Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'
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Название: Histoire des salons de Paris. Tome 4

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Madame de Montesson courut après lui pour lui répondre, mais sans que personne suivît, et tout le monde demeura dans le salon.

      Pour comprendre la scène qui va suivre, il faut se rappeler qu'un moment avant, madame de Staël avait été au-devant de madame Bonaparte et en avait été fort mal reçue. Dans sa première surprise, elle avait été s'asseoir sur un fauteuil tellement éloigné de la partie habitée du salon qu'elle paraissait, dans cette position, être là comme pour montrer une personne en pénitence. À l'autre extrémité, vingt jeunes femmes très-parées, jolies, gaies, et portées naturellement à se railler de ce qu'elles ont l'habitude de craindre aussitôt que la possibilité leur en est offerte; derrière elles des groupes d'hommes parlant bas, témoignant de l'intérêt en apparence pour la position pénible d'une femme…; mais… ce mot était répété avec intention… tandis que d'autres disaient, avec le rire de la sottise:

      – Une femme!.. Oh! non sans doute!.. demandez-le lui à elle-même; elle vous dira qu'elle est un homme, tant son âme a de force!.. Oh! je ne suis pas étonné que le premier Consul ne l'aime pas.

      Madame de Staël comprenait ces discours sans les entendre; mais elle voyait chaque parole se traduire sur la physionomie de ce monde né méchant et que sa nouvelle vie sociale rendait plus méchant encore. Son œil d'aigle avait percé sans peine la nuit profonde de l'insuffisance de tout ce qui souriait à une position pénible, qui pourtant pouvait en un moment devenir celle de l'un d'eux.

      Mais cependant, quelque forte qu'elle fût sur elle-même, madame de Staël ressentit bientôt l'effet magnétique de tous ces yeux dirigés sur elle. C'était un cauchemar pénible dont elle voulut rompre le charme: elle se souleva, mais ne put accomplir sa volonté et retomba sur sa chaise.

      En ce moment, on vit une apparition presque fantastique traverser l'immense salon à la vue de tous. C'était une jeune femme charmante et belle, une Malvina aux blonds cheveux, aux yeux bleu foncé, aux formes pures et gracieuses. Elle traversa légèrement le salon et fut s'asseoir à côté de la pauvre délaissée. Cette démarche, dans un moment où tout le monde demeurait immobile et l'abandonnait, toucha vivement madame de Staël.

      – Vous êtes bonne autant que belle, dit-elle à la jeune femme.

      Cette jeune femme était madame de Custine27. Son esprit était charmant comme sa personne; elle connaissait peu madame de Staël, mais elle comprenait tout ce qui était supérieur, et madame de Staël était pour elle un être représentant tout ce que ce siècle devait produire de grand. Lorsque sa pensée s'arrêtait sur ces grandes choses que pouvait produire sa patrie, alors, artiste par le cœur comme elle l'était par l'esprit, on voyait flamboyer son œil toujours si doux et si velouté, sa bouche rosée ne s'ouvrait plus que rarement, et son ensemble était poétique. En voyant la plus belle de nos gloires littéraires recevoir un coup de pied comme une impuissante démonstration de l'inimitié envieuse, elle sentit au cœur une indignation profonde, et sur-le-champ elle alla s'asseoir à côté de madame de Staël.

      – Oui, lui répéta celle-ci, vous êtes bonne autant que belle…

      – Pourquoi? demanda madame de Custine en rougissant; car sa simplicité habituelle l'éloignait toujours de ce qui faisait effet.

      – Pourquoi? répondit vivement madame de Staël… Comment! vous me demandez pourquoi je vous dis que vous êtes bonne? Mais c'est pour être venue auprès de moi, pour avoir traversé cet immense salon au bout duquel je suis venue m'asseoir comme une sotte… Vraiment, vous êtes plus courageuse que moi.

      Madame de Custine rougit de nouveau jusqu'au front, et devint comme une rose.

      – Et cependant, dit-elle d'une voix dont le timbre ressemblait à une cloche d'argent, cependant je suis d'une telle timidité, que je ne saurais vous en raconter des effets, car vous vous moqueriez de moi.

      – Me moquer de vous! dit madame de Staël, d'une voix attendrie et en lui pressant la main… ah! jamais! À compter de ce jour, vous avez une sœur.

      Et ses beaux yeux humides s'arrêtaient avec complaisance sur la ravissante figure de madame de Custine, pour achever de s'instruire dans la connaissance de cette charmante femme… Dans ce moment, madame de Staël avait complètement oublié où elle était, le premier Consul, madame de Montesson, madame Bonaparte et son salut presque froid…

      – Comment vous nommez-vous? demanda-t-elle à madame de Custine.

