Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Читать онлайн книгу Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust страница 34

Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ avec cette suavité nouvelle. On nous montrait le lac de Poschiavo, le pizzo di Verone, le val de Viola. Après nous allâmes à un endroit extraordinairement sauvage et solitaire, où la désolation de la nature et la certitude qu’on y était inaccessible à tous, et aussi invisible, invincible, aurait accru jusqu’au délire la volupté de s’aimer là. Je sentis alors vraiment à fond la tristesse de ne t’avoir pas avec moi sous tes matérielles espèces, autrement que sous la robe de mon regret, en la réalité de mon désir. Je descendis un peu jusqu’à l’endroit encore très élevé où les voyageurs venaient regarder. On a dans une auberge isolée un livre où ils écrivent leurs noms. J’écrivis le mien et à côté une combinaison de lettres qui était une allusion au tien, parce qu’il m’était impossible alors de ne pas me donner une preuve matérielle de la réalité de ton voisinage spirituel. En mettant un peu de toi sur ce livre il me semblait que je me soulageais d’autant du poids obsédant dont tu étouffais mon âme. Et puis, j’avais l’immense espoir de te mener un jour là, lire cette ligne; ensuite tu monterais avec moi plus haut encore me venger de toute cette tristesse. Sans que j’aie rien eu à t’en dire, tu aurais tout compris, ou plutôt de tout tu te serais souvenue; et tu t’abandonnerais en montant, pèserais un peu sur moi pour mieux me faire sentir que cette fois tu étais bien là; et moi entre tes lèvres qui gardent un léger parfum de tes cigarettes d’Orient, je trouverais tout l’oubli. Nous dirions très haut des paroles insensées pour la gloire de crier sans que personne au plus loin puisse nous entendre; des herbes courtes, au souffle léger des hauteurs, frémiraient seules. La montée te ferait ralentir tes pas, un peu souffler et ma figure s’approcherait pour sentir ton souffle: nous serions fous. Nous irions aussi là où un lac blanc est à côté d’un lac noir doux comme une perle blanche à côté d’une perle noire. Que nous nous serions aimés dans un village perdu d’Engadine! Nous n’aurions laissé approcher de nous que des guides de montagne, ces hommes si grands dont les yeux reflètent autre chose que les yeux des autres hommes, sont aussi comme d’une autre «eau». Mais je ne me soucie plus de toi. La satiété est venue avant la possession. L’amour platonique lui-même a ses saturations. Je ne voudrais plus t’emmener dans ce pays que, sans le comprendre et même le connaître, tu m’évoques avec une fidélité si touchante. Ta vue ne garde pour moi qu’un charme, celui de me rappeler tout à coup ces noms d’une douceur étrange, allemande et italienne: Sils-Maria, Silva Plana, Crestalta, Samaden, Celerina, Juliers, val de Viola.

      XXIII – Coucher de soleil intérieur

      Comme la nature, l’intelligence a ses spectacles. Jamais les levers de soleil, jamais les clairs de lune qui si souvent m’ont fait délirer jusqu’aux larmes, n’ont surpassé pour moi en attendrissement passionné ce vaste embrasement mélancolique qui, durant les promenades à la fin du jour, nuance alors autant de flots dans notre âme que le soleil quand il se couche en fait briller sur la mer. Alors nous précipitons nos pas dans la nuit. Plus qu’un cavalier que la vitesse croissante d’une bête adorée étourdit et enivre, nous nous livrons en tremblant de confiance et de joie aux pensées tumultueuses auxquelles, mieux nous les possédons et les dirigeons, nous nous sentons appartenir de plus en plus irrésistiblement. C’est avec une émotion affectueuse que nous parcourons la campagne obscure et saluons les chênes pleins de nuit, comme le champ solennel, comme les témoins épiques de l’élan qui nous entraîne et qui nous grise. En levant les yeux au ciel, nous ne pouvons reconnaître sans exaltation, dans l’intervalle des nuages encore émus de l’adieu du soleil, le reflet mystérieux de nos pensées: nous nous enfonçons de plus en plus vite dans la campagne, et le chien qui nous suit, le cheval qui nous porte ou l’ami qui s’est tu, moins encore parfois quand nul être vivant n’est auprès de nous, la fleur à notre boutonnière ou la canne qui tourne joyeusement dans nos mains fébriles, reçoit en regards et en larmes le tribut mélancolique de notre délire.

