Название: Histoire des salons de Paris. Tome 4
Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054
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Que puis-je vous dire, Sire?.. vous êtes ému, vous êtes surtout offensé… et vous ne m'entendriez pas. Ce que je puis seulement vous affirmer, c'est que j'ai l'horreur du sang, même de celui d'un coupable!.. Jugez ce que je pense de ceux qui veulent faire couler le vôtre!!!..
Pourquoi donc alors, si vous avez de l'amitié pour moi, venez-vous intercéder pour des hommes qui me tueront demain, si tout à l'heure je leur fais grâce?..
Non, Sire; on vous a trompé. MM. de Polignac peuvent avoir une pensée unique, absolue, qui régit leur vie et les guide dans tout ce qu'ils font et ce qu'ils disent. Ils veulent le retour des princes, comme le général Berthier, le général Junot voudraient le vôtre en pareille circonstance; mais ils ne sont pas assassins. Ils ont pu employer un homme à qui tous les moyens sont bons; mais eux, ils sont incapables d'imaginer et encore moins d'exécuter une infamie.
Que t'ai-je dit, mon ami?.. tu vois que madame de Montesson te parle comme moi!.. Que t'ai-je dit encore? que MM. de Polignac seraient à l'avenir liés par la reconnaissance s'ils te doivent leur vie!
Ajoutez à cette considération, qui est immense, que vous êtes dans un moment, Sire, où vous devez marquer par votre clémence plus que par la sévérité… Cette époque à laquelle vous êtes parvenu, vous savez que je vous l'ai presque prédite51; en faveur de cette prédiction… soyez toujours mon héros!.. soyez plus, soyez l'ange protecteur de la France!.. qu'on dise de vous seul ce qu'on n'a dit encore d'aucun souverain: —Il fut vaillant comme Alexandre et César, et bon comme Louis XII.
Mais je ne suis pas roi!.. je ne suis, comme empereur, que le premier magistrat de la république.
Vous êtes tout ce que vous voulez et vous serez aussi tout ce que vous voudrez… Enfin, comme premier magistrat de votre république, comme vous l'appelez, vous pouvez faire grâce, et il faut la faire.
Et qui me garantira non-seulement ma vie, mais celle de tout ce qui m'entoure, si je fais grâce?
La parole d'honneur des condamnés qu'ils ne violeront jamais, j'en suis garant.
Vous connaissez mal ceux dont vous répondez, madame, à ce qu'il me paraît; MM. de Polignac sont des hommes d'honneur, sans doute, mais ils regarderont la parole donnée comme un serment prêté sous les verrous, et ils s'en feront relever par le pape.
Eh bien! si tu crains qu'ils ne soient pas assez forts contre leur volonté dominante, garde-les sous des verrous; mais pas de mort, mon ami… pas de mort!
Sire!.. que faut-il faire? Faut-il vous conjurer à genoux?.. Sauvez M. de Polignac… sauvez les accusés; sauvez-les tous!.. oh! je vous supplie!..
Et elle plia le genou au point de toucher la terre; Napoléon la releva précipitamment et la contraignit presque de se rasseoir.
Vous m'affligez… car, en vérité, je ne puis vous accorder la vie de tous ces hommes, pour qui le repos de la France n'est rien, et qui se jouent du sang de ses fils comme de celui d'une peuplade sauvage.
Bonaparte52, je t'ai déjà bien prié… je te prierai tant qu'il y aura de l'espoir… mais, si tu me refuses, je ne t'aimerai plus…
Mais puisque tu m'aimes, comment peux-tu me demander la grâce de ces hommes qui non-seulement, je le répète, veulent ma mort, mais le bouleversement de la France?
Ce n'est pas ce qu'ils veulent.
Eh! madame, peuvent-ils espérer autre chose? L'agitation révolutionnaire que j'ai tant de peine moi-même à contenir se soumettrait-elle à une main inhabile? On n'improvise pas un gouvernement, madame, et les passions populaires ne répondraient plus aujourd'hui à leur colère royaliste contre la Révolution et la République… Cependant, tout en accusant MM. de Polignac et de Rivière de ramener des troubles peut-être plus sanglants que ceux de 93, je les trouve moins coupables que des généraux républicains… des hommes comme Moreau (sa voix devint tremblante), Pichegru!.. qui vont serrer la main, comme frères, au chouan Georges!..
