Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin
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Читать онлайн книгу Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III - Bussy Roger de Rabutin страница 23

СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Mais comme le changement que le Roi faisoit souvent de maîtresse donnoit de la peine à la Société, parce qu'il falloit à chaque fois faire de nouvelles intrigues pour s'acquérir les bonnes grâces de la dame aimée116; [et cette dernière, qui craignoit aussi, de son côté, de tomber du pinacle où elle se voyoit élevée, crut que pour pouvoir s'y maintenir elle devoit s'acquérir les bonnes grâces des révérends pères Jésuites, et en particulier l'amitié du confesseur du Roi, ce qui ne fut pas fort difficile, parce que les révérends pères avoient un même désir. Il y eut pour ce sujet plusieurs assemblées des plus notables du corps au collége de Montaigu; mais enfin], ils ne trouvèrent pas de meilleur moyen pour fixer le Roi à madame de Maintenon et l'attacher entièrement à la Société que de faire trouver bon à ce grand monarque de faire avec elle un mariage de conscience, et de l'épouser secrètement de la main gauche117, puisque c'étoit la seule maîtresse qui lui étoit restée et qui apparemment lui plaisoit le plus. Cet avis ne fut pas rejeté; au contraire, il fut généralement approuvé; et comme il n'y avoit que le père La Chaise, son confesseur, qui pût disposer les affaires pour l'accomplissement de ce mariage, l'on trouva bon, avant toutes choses, de le charger d'en dire quelques mots à cette dame et de lui faire espérer cet honneur, pourvu qu'elle voulût bien se dévouer entièrement à la Société. Le père Bourdaloue (qui avoit l'avantage de lui plaire par ses prédications) fut aussi député de son côté pour faire les mêmes propositions, et il est facile de se persuader qu'elle les reçut avec une grande joie et des témoignages de reconnoissance, et avec une entière soumission; non pas, dit-elle, pour les honneurs, mais pour mettre ma conscience en repos. C'est, lui dirent les révérends Pères, le seul motif qui nous a poussés à travailler à cette grande affaire. Cette bonne dame, pénétrée de joie, baisa plusieurs fois la main du révérend Père La Chaise, qui portoit la parole, et lui dit: «Mon révérend Père, je remets entre vos mains mon corps et mon âme, aussi bien que le bonheur de ma vie. Après que leurs Révérences lui eurent donné la bénédiction et quelques instructions sur ce qu'elle devoit faire et comme elle se devoit comporter auprès du Roi, ils lui recommandèrent deux personnes et la prièrent de les recevoir à son service, ce qu'elle accepta avec empressement. Il étoit nécessaire à la Société d'avoir chez elle des personnes affidées, afin de pouvoir être informée de tout se qui se passeroit pendant qu'ils travailleroient à disposer le Roi.

      Madame de Maintenon, tout occupée de ses grandes espérances, ne manquoit pas de caresser le Roi autant qu'il étoit possible118. Elle ne lui refusoit aucun plaisir, suppléoit en tout à sa foiblesse, et tâchoit même de se rendre utile dans les incommodités dont ce prince est atteint; enfin elle sut si bien gagner le cœur de ce monarque par ses services et ses soumissions, qu'il avoit de la peine à se passer d'elle, et ne pouvoit être un jour sans la voir pour la consulter sur quelque affaire. D'autre côté, le Père La Chaise avoit déjà donné son consentement au choix que ce monarque avoit fait de madame de Maintenon, et approuvé le congé donné à la Montespan119, tâchant de persuader Sa Majesté de se tenir à ce dernier choix, parce que la pluralité étoit un beaucoup plus grand péché que non pas un attachement particulier à une seule personne; que le mariage étoit pourtant l'état le plus parfait pour une personne qui ne pouvoit demeurer dans le célibat; mais que ne le pouvant pas, pour des raisons d'Etat, il étoit nécessaire pour sa conscience de ne s'attacher qu'à une seule, ce que le Roi lui promit pour l'avenir. Le Père La Chaise, qui étoit tout à fait content de l'acquisition que la Société venoit de faire de cette dévote, ne faisoit plus de difficulté de lui communiquer tout ce qui se passoit dans cette affaire, afin qu'elle prît là-dessus ses mesures dans les conversations qu'elle avoit journellement avec le Roi.

