Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Читать онлайн книгу Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust страница 37

Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ près de lui qui ne l’avait pas vue, comme ils étaient assez loin des autres, elle lui dit avec ce ton traînard, pleurard, ce ton de petit enfant qui le faisait toujours rire, et comme s’il venait de lui parler:

      «Quoi?»

      Il se mit à rire et lui dit:

      «Ne dis pas un mot de plus, ou je t’embrasse, tu entends, je t’embrasse devant tout le monde!»

      Elle rit d’abord, puis reprenant son petit air triste et mécontent pour l’amuser, elle dit:

      «Oui, oui, c’est très bien, tu ne pensais pas du tout à moi!»

      Et lui, la regardant en riant, répondit:

      «Comme tu sais très bien mentir!» et, avec douceur, il ajouta: «Méchante! méchante!»

      Elle le quitta et alla causer avec les autres, Honoré songeait: «Je tâcherai, quand je sentirai mon coeur se détacher d’elle, de le retenir si doucement, qu’elle ne le sentira même pas. Je serai toujours aussi tendre, aussi respectueux. Je lui cacherai le nouvel amour qui aura remplacé dans mon coeur mon amour pour elle aussi soigneusement que je lui cache aujourd’hui les plaisirs que, seul, mon corps goûte çà et là en dehors d’elle.» (Il jeta les yeux du côté de la princesse d’Alériouvre.) Et de son côté, il la laisserait peu à peu fixer sa vie ailleurs, par d’autres attachements. Il ne serait pas jaloux, désignerait lui-même ceux qui lui paraîtraient pouvoir lui offrir un hommage plus décent ou plus glorieux. Plus il imaginait en Françoise une autre femme qu’il n’aimerait pas, mais dont il goûterait savamment tous les charmes spirituels, plus le partage lui paraissait noble et facile. Les mots d’amitié tolérante et douce, de belle charité à faire aux plus dignes avec ce qu’on possède de meilleur, venaient affluer mollement à ses lèvres détendues. À cet instant, Françoise ayant vu qu’il était dix heures, dit bonsoir et partit. Honoré l’accompagna jusqu’à sa voiture, l’embrassa imprudemment dans la nuit et rentra.

      Trois heures plus tard, Honoré rentrait à pied avec M. de Buivres, dont on avait fêté ce soir-là le retour du Tonkin, Honoré l’interrogeait sur la princesse d’Alériouvre qui, restée veuve à peu près à la même époque, était bien plus belle que Françoise. Honoré, sans en être amoureux, aurait eu grand plaisir à la posséder s’il avait été certain de le pouvoir sans que Françoise le sût et en éprouvât du chagrin.

      «On ne sait trop rien sur elle, dit M. de Buivres, ou du moins on ne savait trop rien quand je suis parti, car depuis que je suis revenu, je n’ai revu personne.

      – En somme, il n’y plus rien de très facile ce soir, conclut Honoré.

      – Non, pas grand-chose», répondit M. de Buivres; et comme Honoré était arrivé à sa porte, la conversation allait se terminer, quand M. de Buivres ajouta:

      «Excepté Mme Seaune, autre à qui vous avez dû être présenté, puisque vous étiez du dîner. Si vous en avez envie, c’est très facile. Mais à moi, elle ne dirait pas ça!

      – Mais je n’ai jamais entendu dire ce que vous dites, dit Honoré.

      – Vous êtes jeune, répondit Buivres et tenez, il y avait ce soir quelqu’un qui se l’est fortement payée, je crois que c’est incontestable, c’est le petit François de Gouvres. Il dit qu’elle a un tempérament! Mais il paraît qu’elle n’est pas bien faite. Il n’a j’as voulu continuer.

      Je parie que pas plus tard qu’en ce moment elle fait la noce quelque part. Avez-vous remarqué comme elle quitte toujours le monde de bonne heure?

      – Elle habite pourtant, depuis qu’elle est veuve, dans la même maison que son frère, et elle ne se risquerait pas à ce que le concierge raconte qu’elle rentre dans la nuit.

