Название: Les Forestiers du Michigan
Автор: Jules Berlioz d'Auriac
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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En effet, au bout de quelques instants, la flamme jaillit, chaude, brillante, joyeuse; en dépit du noir orage et de l'humidité glacée.
Basil prit dans ses bras l'Indienne, et la coucha avec précaution près du feu: là, il s'empressa de l'examiner.
C'était une très jeune fille, à peine sortie de l'enfance; son visage marbré par le froid avait une expression charmante et noble; ses yeux noirs, profonds, expressifs; ses longs cheveux brillants attestaient sa race.
Un frisson traversa l'âme bronzée du forestier en voyant cette frêle créature raidie par un mortel engourdissement, presque sans haleine, et qui se mourait au souffle fatal du vent de neige.
Il lui sembla, au premier coup d'œil, l'avoir déjà vue quelque part: mais ce n'était pas le moment de se répandre en hypothèses, il fallait agir, il fallait lutter; la mort était là, attendant sa proie.
Basil lui retira ses moccassins, et examina ses petits pieds:
– Tonnerre! ils sont gelés, je m'en doutais! grommela-t-il en prenant une poignée de neige pour les frictionner.
Le brave forestier mit une telle ardeur à cette utile opération, que la jeune fille poussa un cri de douleur.
C'était mieux que rien: c'était signe de vie.
– Bon! elle reprend la parole! dit-il en riant dans sa barbe; et dans ce discours il y a plus de sens que dans tout son baragouin sauvage. Allons! criez un peu, petite fille! ça me réjouit de vous entendre. Le sang commence à circuler dans ces mignonnes pattes; je vais les bien envelopper de la couverture, ensuite je donnerai une «frottée» aux bras.
Effectivement, il donna une telle «frottée» aux deux bras, que la jeune fille en poussa des cris. Mais le vaillant Basil ne s'arrêta pas pour si peu, et il ne discontinua sa vigoureuse médication que lorsqu'il fut certain d'un bon résultat.
Il y a bien des médecins qui n'en font pas autant: cela tient sans doute à un excès de science.
– Je ne m'étonnerais pas si son nez avait besoin d'une ou deux frictions; poursuivit le forestier, qui, joignant le geste à la parole, opéra sur le champ, d'une manière délicate, avec le pouce et l'index. Il est froid comme un glaçon, observa-t-il au bout d'un moment: ce n'est pas là ce qui m'inquiète; la voilà en bon chemin.
Alors, satisfait de sa cure, il emmaillota sa protégée dans deux couvertures, et la coucha sur un tas de fougères, de la même façon que si c'eût été un petit enfant de quinze mois.
– Les femmes sont des choses bizarres, grommela Veghte en regardant l'Indienne qui continuait de rester immobile: tout-à-l'heure celle-ci chantait, alors qu'elle avait tout sujet de pleurer; maintenant elle reste muette comme un poisson, comme si ça ne valait pas la peine de me dire merci. Vraiment, je n'y connais pas grand chose, aux femmes. Il y avait bien ma vieille mère, et une sœur, je crois; par là-bas, derrière le levant… mais elles sont mortes, j'imagine.
Il se tut un moment pour essuyer le brouillard qui humecta ses yeux à ces souvenirs; puis il reprit son monologue:
– Oui, les femmes sont de drôles de choses; elles ont été pour moi la cause de plus d'une épreuve. Toutes les fois que j'y ai pensé, ça m'a fait tourner la tête. Une autre chose bizarre… Je n'ai jamais vu de femme avec des moustaches; ça m'étonne qu'elles n'aient pas de moustaches comme nous autres hommes! C'est, sans doute, parce qu'elles ne sauraient pas se raser: oui, mais… elles pourraient se faire raser par quelqu'un. C'est bizarre!..
Le problème lui paraissant de solution trop difficile, il prit le parti de n'y plus songer.
– … Encore une chose singulière! les femmes ont de longs cheveux!.. ça m'a embarrassé longtemps de deviner pourquoi: je l'ai trouvé ce pourquoi… C'est parce qu'elles les laissent pousser. Je parierais que les miens seraient tout aussi longs, si je leur en laissais le temps.
Veghte éprouva le besoin de respirer après ce laborieux travail d'esprit. Il se reposa donc avec un soupir de satisfaction orgueilleuse; jamais écolier lauréat, jamais mathématicien venant à bout d'un problème ardu, ne se sentirent plus triomphants et plus joyeux que l'innocent forestier quand il fut arrivé à cette ingénieuse solution.
Il se sourit à lui-même et jeta un regard sur la jeune Indienne: celle-ci, toujours muette et immobile, tenait ses yeux noirs dirigés sur lui avec une fixité farouche dont l'étrange expression le mit mal à l'aise.
– Parlez-vous anglais? lui demanda-t-il. S'il en était ainsi, je serais bien aise de vous adresser quelques questions. Hein, parlez-vous?..
Un coup d'œil plus fixe encore s'il était possible, fut son unique réponse.
– Allons! parlez-vous?.. ou bien je vous tire les oreilles! fit-il en allongeant le bras vers elle.
L'excellent homme se serait brûlé les deux mains plutôt que de toucher à un cheveu de la jeune fille. Mais cette dernière, au geste qu'il fit, répondit par un regard de reproche et d'épouvante qui lui alla jusqu'au cœur. C'était le coup d'œil suprême et lamentable de la biche immolée par le chasseur.
– Dieu me bénisse! s'écria-t-il; vous avez pu croire que je voudrais faire du mal à une pauvre infortunée créature comme vous! N'avez-vous pas compris que je plaisantais?
La jeune fille fit un brusque mouvement pour repousser le forestier; une expression d'embarras courroucé se peignit sur son visage, comme pour réprimander Basil de cette familiarité irréfléchie.
Il se trouva tout interdit, la replaça auprès du feu, et impressionné par la fixité étrange de ces yeux plus noirs, plus sombres que la nuit, il se prit à souhaiter d'être à cent lieues de là, au fond de quelque épaisse forêt, bien loin de cette fille extraordinaire.
Tout à coup elle lui dit avec une énergie soudaine qui le fit tressaillir;
– Allez-vous-en!
La surprise de Veghte fut telle qu'il ne put répondre tout d'abord.
– M'en aller! répliqua-t-il enfin: et pourquoi?.. vous voulez donc que je vous abandonne?
– Allez-vous-en, répéta-t-elle avec une énergie croissante.
– Oui, n'est-ce pas? pour vous laisser geler à mort?
– Allez-vous-en!
– Eh, non! que je sois pendu si je fais un pas!
Un sentiment de méfiance s'éleva de nouveau dans l'esprit de Basil; il trouvait une expression offensante et suspecte dans les allures de cette fille, à laquelle il venait de sauver la vie. Tous ses soupçons lui revinrent, il enveloppa sa protégée d'un regard rude et investigateur destiné à la fouiller d'outre en outre.
Mais celle-ci, s'apercevant que les recommandations étaient inutiles, se renferma dans son silence, et lui lança un coup d'œil presque suppliant et si expressif que Basil en fut touché; ses méfiances s'évanouirent, il comprit qu'elle cherchait à lui faire éviter un danger sérieux.
Néanmoins ses aventures de la nuit l'avaient prédisposé à l'imprévu tout extraordinaire qu'il pût être; et, en résumé, Veghte ne connaissait pas la peur.
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