Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome III. Bussy Roger de Rabutin
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СКАЧАТЬ étoit délicat sur ces sortes d'affaires, et qu'il n'en feroit rien sans consulter son conseil de conscience, avant de lui en parler, qu'elle souhaiteroit que madame de Maintenon lui fit la faveur d'en dire un mot au Père La Chaise, afin de le prévenir avant que le Roi lui en parlât. Madame de Maintenon lui répliqua qu'elle avoit raison de croire que le Roi étoit délicat sur ce chapitre-là, «et je ne crois pas même, lui dit-elle, que vous feriez bien de lui en parler, puisque c'est vous commettre à un refus dont vous pourriez avoir de la mortification dans la suite.»

      Cette espèce de conseil ne plut pas à madame de Montespan, qui lui répondit d'un ton assez fier qu'elle ne venoit pas là pour demander conseil, parce qu'elle se croyoit assez capable et assez grande pour le prendre d'elle-même; mais, poursuivit-elle, je viens pour vous prier d'en dire un mot au Père La Chaise, afin qu'il y donne les mains.

      Madame de Maintenon, qui se sentit piquée de cette brusque repartie, lui demanda pourquoi elle vouloit qu'elle parlât au Père La Chaise plutôt qu'elle, puisqu'elle le connoissoit aussi particulièrement qu'elle, et le pourroit faire elle-même. «La raison, dit madame de Montespan, en est aisée à donner: c'est, dit-elle, que je vous crois mieux dans son esprit que moi, et qu'au dire du Père, vous êtes une sainte, et moi une grande pécheresse, comme je l'avoue aussi.»

      Madame de Maintenon, qui a de l'esprit, et qui voyoit bien où tout ceci alloit, et qui auroit été bien aise de finir la conversation, lui dit: «A quoi bon, madame, tout ce détail de sainteté? – A vous faire connoître, continua madame de Montespan, que je sais fort bien ce que vous pouvez, et qu'étant fille de la société, il y a toujours plus de grâce pour une enfant sage et obédiente133, comme je crois que vous êtes, que pour une étrangère. – Puis, dit madame de Maintenon, que vous me croyez sage et obédiente, je vous dirai que le Père m'a défendu de lui parler jamais de ces sortes d'affaires. – Je comprends bien, dit madame de Montespan, par vos discours, que vous n'en voulez rien faire; vous feriez mieux, continua-t-elle, de me parler catégoriquement, oui ou non.

      – Je n'ai pas d'autre réponse à vous donner, lui dit madame de Maintenon, sinon que vous auriez pu vous éviter la peine que vous vous êtes donnée, en m'envoyant seulement faire ce message par l'une de vos domestiques.

      – Vous m'en dites assez, dit madame de Montespan, pour me faire connoître que vous n'en voulez rien faire. Je n'ai pas jugé à propos, poursuivit-elle, d'envoyer personne de ma part, mais de venir moi-même pour avoir le plaisir de recevoir le refus de votre bouche propre, et de voir quelle mine vous tiendriez en le donnant à celle qui vous a commandé pendant plusieurs années.

      – Il est vrai, lui dit madame de Maintenon, que j'ai été sous vous, je ne le nie pas, mais j'estime qu'il m'est plus glorieux d'avoir été ce que j'ai été, que d'être ce que vous êtes.» Ce discours piqua madame de Montespan au vif, qui ne put retenir son ressentiment et [s'empêcher] de la traiter de petite femme de Scarron.

      Sur cet intervalle, une femme de chambre vint dire à madame de Maintenon que madame la princesse de Conti134 venoit lui rendre visite; laquelle se leva aussitôt, et après lui avoir fait donner un fauteuil, chacune reprit sa place. Cette visite fut causée en suite d'une collation que monseigneur le dauphin135 avoit donnée les jours précédents à madame de Conti, où, après quelque raillerie, madame de Conti porta à monseigneur la santé de la bonne vieille sa belle-mère. Le Dauphin, en faisant raison, porta la santé du bon-homme. [Mais comme il y a toujours des esprits qui tâchent de faire leur fortune aux dépens d'autrui, cette petite galanterie ne manqua pas d'être rapportée dès le même jour à madame de Maintenon, qui de même suite le dit au Roi. Quelques jours après, Monseigneur étant à table, le Roi ayant un plat devant lui d'un ragoût que le Dauphin aimoit, le Roi le lui fit mettre devant. Monseigneur en ayant mangé d'un grand appétit, le Roi dit: «Vous en avez assez mangé pour boire», et lui porta la santé du bon-homme.]136

      Le Dauphin ne répondit que par une profonde révérence, faisant semblant de ne le pas comprendre; mais au sortir de table il ne manqua pas d'en avertir aussitôt madame la princesse de Conti, et lui conseilla d'aller voir la bonne vieille madame de Maintenon; et c'est ce qui fut la cause de cette présente visite. Madame de Conti fit rouler la conversation sur le plaisir innocent que souvent l'on avoit dans la compagnie d'une amie, où l'on avoit la liberté de dire quelquefois une parole en liberté, sans dessein pourtant d'offenser personne. La Maintenon applaudissant à ce que madame de Conti disoit, après avoir bien tourné, la princesse dit que ces jours passés, pendant la collation que Monseigneur lui donna, ils s'entretinrent pendant une heure de toute la Cour et de madame de Maintenon même, sans dessein pourtant de choquer personne; et comme elle ne doutoit pas que ces innocents divertissements sont souvent rapportés avec emphase, qu'elle ne savoit pas si l'on le lui avoit dit, mais qu'en tout cas elle n'avoit eu aucun dessein de l'offenser. La Maintenon, qui faisoit la dissimulée, auroit été bien aise de savoir de la bouche de madame de Conti ce qui s'étoit passé; mais la princesse, qui ignoroit jusqu'où elle en étoit informée, n'osa se découvrir davantage, de peur d'en trop dire.

