Название: Henri IV en Gascogne (1553-1589)
Автор: Charles de Batz-Trenquelléon
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
La reine de Navarre n'avait pris aucune part à la guerre de 1567-1568, quoiqu'elle en eût ressenti les contre-coups. Nous avons vu qu'elle s'en était plainte au roi. Dans ses négociations à ce sujet, elle eut à expliquer ses griefs et à défendre ses intérêts devant La Mothe-Fénelon, chargé de lui transmettre les paroles royales et de rapporter les siennes à la cour. Fénelon, qui devait s'illustrer, en 1587, par la belle défense de Sarlat contre Turenne, était un esprit généreux et modéré. Il déplorait sincèrement les nouvelles perspectives de guerre civile. « – Ce feu dévorateur,» dit-il à la reine de Navarre, «embrasera les deux royaumes.» – «Bah! Monsieur,» répliqua Henri avec l'impétuosité et le ton narquois qui accentuèrent souvent ses discours, «c'est un feu à éteindre avec un seau d'eau!» – «Eh! comment, Monseigneur?» reprit Fénelon stupéfait. – «En faisant boire ce seau au cardinal de Lorraine, jusqu'à en crever!» Ce prélat passait, en effet, pour être le plus impitoyable adversaire des huguenots et le conseiller ardent des mesures de violence.
Jeanne d'Albret, à la nouvelle de la fuite de Condé et de Coligny, avait compris que ces mesures finiraient par l'atteindre elle-même. Déjà Catherine lui avait fait redemander son fils, comme si elle eût pressenti que le jeune prince aurait bientôt à jouer un rôle personnel et prépondérant. Cette sollicitude de la reine-mère était plutôt de nature à effrayer Jeanne qu'à la rassurer. Elle répondit à ses avances d'une façon évasive, et conçut un dessein qui devait avoir sur la présente crise une redoutable influence. Elle savait que les chefs calvinistes étaient en marche vers La Rochelle; que cette ville, où l'esprit de la Réforme était vivace, leur tendait les bras et aspirait à devenir le boulevard du parti. Elle résolut de s'y transporter avec ses enfants et son trésor. L'entreprise était difficile sous les yeux de Montluc; elle semblait même téméraire, puisque, au moment où Jeanne y songeait, de nouveaux soulèvements commençaient à agiter ses Etats. Mais comment apaiser des troubles que Montluc avait peut-être reçu la mission de provoquer par-dessous main ou de favoriser, ne fût-ce que par son attitude, souvent malveillante à l'égard de la reine? Elle n'hésita pas longtemps; mais l'exécution de son projet exigeait la force ou la ruse. Une armée régulière, si elle l'eût possédée, Montluc l'aurait défaite; or, elle n'avait que des serviteurs disséminés un peu partout. Elle se confia aux uns, le plus petit nombre, pour l'escorter et pour acheminer, plus tard, les autres vers des lieux désignés; puis elle tendit à Montluc un vrai piège de femme et d'héroïne.
Jeanne et ses enfants quittent le Béarn vers la fin du mois d'août 1568, emportant avec eux tout ce que la reine put réunir d'argent, de joyaux et d'objets précieux. Arrivée à Nérac, Jeanne feint de s'occuper des préparatifs d'une grande fête à laquelle sont invités Montluc et sa famille. Elle endort à moitié la vigilance du rude capitaine, et tout à coup, le 6 septembre, elle part de Nérac avec son fils et sa fille et une escorte de cinquante gentilshommes, laissant derrière elle toute sa cour avec des instructions précises. Prévenu un peu tard, Montluc court après la reine, la manque de quatre heures à Casteljaloux, la suit, la voit, impuissant, entrer dans Bergerac, où la nouvelle lui parvient de la prise de Mazères par Caumont La Force. Chemin faisant, l'escorte de la reine est devenue une petite armée. Montluc et d'Escars, gouverneur de Périgord et de Limousin, la serrent de près, mais n'osent l'attaquer. Bien plus, Montluc, par une étrange fortune, se voit dans la nécessité de rendre, en quelque sorte, les honneurs militaires à Jeanne et aux royaux enfants. Il s'en tire en Gascon, et fait supplier la reine de s'employer à contenir les protestants, jurant, de son côté, de maintenir les catholiques dans la bonne voie. Jeanne poursuit son voyage; elle passe à Mussidan, s'arrête quelques jours à Archiac pour attendre le prince de Condé, qui avait dû forcer les portes de Cognac, et enfin elle entre dans La Rochelle, le 26 septembre, suivie de toute sa cour. Les Rochelais lui firent une réception triomphale.
