Название: Les Forestiers du Michigan
Автор: Jules Berlioz d'Auriac
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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– Eh! je vous l'ai dit: histoire de rire! Je vous avais reconnu au premier coup-d'œil: je me suis amusé à me cacher le visage en commençant, et je vous ai ensuite montré ma figure fort adroitement lorsque j'ai allumé ma pipe; j'avais passablement envie de rire en examinant vos efforts pour me dévisager. A présent, voyons un peu! Il y a deux bonnes années que nous avons essuyé cette bousculade au bord du vieux lac Saint-Clair, n'est-ce pas? Ce fut alors notre dernière entrevue: qu'en dites-vous?
– Deux ans à l'automne passé. Vous avez considérablement changé depuis cette époque, Horace.
– Hélas, oui! sans plaisanter. Je n'en puis dire autant de vous; vous êtes toujours le même: toujours la même chevelure, toujours le même visage. Qu'êtes-vous donc devenu pendant tout ce temps?
– J'ai été beaucoup à Presqu'île; quoique depuis trois mois je sois absent du fort. J'ai passé un certain temps à Michilimakinuk, ensuite au fort Sandusky; puis, à Saint-Joseph; enfin à Ouatanon.
– Il est singulier que nous ne nous soyons pas rencontrés: j'ai fréquenté ces trois forts, surtout le Sandusky.
– Quand avez-vous quitté ce dernier poste?
– Vers le milieu d'octobre.
– Eh bien! moi j'y ai passé la première semaine de novembre. Vous avez pris plus de temps que moi pour faire le voyage.
– Ma foi! je n'étais pas pressé: j'ai marché à petites journées.
– Moi aussi: seulement, quand j'ai vu la tourmente qui se préparait, j'ai doublé le pas dans l'espoir d'arriver au fort cette nuit. Mais, le moyen de marcher!.. quand il y a deux pieds de neige!
Les deux nouveaux amis se rassirent auprès du feu, et, commodément appuyés sur le coude, s'envoyèrent réciproquement d'énormes bouffées de fumée: la conversation continua, entremêlée d'un échange de regards curieux.
Par moments ils s'oubliaient dans une rêveuse contemplation de leur feu dont l'activité croissait avec la fureur de l'ouragan. Sur leurs têtes se balançaient mélancoliquement les gigantesques branches chargées de neige, déversant par intervalles de petites avalanches qui roulaient jusque dans le brasier.
– Encore un redoublement de neige! remarqua Johnson après avoir vainement essayé de sonder les ténèbres du regard. Encore quelques heures comme cela, et nous ne pourrons plus regagner le fort.
– Je ne m'étonnerais point qu'elle tombât sans discontinuer tout le jour: la tempête a commencé d'une façon régulière, elle durera longtemps. Vous souvenez-vous de la tourmente qui eut lieu à Noël de l'année dernière? Il neigea sans relâche pendant toute une semaine? fit Veghte d'un ton interrogateur.
– Oui, oui! je m'en souviendrai tant que je vivrai. J'étais à une douzaine de milles du fort Sandusky lorsque ça commença, et j'étais un peu indécis sur la direction que je prendrais. Je me décidai à faire un tour de chasse, et, dans l'après-midi je tirai un ours: cet animal, au lieu de tomber mort tranquillement, prit ses jambes à son cou et se sauva: naturellement, je lui courus après. A la trace du sang sur la neige, je m'apercevais qu'il était grièvement blessé, et je m'attendais, de minute en minute, à le voir culbuter et me donner le temps de le rejoindre. Mais la vilaine brute ne cessa de courir et courir encore jusqu'à la nuit close.
«Sans me décourager, je le suivis de mon mieux, tantôt près, tantôt loin, ne le perdant pas de vue. A la fin, le voyant disparaître comme par enchantement, je doublai le pas si vivement, que, sans m'en apercevoir je perdis pied et me trouvai culbuté dans un trou avec mon diable d'ours.