Il se laissa aller sur un canapé… Il était pâle et semblait avoir le frisson; ses lèvres étaient blêmes et toute sa physionomie bouleversée. Madame de Montesson fut alarmée et fit un mouvement; mais Joséphine lui fit signe de demeurer tranquille, et, s'approchant de Napoléon, elle lui prit les mains, les serra dans les siennes, puis elle l'embrassa, lui parla bas longtemps, et peu à peu le calme revint sur la belle physionomie de l'Empereur. Mais madame de Montesson dit ensuite qu'elle avait eu peur lorsque ses yeux s'étaient fermés et qu'il était tombé sur le canapé. Oui, reprit-il en se levant et marchant très-vite, en partie dans la chambre et en partie dans le jardin53… ces hommes de la France sont plus coupables que des serviteurs de la famille de Louis XVI, de ce malheureux Louis XVI!.. Mais Moreau… le vainqueur d'Hohenlinden!.. lui, devenir un conspirateur!.. Il me croit jaloux54 de lui! et pourquoi, grand Dieu!.. Ma portion de renommée est assez belle; je n'ai besoin de nulle autre pour la rendre plus brillante… Et si Dieu me prend en faveur, j'espère bien en mériter une aussi élevée qu'il y en a sous le ciel!..
– Eh bien! donc, dirent les deux femmes en même temps en se mettant presque à genoux, soyez clément pour MM. de Polignac… commuez la peine… mais pas de mort!.. Oh! pas de mort!..
– Demain tu viendras me parler pour Moreau, dit Napoléon à Joséphine!.. Croiriez-vous, dit-il ensuite à madame de Montesson, qu'après avoir été le but des impertinences de la femme pendant quatre ans, elle a été plus qu'importune pour obtenir la grâce entière du mari?.. Elle est vraiment bonne, ma Joséphine. Et l'attirant à lui, il l'embrassa avec une profonde émotion.
– Et moi, dit madame de Montesson, il me faut aussi vous embrasser pour vous remercier.
Me remercier! et de quoi?
Mais de la grâce de mes amis! Ne venez-vous pas de le dire?.. N'avez-vous pas reconnu que Moreau était plus coupable qu'eux?..
Sans doute.
Eh bien! s'il en est ainsi, vous ne pouvez pas condamner les uns quand vous faites grâce au plus criminel…
Eh! qui vous dit, madame, que je ferai grâce à quelqu'un?
Mon cœur qui vous connaît et qui m'assure que vous ne voulez pas faire condamner Moreau… Il ne le sera pas.
Mon ami… grâce!.. grâce!..
Allons, СКАЧАТЬ
51
La faveur dont jouissait madame de Montesson ne venait pas, comme on le croyait, de madame Bonaparte, mais de Napoléon lui-même. Un jour, le duc d'Orléans était à Brienne avec madame de Montesson, alors sa femme; le prince fut invité à donner les prix aux élèves de l'école militaire, et ce fut madame de Montesson que le prince chargea de ce soin, et qui les couronna. En donnant le laurier à
52
Elle ne lui donnait jamais le nom de Napoléon, ni en lui parlant, ni loin de lui. Elle disait toujours Bonaparte, et plus tard, en parlant de lui, l'Empereur. Mais elle fut très-longtemps à prendre l'habitude de ce dernier nom… et en lui parlant alors, elle lui disait: Mon ami.
53
Cette scène, que je tiens en entier de M. de Valence et de madame de Montesson, me fut confirmée depuis par l'impératrice Joséphine; elle avait intérêt à laisser croire qu'elle avait obtenu la grâce à elle seule, mais, comme je savais la vérité, elle n'osa pas l'altérer devant moi.
54
C'est ici le lieu de parler de la manière dont on comprend le mot