      Ainsi finit sa visite, et elle dit en sortant: «Si vous m'aimez toujours autant que vous l'avez protesté, permettez-moi que je vous baise.» Là-dessus la Maintenon, fine et subtile, lui dit: «Madame, l'on ne baise pas des vieilles.»

      Alors madame de Conti connut assez que la mine étoit éventée, et, quelque protestation qu'elle fît, il n'y eut pas moyen de la réconcilier, et ainsi elles se quittèrent fort froidement.

      Madame de Conti en eut de la mortification, et, dans le chagrin où elle étoit, étant de retour chez elle, elle écrivit ce billet au Dauphin:

Monseigneur,

      Suivant votre conseil, je viens de rendre visite à la dame de Maintenon; mais je ne puis vous exprimer la froideur avec laquelle nous nous sommes séparées: son dédain et manque de respect m'obligent à vous dire que, si je n'avois des considérations pour le R… je puis vous assurer que je lui donnerois des marques de mon ressentiment. Celle qui vous remettra ce billet vous dira le reste. Adieu.

      Après le départ de la princesse, et que l'esprit de la Maintenon (à laquelle cette visite avoit causé quelque émotion) fut un peu remis, madame de Montespan prit la parole, lui disant: «Quand je considère bien ce que je viens de voir et d'entendre, je me représente la fable de l'âne qui portoit une idole dessus son dos, pour laquelle les peuples avoient beaucoup de vénération, et se mettoient à genoux lorsqu'elle passoit par les rues. L'âne crut que c'étoit à lui que cet honneur se rendoit, lequel en devint si orgueilleux, qu'il marchoit d'une grande fierté et d'un pas grave, se carrant comme si c'étoit à son mérite que l'on rendoit cet hommage. Mais l'idole lui étant ôtée, et étant question de retourner à son gîte, croyant de marcher avec la même gravité, il fut bien surpris que son maître lui lâcha quelques coups pour l'obliger à marcher plus vite, et il connut alors sa méprise, et qu'au lieu de lui faire honneur comme auparavant, chacun crioit: Frappe, frappe. Ainsi, Madame, ne croyez pas que c'est pour votre mérite que l'on vous fait la cour. Je laisse à vous-même de faire l'application du reste.»

      Madame de Maintenon, qui entendoit fort bien ce qu'elle vouloit dire, ne voulut pas s'en fâcher, parce qu'elle prétendoit lui rendre le change. Elle lui dit: «Sur ce que vous dites, Madame, il n'y a pas de commentaire à faire: vous dites les choses si nettement et avec tant de circonstances, qu'il faudroit être bien stupide pour ne le pas comprendre; mais, de grâce, permettez-moi que je vous en entretienne aussi d'une à mon tour.

      «Un chien s'étant donné pour sa vie durant à un bon bourgeois pour le servir et garder la maison, comme il étoit trop à son aise, il ne put plus supporter la graisse, et se promenoit un jour à la campagne; un autre sien camarade l'aborda, et l'ayant obligé de lui faire le récit de sa fortune, СКАЧАТЬ



<p>133</p>

Obédiente, terme formé sur le mot obédience. On appeloit obédience, chez les jésuites, auxquels on suppose ici que madame de Maintenon étoit affiliée, les ordres émanés d'un supérieur, et même les permissions qu'il accordoit.

<p>134</p>

La princesse de Conti, Marie-Anne de Bourbon, étoit la fille légitimée de Louis XIV et de mademoiselle de La Vallière. Née en octobre 1666 (voy. t. 2, p. 46), elle épousa, en 1680, Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti, fils d'Armand, prince de Conti, et d'Anne-Marie Martinozzi. Madame de Conti perdit son mari le 9 novembre 1685. Celui-ci étoit mort en disgrâce, et madame de Conti elle-même étoit mal vue de Louis XIV, à cause, dit Dangeau, d'une lettre qu'elle avoit écrite en l'absence de son mari (Journal, t. I, p. 221).

<p>135</p>

Il s'agit ici du fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse; le fils de ce premier dauphin porta ensuite le même titre. Sur ce titre de monseigneur appliqué au dauphin, voyez le commentaire de Saint-Simon sur le Journal de Dangeau, t. 1, p. 431; et sur l'anecdote elle-même, voyez Saint-Simon.

<p>136</p>

Le passage compris entre crochets, nécessaire au sens, manque dans l'édition de 1754.