépitements des glaçons en dérive, crie avec un accent de joie indicible:
«La passe est libre, capitaine!
«A tribord un peu!
«La barre droite!..
«Machine en avant!»
D'Ambrieux est vainqueur, et de haute main.
«Bravo! capitaine, dit le docteur enthousiasmé, en lâchant enfin la manœuvre à laquelle il est resté cramponné pendant la lutte.
«Si, comme je n'en doute pas, la Gallia est sans avarie, vous avez là un fin navire.
– Je vous l'affirme avant tout examen, mon cher docteur, répond l'officier dont les yeux vert de mer semblent flamboyer.
«Pas un boulon n'a sauté, pas une cheville n'a bougé, pas un cordage n'a fléchi.
«Quant à la machine, Fritz répond de tout, et je réponds de Fritz.
«Allons déjeuner.»
La cloche piquait alors neuf heures. Les deux hommes descendaient au carré où les repas de l'état-major se prenaient en commun, quand des clameurs effarées se font entendre.
A la tonalité retentissante des mots expectorés avec un accent de terroir tout particulier, on reconnaît une voix provençale, et du bon cru.
«Millé Diou dé tron dé l'air… dé tonnerre… dé cent mille milliasses dé dious!..
«Zé n'ai plus qu'à mé pendre… Zé suis fiçu… flammbé… déshônôré…
«Qu'on mé flannnque à la fôôsse aux lîîonss… qu'on mé donne la cale sèche…»
Et un grand gaillard, barbu jusqu'aux yeux, s'élance du panneau en gesticulant, menaçant d'arracher de ses doigts crispés les touffes noires qui se tordent à ses joues et à son menton.
L'irruption de cet homme hagard, tragique, affolé, dont les habits disparaissent sous un enduit poisseux d'où s'exhale une violente senteur d'ail et de barigoule, est tellement baroque dans sa dramatique exubérance, que le docteur ne peut comprimer un fou rire, et que le capitaine, malgré son habituelle gravité, partage cette hilarité.
«Eh bien! Dumas, qu'y a-t-il donc? mon garçon, dit-il au désespéré.
– Capitaine… il y a… qu'il y a que vous allez me faire flanquer aux fers.
– Il ne s'agit pas de cela, mais de déjeuner.
– Eh!.. bou Diou!.. le dézeuner… c'est zustement la çose… dont pour laquelle ze devrais me périr.
– Mais, pourquoi?
– Capitaine! il n'y a pas de dézeuner pour l'état-major!
– Bah! et qu'est-il devenu?
– La sauce, il СКАЧАТЬ