      – Delphine.

      – Delphine!.. Oh! le joli nom! J'en suis ravie!.. Delphine… C'est que cela ira à merveille!..

      Madame de Custine ne concevait pas pourquoi son nom inspirait tant de contentement à madame de Staël…

      Celle-ci la comprit.

      – Je vais faire paraître un roman, ma belle petite; et ce roman, je veux qu'il s'appelle comme vous… Je lui aurais donné votre nom, même s'il eût été différent… Oui, il sera votre filleul, ajouta-t-elle en riant… et il y aura aussi quelque chose qui vous rappellera cette journée28.

      Dans ce moment, le premier Consul rentra dans le salon. En voyant madame de Staël, dont madame de Montesson n'avait pas osé lui parler non plus que Joséphine, il alla vers elle, et lui parla longtemps; il ne fut pas gracieux, mais poli, et même plus qu'il ne l'avait été jusque-là avec madame de Staël… Elle était au ciel. Ceux qui l'ont connue savent comme elle était impressionnable, et avec quelle facilité on la ramenait à soi. La bonté de son cœur était si admirable qu'elle lui donnait une bonhomie toute niaise de crédulité; ce qui, avec son beau génie, formait un de ces contrastes qu'on admire.

      – Ah! général, que vous êtes grand! dit-elle au premier Consul… Faites que je dise que vous êtes bon avec la même conviction.

      – Que faut-il pour cela?

      – Ne jamais parler de m'exiler.

      – Cela dépend de vous… et puis dans tous les cas vous ne seriez pas exilée; les exils et les lettres de cachet ont été abolis par la Révolution.

      – Ah! dit madame de Staël d'un air étonné… et qu'est-ce donc que le 18 fructidor?.. Une promenade à Sinnamari… Le lieu était mal choisi, car l'air y est mauvais!..

      Le premier Consul fronça le sourcil… Il n'aimait pas que madame de Staël parlât politique, et surtout avec lui. Il s'éloigna sur-le-champ.

      Madame de Staël comprit aussitôt sa faute, ou plutôt sa bêtise, comme elle-même le dit le soir à M. de Narbonne, qu'elle rencontra chez le marquis de Luchesini.

      – Je suis toujours la même, lui dit-elle; j'ai parfois un peu plus d'esprit qu'une autre, et puis dans d'autres moments je suis aussi niaise que la plus bête… Aller lui parler du 18 fructidor!.. à lui!.. lui qui peut-être bien l'a dirigé29, quoiqu'il fût de l'autre côté des Alpes… mais qui de toute manière doit au fond du cœur aimer une révolution qui lui a permis de faire, lui chef militaire, une autre révolution avec des baïonnettes, puisque les magistrats du peuple, les Directeurs, en avaient agi ainsi avec les représentants de la nation…

      Le premier Consul ne voulut cependant montrer aucune humeur de cette conversation, qui, toute rapide qu'elle avait été, avait pu être entendue par les personnes qui étaient près de lui. Il s'approcha de madame de Montesson, causa avec СКАЧАТЬ



<p>27</p>

Mère du marquis de Custine, dont on va publier un voyage en Espagne, qui continuera à justifier tout ce que le beau talent de l'auteur promettait dans ses Souvenirs de voyage en Italie et en Angleterre. Je connais plusieurs parties de ce voyage en Espagne, admirables de vérité, de description, de chaleur de style, et également belles par la richesse et la profondeur des pensées. M. de Custine est un homme dont l'époque littéraire sera fière. Un talent comme le sien est rare aujourd'hui; au milieu de cette foule de choses, de productions de mauvais goût, on jouit en lisant un ouvrage qui, par la pureté du style et la haute portée des pensées, vous reporte aux beaux temps de notre littérature. J'ai porté ce jugement lorsque M. de Custine publia le Monde comme il est, admirable ouvrage qui grandira comme il le mérite, car il restera. Mon sentiment est le même aujourd'hui qu'alors, seulement il est plus positif, parce que le temps l'a confirmé.

<p>28</p>

C'est pour rappeler cette matinée et la démarche de madame de Custine que madame de Staël a placé dans Delphine la scène qui se passe chez la Reine, lorsque tout le monde abandonne Delphine et que madame de R*** va auprès d'elle.

<p>29</p>

C'était à cette époque une opinion assez répandue que le général Bonaparte avait instruit et envoyé Augereau pour faire le 18 fructidor.