«Il y eut un petit instant de confusion, j'avais les yeux, le nez, la bouche, pleins de neige. En me relevant j'avais perdu mon gibier; plus d'ours! J'eus beau fouiller les broussailles, vérifier tous les environs; mon stupide animal avait décampé; je n'en ai plus entendu parler.
«Pendant ce temps-là, il avait continué de neiger, et, pour conclusion, il ne me restait d'autre ressource que d'allumer vivement du feu, et de m'organiser un gîte le plus confortablement possible jusqu'au jour. Remarquez bien que l'air était glacial quoiqu'il tombât tant de neige. Nous autres, gens des bois, nous ne sommes jamais en peine pour nous installer; au bout d'une minute j'avais trouvé un gros, bel arbre, un peu creux, parfait pour servir de cheminée.
«Bon! j'allume ma pipe, je m'adosse à mon arbre, et me voilà à réfléchir… Je ne sais pas pourquoi, mais, sans m'en douter, je ne pouvais me sortir cet ours de la tête: Et avec des idées bizarres! qui auraient fait mourir de rire un Indien.
«Je me le figurais grand-père d'une nombreuse famille qui l'attendait ce soir là pour fêter son retour par un beau festin. Je le voyais encore s'asseyant au haut bout de la table aussi majestueusement qu'un vieux général anglais, racontant à ses convives que je l'avais fort maltraité et presque tué, tandis que, lui, il n'avait pas daigné faire un pas contre moi pour se venger. Puis, il me semblait entendre tous ses enfants et ses amis faire serment de me poursuivre à outrance pour laver cette insulte dans mon sang.
«Je ne sais combien de temps avait duré ce fandango de rêveries, lorsque je m'avisai de lever les yeux: mon diable d'ours était là, à six pas, avec sa blessure saignante!
«Oui, Sir! j'étais pétrifié! Je pense que mes cheveux se sont mis tout debout sur ma tête, au point de soulever mon chapeau. Mais, le pire de tout cela, c'était que dans ma préoccupation d'allumer le feu, j'avais oublié mon fusil par terre, assez loin de moi et je n'y avais plus pensé. En regardant l'ours, je m'aperçus que le bout du canon touchait presque une de ses grosses pattes: il n'aurait pas fait bon aller le chercher là.
«La brute avait la gueule grande, ouverte, pleine de sang: à son air je reconnus sans peine qu'elle n'avait pas de bons sentiments pour moi. Je suppose que sa première idée avait été de s'enterrer dans quelque arbre creux pour y mourir; mais ensuite, ne se trouvant pas aussi gravement blessée qu'elle l'avait cru d'abord, elle avait un peu repris courage, avait fait un petit tour dans les environs, et apercevant le feu, était venue voir ce que ça signifiait.
«Il paraît que nous étions tous deux aussi stupéfaits l'un que l'autre, car l'ours s'arrêta en grognant, et me regarda sans bouger pendant deux ou trois minutes. Si j'avais eu l'esprit de me tenir tranquille, l'animal serait parti sans rien me dire: mais j'étais complètement abruti. Voyant que je ne pouvais mettre la main sur mon fusil, je me levai sans trop savoir pourquoi. Tant que j'étais resté immobile, il avait eu l'air de ne pas me reconnaître; dès que j'eus bougé, il comprit son affaire.
«Avec un grondement très-sérieux il marcha sur moi. Je reculai, je pris un tison et le lui présentai au nez. Cette démonstration ne fut pas de son goût; elle le fit reculer à son tour. Cependant il ne s'avoua pas vaincu, et cinq secondes après, il avait regagné son premier poste, et de là, il me guettait avec un certain air qui ne présageait rien de bon.
«Je connus de suite qu'il était déterminé à me surveiller jusqu'au jour: cela me fit songer. Je passai en revue ma provision de bois; il m'en restait juste pour deux heures au plus.
«J'étais donc assez embarrassé de savoir quel parti prendre.
«En regardant autour de moi, je remarquai que l'arbre avait de grosses racines saillantes; je pouvais m'élancer СКАЧАТЬ