      – Mais, mon petit, de dix heures à une heure du matin on a le temps de faire des choses! Et puis est-ce qu’on sait? Mais une heure, il les est bientôt, il faut nous laisser vous coucher…» Il tira lui-même la sonnette; au bout d’un instant, la porte s’ouvrit; Buivres tendit la main à Honoré, qui lui dit adieu machinalement, entra, se sentit en même temps pris du besoin fou de ressortir, mais la porte s’était lourdement refermée sur lui, et excepté son bougeoir qui l’attendait en brûlant avec impatience au pied de l’escalier, il n’y avait plus aucune lumière. Il n’osa pas réveiller le concierge pour se faire ouvrir et monta chez lui.

      II

      «Nos actes sont nos bons et nos mauvais anges,

      les ombres fatales qui marchent à nos côtés.»

BEAUMONT et FLETCHER

      La vie avait bien changé pour Honoré depuis le jour où M. de Buivres lui avait tenu, entre tant d’autres, des propos – semblables à ceux qu’Honoré lui-même avait écoutés ou prononcés tant de fois avec indifférence, mais qu’il ne cessait plus le jour quand il était seul, et toute la nuit, d’entendre. Il avait tout de suite posé quelques questions à Françoise, qui l’aimait trop et souffrait trop de son chagrin pour songer à s’offenser; elle lui avait juré qu’elle ne l’avait jamais trompé et qu’elle ne le tromperait jamais.

      Quand il était près d’elle, quand il tenait ses petites mains à qui il disait, répétant les vers de Verlaine:

      Belles petites mains qui fermerez mes yeux,

      quand il l’entendait lui dire: «Mon frère, mon pays, mon bien-aimé», et que sa voix se prolongeait indéfiniment dans son coeur avec la douceur natale des cloches, il la croyait; et s’il ne se sentait plus heureux comme autrefois, au moins il ne lui semblait pas impossible que son coeur convalescent retrouvât un jour le bonheur. Mais quand il était loin de Françoise, quelquefois aussi quand, étant près d’elle, il voyait ses yeux briller de feux qu’il s’imaginait aussitôt allumés autrefois, – qui sait, peut-être hier comme ils le seraient demain, – allumés par un autre; quand, venant de céder au désir tout physique d’une autre femme, et se rappelant combien de fois il y avait cédé et avait pu mentir à Françoise sans cesser de l’aimer, il ne trouvait plus absurde de supposer qu’elle aussi lui mentait, qu’il n’était même pas nécessaire pour lui mentir de ne pas l’aimer, et qu’avant de le connaître elle s’était jetée sur d’autres avec cette ardeur qui le brûlait maintenant, – et lui paraissait plus terrible que l’ardeur qu’il lui inspirait, à elle, ne lui paraissait douce, parce qu’il la voyait avec l’imagination qui grandit tout.

      Alors, il essaya de lui dire qu’il l’avait trompée; il l’essaya non par vengeance ou besoin de la faire souffrir comme lui, mais pour qu’en retour elle lui dît aussi la vérité, surtout pour ne plus sentir le mensonge habiter en lui, pour expier les fautes de sa sensualité, puisque, pour créer un objet à sa jalousie, il lui semblait par moments que c’était son propre mensonge et sa propre sensualité qu’il projetait en Françoise.

      C’était un soir, en se promenant avenue des Champs-Élysées, qu’il essaya de lui dire qu’il l’avait trompée. Il fut effrayé en la voyant pâlir, tomber sans forces sur un banc, mais bien plus quand elle repoussa sans colère, mais avec douceur, dans un abattement sincère et désolé, la main qu’il approchait d’elle. Pendant deux jours, il crut qu’il l’avait perdue ou plutôt qu’il l’avait retrouvée. Mais cette preuve involontaire, éclatante et triste qu’elle venait de lui donner de son amour, ne suffisait pas à Honoré. Eût-il acquis la certitude impossible qu’elle n’avait jamais été qu’à lui, la souffrance inconnue que son coeur avait apprise le soir ou M. de Buivres l’avait reconduit jusqu’à sa porte, non pas une souffrance СКАЧАТЬ