Название: Les Forestiers du Michigan
Автор: Jules Berlioz d'Auriac
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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«Si, seulement, j'avais pu rattraper mon fusil, j'aurais pu terminer assez bien la plaisanterie; mais, comme vous voyez, c'était là, précisément, le point difficile. L'ours était, pour ainsi dire, assis dessus; et il n'aurait, vraiment, pas été commode de le déranger.
«Enfin je me rappelai qu'aucun animal ne tient bon contre le feu, et je me décidai à le charger avec un bon tison.
«J'avisai une superbe branche bien enflammée; pour aviver encore son incandescence, je la fis tournoyer pendant quelques secondes autour de ma tête, et je me jetai sur l'animal en poussant un grand cri.
«Probablement j'aurais réussi à ravoir mon fusil si je n'avais pas fait une fâcheuse glissade. Le talon me tourna si malheureusement que je tombai, et le tison sauta loin de moi.
«Je ne fus pas long à me relever; mais toute mon agilité ne me procura d'autre profit que de n'avoir pas été mis en pièces par les griffes de cette brute obstinée.
«Pendant ce temps, mon feu baissait; il n'en avait pas pour longtemps à s'éteindre. Ça me contrariait, car il n'allait pas faire bon, sans foyer, par une nuit aussi froide; impossible de faire du bois, l'autre me guettait.
«Vlan! je prends mon élan, je saute en l'air et me voilà sur l'arbre! Avant de gagner la cime, je donne un coup d'œil en bas, pour savoir ce que faisait mon compagnon.
«Il paraît que j'avais fait mon ascension au moment où il ne me regardait pas, car je l'aperçus tournant la tête en tout sens comme s'il me cherchait.
«Ce n'était pas le cas de rien dire; je grimpai tout doucement jusqu'aux plus hautes branches, et je m'y installai le mieux possible en attendant le jour. Mais, le poste était terriblement peu confortable, je vous en réponds! Il n'y faisait pas bon, à cheval sur la rude écorce, dans une atmosphère glaciale, sous la neige tombant à gros flocons. Que voulez-vous? Je n'avais pas le choix de prendre un autre parti, il fallait bien en passer par là.
«Dès les premiers moments le froid et le sommeil, – deux vilains camarades, – vinrent me visiter rudement… si rudement qu'au bout de quelques minutes je dégringolais dans la neige, juste à deux pieds de mon ours.
«La chute m'avait très-bien réveillé, je bondis comme un ressort, et je saisis dans le foyer un tison demi-mort pour m'en faire une arme. Je le rallumai en le faisant tournoyer au-dessus de ma tête, et j'attendis de pied ferme mon noir ennemi.
«L'animal ne bougea pas et ne souffla mot. Après avoir attendu une ou deux minutes je m'approchai; il était mort, raide, froid comme une pierre. Je pris mon fusil avec une satisfaction facile à concevoir, je renouvelai ma provision de bois, je rallumai mon feu, et je pus enfin examiner l'animal à mon aise. Il avait été touché au cœur; positivement, il était blessé mortellement; je ne comprends pas comment il avait pu courir aussi longtemps. Il me semble…»
Le narrateur s'interrompit en voyant Basil lui faire un signe de la main: il s'assit aussitôt et se tut, en prêtant l'oreille. Durant quelques secondes tous deux écoutèrent, retenant même leur souffle pour mieux entendre.
– Un son a frappé mes oreilles pendant que vous parliez; dit Basil en reprenant avec soin sa position.
– Bah! c'est le vent, et rien de plus.
– Ç'a été ma première pensée, mais le son s'est répété; je ne pouvais m'y tromper.
– Eh bien! qu'est-ce que c'était?
– Quelque chose comme un cri de détresse. Il venait des profondeurs du bois, à environ un quart de mille.
Johnson regarda son compagnon d'un air significatif.
– Savez-vous quel animal fait entendre cette voix, Basil? Ne l'avez-vous jamais remarqué…?
– Je sais ce que vous voulez dire. Le cri de la panthère ne m'est pas inconnu, je ne m'y trompe pas; c'est un rauquement furibond: mais cette fois il n'y a rien de semblable.
– Mais, l'éloignement peut l'avoir modifié en l'affaiblissant.
Veghte secoua la tête d'un air de supériorité dédaigneuse.
– Pensez-vous que j'aie vécu trente ans dans les bois, pour commettre une pareille erreur? Ah! le voilà encore…! interrompit brusquement Basil en se levant pour sonder du regard les ténèbres environnantes.
Il était impossible de rien voir dans l'infernale obscurité de cette sombre nuit: Basil se retourna vers Johnson qui, demi-couché, fumait imperturbablement sa pipe.
– L'avez-vous entendu, cette fois?..
– Oui… oui… quelque chose; un murmure; mais je n'oserais dire que ce n'est pas le vent. Justement! entendez-le hurler dans les cimes des arbres.
Veghte lui lança un coup d'œil presque irrité: il ne pouvait lui pardonner sa froide apathie.
– Je vous dis, Horace Johnson, qu'il y a un être vivant près de nous dans le bois et cet être, quel qu'il soit, est en souffrance.
– Pshaw!.. répliqua l'autre en riant: vous êtes fou, ami Basil! qui, diable! peut avoir à faire dehors, par une semblable nuit?
– Eh! qu'avons-nous à faire, nous?..
– Ah! nous, c'est autre chose: nous sommes dans les bois parce que ça nous convient; nous suivons notre idée.
– Enfin! à vous entendre, on croirait que nous sommes les deux seuls personnages, au sud du lac Érié, qui ayons quelque chose à faire. Je ne conçois pas votre insouciance! dit Basil d'un ton de reproche.
Johnson pinça dédaigneusement les lèvres.
– Bon! j'admets qu'il y a par ici une âme en peine. Qu'est-ce que ça nous fait?
– Ce que ça nous fait! Qu'est-ce que ça me faisait de vous donner asile auprès de mon feu?
– C'est tout différent! Si quelqu'un vient nous demander l'hospitalité, nous le recevrons, nous lui donnerons part au foyer, part à la pipe; mais si ce quelqu'un est à un quart de mille, en quoi ça peut-il nous concerner?
– Nous devons lui porter secours.
– Vous le pouvez si ça vous convient: moi, non! c'est réglé!
– Si, pourtant, il y avait par là quelque pauvre malheureux, massacré par les Peaux-Rouges, et laissé mourant sous la neige?..
– Il subira son sort, si ses forces ne peuvent le soutenir jusqu'au jour! Basil, avez-vous perdu le sens commun? Voyez quelle furie nouvelle a la neige! Et vous voudriez quitter ce bon feu alors que vous n'y verriez pas à mettre un pied devant l'autre! Quelle obligation trouvez-vous donc à courir le risque certain de vous perdre pour secourir je ne sais qui, sans savoir même si vous pourrez lui être utile?
– Je ne regarde pas tout ça; je ne me perds pas si facilement. J'ai trop couru les bois pour ne point savoir retrouver le campement à mon retour.
– Enfin! vous n'y songez pas; au milieu d'une telle nuit!
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