      Mais il arriva un petit contretemps dans leur commerce galant: c'est que le Roi, qui est d'une complexion amoureuse, a de la peine à voir une belle sans concevoir d'abord de l'amour pour elle. Madame de Soubize120, qui a beaucoup de charmes et d'agréments, eut l'honneur de plaire à Sa Majesté; mais comme cette dame est d'une vertu exemplaire, et avoit reconnu depuis quelque temps, au langage muet des yeux de ce monarque, qu'il avoit pour elle plus que de l'estime, et que le Roi cherchoit des moments de lui parler en particulier, elle fit son possible pour l'éviter, jusqu'à ce que, finalement, après quelque déclaration que le Roi lui avoit faite, elle pria son époux de la mener à une de ses terres, pour y passer le reste de la belle saison et tâcher de rompre par son absence tous les desseins du Roi. Cependant ce petit commerce avec madame de Soubize avoit en quelque façon altéré la liaison qu'il avoit avec madame de Maintenon. Elle s'en aperçut d'abord, et ne manqua pas d'en avertir le Père La Chaise. Elle ne voyoit plus au Roi cette assiduité qu'elle lui avoit remarquée auparavant. Néanmoins elle n'osoit en parler au Roi, de crainte de le chagriner, ou même de le perdre entièrement, car ce prince ne veut pas être contredit dans ses volontés impérieuses.

      Madame de Maintenon, qui ne manque pas d'adresse, et qui savoit qu'autrefois elle avoit su lui plaire par le doux style de ses billets amoureux, jugea que peut-être elle pourroit encore réussir par cet endroit. Elle prit donc la résolution de lui écrire. Le Roi, qui vouloit prendre conseil d'elle sur quelque affaire, l'alla trouver dans son appartement, car il ne faisoit pas souvent de façon d'aller secrètement chez elle comme pour la surprendre. Ce monarque la trouva la plume à la main, et elle n'eut que le temps d'enfermer son papier dans sa cassette. Le Roi, qui est naturellement curieux et soupçonneux, voulut voir ce qu'elle écrivoit. Elle s'en défendit le plus qu'il lui fut possible, mais elle lui avoua enfin qu'elle écrivoit une lettre. Le Roi, la voyant ainsi embarrassée: «Est ce à quelque amant?» poursuivit-il. A ces paroles, elle rougit un peu, et sa contenance obligea le Roi à la presser davantage; et enfin, ne pouvant plus résister, elle dit qu'il étoit vrai qu'elle écrivoit à un galant, et que si Sa Majesté vouloit voir la lettre, qu'elle la lui feroit voir. «Voyons-la, dit le Roi, puisque vous me voulez bien faire confidence de vos secrets.» Madame de Maintenon, sans hésiter plus longtemps, ouvrit la cassette et donna au Roi sa lettre; mais il fut un peu surpris, d'abord qu'il eut jeté la vue sur le papier, de voir à la tête de la lettre le mot de SIRE en gros caractère. «Hélas! dit le Roi en embrassant sa belle, pourquoi faire tant de façon pour me faire voir une lettre qui m'appartient?» Elle crut que le Roi se contenteroit d'avoir vu ce mot: elle avança la main pour reprendre son papier; mais il retira la sienne, et voulut avoir le plaisir de lire le reste, dont voici le contenu:

Sire,

      Un jour d'absence de Votre Majesté m'est un siècle. Je suis persuadée que, lorsque l'on aime, on ne peut vivre tranquillement sans voir la personne aimée. Pour moi, Sire, qui fais consister tout mon bonheur et les plaisirs de ma vie à voir Votre Majesté, qu'elle juge dans quelle inquiétude et dans quelle peine je suis dès que je la perds de vue. Je puis vous assurer que votre absence me coûtera la vie; car, après les honneurs que j'ai reçus de Votre Majesté, je ne sais encore quelle sera ma destinée; mais je tremble et suis dans de continuelles émotions en écrivant ce billet à Votre Majesté, et Dieu veuille que ce ne soit pas de pressentimens de ce que j'appréhende le plus au monde! La mort me seroit mille fois plus douce et plus agréable que la nouvelle de…

      Elle en étoit là lorsque le Roi entra dans la chambre. «Je ne m'étonne pas, dit le Roi, de vous trouver dans l'embarras où je vous trouve, car il y avoit sujet de l'être. Je crois, poursuivit le Roi, que qui vous auroit tâté le pouls dans le moment que je suis entré l'auroit trouvé en grand désordre. – Je l'avoue, Sire, répondit madame de Maintenon; mais votre présence a remis le calme dans mon cœur agité.»

      Le Roi, qui est savant dans le commerce d'amour, et qui comprend d'abord le moindre mouvement que l'on y fait, connut fort bien ce que sa dame appréhendoit. Il voulut aussi avoir la bonté de la rassurer, et, en l'embrassant tendrement, jura qu'il ne l'abandonneroit jamais, et qu'il espéroit même qu'elle pourroit lui être plus utile à l'avenir qu'elle n'avoit été jusques alors; et en effet, l'on a vu qu'elle a toujours préférablement à tous autres assisté СКАЧАТЬ



<p>116</p>

Le passage compris entre ces deux crochets a été intercalé plus haut dans la première édition, et on l'a déjà vu en note.