Elle avait déjà écrit, de Bergerac, le 16 septembre, au roi, à la reine-mère, au duc d'Anjou, au cardinal de Bourbon, des lettres dans lesquelles elle expliquait les motifs de son voyage et de son attitude, qui était manifestement celle d'une belligérante. Le ton en était mesuré, quoique vif. A La Rochelle, exaltée par l'acte qu'elle venait d'accomplir et aussi par l'émotion de son entourage, elle rédigea un manifeste dont ses panégyristes eux-mêmes regrettent la forme violente. Elle écrivit aussi à la reine Elisabeth d'Angleterre pour lui donner des explications et lui demander son appui et ses secours. «Ce n'est point contre le ciel et contre le Roi, comme le disent nos ennemis, que la pointe de nos épées est tournée. Grâce à Dieu, nous ne sommes point criminels de lèse-majesté divine ni humaine; nous sommes fidèles à Dieu et au Roi.» Pendant ses longs démêlés avec la cour de France, et même au plus fort de ses luttes armées contre elle, le roi de Navarre tint constamment le même langage.
Au milieu des épanchements qui signalèrent la réception de la reine de Navarre à La Rochelle, on remarqua la réponse du jeune prince à la pompeuse harangue du maire, Jean de Labèze. «Je ne me suis pas tant étudié pour parler comme vous, dit-il; je ferai mieux: je sais beaucoup mieux faire que dire.» Le commandement de l'armée était dû à Henri, et Condé s'empressa de le lui remettre; mais Jeanne et son fils ne l'acceptèrent que comme un honneur, et, dans une déclaration publique, Condé fut prié par la reine de rester à la tête des troupes, «étant, elle et ses enfants, prêts à lui obéir en tout et partout». On sut gré, de toutes parts, au fils et à la mère, de ce désistement prudent et politique. Un incident caractéristique donna la mesure de la supériorité d'esprit et de l'influence de la reine de Navarre. Condé la supplia d'accepter le gouvernement civil de l'armée, tandis qu'il en assumerait le gouvernement militaire. Elle accepta cette mission bien difficile pour une femme, et y déploya ses rares qualités d'ordre, de prévoyance et de résolution. Le jeune prince de Condé devint le compagnon d'armes de Henri, que Jeanne voulut elle-même revêtir de sa première armure, à Tonnay-Charente, au milieu d'une cérémonie militaire. «Toute l'Europe a les yeux fixés sur vous, lui dit-elle: vous cessez d'être enfant. Allez, en obéissant, apprendre, sous Condé, à commander un jour.» A la veille des combats et des périls qu'on prévoyait, aucun signe de faiblesse: «Le contentement de soutenir une si belle cause, dit-elle plus tard, surmontait en moi le sexe, en lui l'âge.»
Henri eût bien voulu se jeter sans délai dans cette nouvelle existence. Fatigué de l'inaction qui lui était imposée pendant que se faisaient les préparatifs de guerre, il cherchait partout le mouvement. Il faillit trouver la mort dans une promenade en mer, où il eût péri sans la vigueur d'un marin de La Rochelle, qui le ramena au rivage. L'armée protestante, renforcée à chaque instant, bien armée et approvisionnée, grâce aux sacrifices de Jeanne d'Albret et aux secours de toute espèce qu'elle avait obtenus d'Elisabeth, devenait de jour en jour plus puissante. Ce n'était plus, à vrai dire, une armée, c'en était trois, sans compter les enfants perdus et les bandes de toute sorte. Il y avait, d'abord, la grande armée de Condé et de Coligny, puis un corps nombreux, commandé par Dandelot, frère de l'amiral, et enfin quinze ou vingt mille religionnaires, levés par Jacques de Crussol, comte d'Acier, en Dauphiné, en Provence et en Languedoc.
La cour, inquiète de cette affluence sous les drapeaux de la Réforme, s'avisa d'écrire aux gouverneurs et lieutenants-généraux que le roi n'entendait СКАЧАТЬ