<p>117</p>

«Le Roi l'épousa, dit Saint-Simon, au milieu de l'hiver qui suivit la mort de la Reine (morte en 1683).» – «La satiété des noces, toujours si fatale, continue le même écrivain, et des noces de cette espèce, ne fit que confirmer la faveur de madame de Maintenon. Bientôt après, elle éclata par l'appartement qui lui fut donné à Versailles, au haut du grand escalier, vis-à-vis de celui du Roi, et de plain-pied.» Notons que madame de Maintenon, de trois ans plus âgée que le Roi, avoit alors de quarante-huit à quarante-neuf ans. Nous retrouvons ici le P. de La Chaise. Ce fut lui qui offrit, de la part du Roi, un mariage dont madame de Maintenon garda le secret plus fidèlement que le Roi lui-même.

<p>118</p>

M. Walckenaer s'explique en termes naïvement chastes sur les relations de Louis XIV et de madame de Maintenon. Nous donnons son texte, en renvoyant aux notes où il cite ses autorités: «Elle étoit du nombre de celles qui, très sensibles aux caresses que les femmes aiment à se prodiguer entre elles (je comprends peu) en témoignage de leur mutuelle tendresse, et qu'avec plus de réserve elles échangent avec l'autre sexe, ont une répugnance instinctive à se soumettre à ce qu'exige d'elles l'amour conjugal pour devenir mères, moins par la persistance d'une primitive pudeur que par l'effet d'une nature qui leur a refusé ce qu'elle a accordé à tant d'autres avec trop de libéralité. Françoise d'Aubigné eut souvent besoin d'être rassurée par son confesseur sur les scrupules que lui firent naître ses complaisances aux contrariantes importunités de son royal époux, à un âge où elle ne pouvoit plus espérer d'engendrer de postérité.» Sur ce point délicat, nous aimons à nous abriter derrière M. Walckenaer. Nous n'aurions osé espérer de dire les choses avec une plus respectable réserve. Voyez surtout les passages auxquels il renvoie. Un de ceux-ci, extrait d'une lettre de l'évêque de Chartres, citée par La Baumelle, prouve clairement le mariage, s'il pouvoit y avoir quelque doute à ce sujet: «C'est une grande pureté, lui dit-il, de préserver celui qui vous est confié des impuretés et des scandales où il pourroit tomber. C'est en même temps un acte de soumission, de patience et de charité… Malgré votre inclination, il faut rentrer dans la sujétion que votre vocation vous a prescrite… Il faut servir d'asile à une âme qui se perdroit sans cela. Quelle grâce que d'être l'instrument des conseils de Dieu, et de faire par pure vertu ce que tant d'autres font sans mérite ou par passion!» Ailleurs il lui écrit: «Après ma mort, vous choisirez un directeur auquel vous donnerez vos redditions. Vous lui montrerez les écrits qu'on vous a donnés pour votre conduite. Vous lui direz vos liens.» (Walckenaer, Mémoires sur madame de Sévigné, 5, p. 216 et 436.)

<p>119</p>

Le dernier enfant de madame de Montespan et de Louis XIV fut le comte de Toulouse, né le 6 juin 1678. Depuis, madame de Montespan fut supplantée par mademoiselle de Fontanges, à la mort de laquelle, dirent les pamphlets, elle n'auroit pas été étrangère. Le Roi continua à recevoir madame de Montespan, même après son mariage avec madame de Maintenon; il ne lui donna donc pas ce congé absolu dont il est ici parlé.

<p>120</p>

Madame de Soubise étoit Anne de Rohan Chabot, fille de ce Henri Chabot qui devint duc de Rohan, et dont le mariage avec Marguerite de Rohan avoit fait si grand bruit. Née en 1648, elle épousa François de Rohan, qui fit la branche des princes de Soubise, second fils d'Hercule, duc de Montbazon, et de Marie de Bretagne. Elle mourut le 4 février 1709, âgée de soixante et un ans.

On lit dans les notes de Saint-Simon sur le Journal de Dangeau:

«La beauté de madame de Soubise, dont le roi fut touché, fit la fortune de sa famille. M. de Soubise avoit eu une première femme qui n'avoit jamais prétendu au tabouret. La beauté de sa deuxième femme le lui valut, et, par degrés, le rang de princesse à la maison de Rohan…» (Journal de Dangeau, avril 1684, t. 1, p. 5. – Cf. ibid., p. 112.)