      XXIV – Comme à la lumière de la lune

      La nuit était venue, je suis allé à ma chambre, anxieux de rester maintenant dans l’obscurité sans plus voir le ciel, les champs et la mer rayonner sous le soleil. Mais quand j’ai ouvert la porte, j’ai trouvé la chambre illuminée comme au soleil couchant. Par la fenêtre je voyais la maison, les champs, le ciel et la mer, ou plutôt il me semblait les «revoir» en rêve; la douce lune me les rappelait plutôt qu’elle ne me les montrait, répandant sur leur silhouette une splendeur pâle qui ne dissipait pas l’obscurité, épaissie comme un oubli sur leur forme. Et j’ai passé des heures à regarder dans la cour le souvenir muet, vague, enchanté et pâli des choses qui, pendant le jour, m’avaient fait plaisir ou m’avaient fait mal, avec leurs cris, leurs voix ou leur bourdonnement.

      L’amour s’est éteint, j’ai peur au seuil de l’oubli; mais apaisés, un peu pâles, tout près de moi et pourtant lointains et déjà vagues, voici, comme à la lumière de la lune, tous mes bonheurs passés et tous mes chagrins guéris qui me regardent et qui se taisent. Leur silence m’attendrit cependant que leur éloignement et leur pâleur indécise m’enivrent de tristesse et de poésie. Et je ne puis cesser de regarder ce clair de lune intérieur.

      XXV – Critique de l’espérance à la lumière de l’amour

      À peine une heure à venir nous devient-elle le présent qu’elle se dépouille de ses charmes, pour les retrouver, il est vrai, si notre âme est un peu vaste et en perspectives bien ménagées, quand nous l’aurons laissée loin derrière nous, sur les routes de la mémoire. Ainsi le village poétique vers lequel nous hâtions le trot de nos espoirs impatients et de nos juments fatiguées exhale de nouveau, quand on a dépassé la colline, ces harmonies voilées, dont la vulgarité de ses rues, le disparate de ses maisons, si rapprochées et fondues à l’horizon, l’évanouissement du brouillard bleu qui semblait le pénétrer, ont si mal tenu les vagues promesses. Mais comme l’alchimiste, qui attribue chacun de ses insuccès à une cause accidentelle et chaque fois différente, loin de soupçonner dans l’essence même du présent une imperfection incurable, nous accusons la malignité des circonstances particulières, les charges de telle situation enviée, le mauvais caractère de telle maîtresse désirée, les mauvaises dispositions de notre santé un jour qui aurait dû être un jour de plaisir, le mauvais temps ou les mauvaises hôtelleries pendant un voyage, d’avoir empoisonné notre bonheur. Aussi certains d’arriver à éliminer ces causes destructives de toute jouissance, nous en appelons sans cesse avec une confiance parfois boudeuse mais jamais désillusionnée d’un rêve réalisé, c’est-à-dire déçu, à un avenir rêvé.

      Mais certains hommes réfléchis et chagrins qui rayonnent plus ardemment encore que les autres à la lumière de l’espérance découvrent assez vite qu’hélas! elle n’émane pas des heures attendues, mais de nos coeurs débordants de rayons que la nature ne connaît pas et qui les versent à torrents sur elle sans y allumer un foyer. Ils ne se sentent plus la force de désirer ce qu’ils savent n’être pas désirable, de vouloir atteindre des rêves qui se flétriront dans leur coeur quand ils voudront les cueillir hors d’eux-mêmes. Cette disposition mélancolique est singulièrement accrue et justifiée dans l’amour. L’imagination en passant et repassant sans cesse sur ses espérances, aiguise admirablement ses déceptions. L’amour malheureux nous rendant impossible l’expérience du bonheur nous empêche encore d’en découvrir le néant. Mais quelle leçon de philosophie, quel conseil de la vieillesse, quel déboire de l’ambition passe en mélancolie les joies de l’amour heureux! Vous m’aimez, ma chère petite; comment avez-vous été assez cruelle pour le dire? Le voilà donc ce bonheur ardent de l’amour partagé dont la pensée seule me donnait le vertige et me faisait claquer des dents!

      Je défais vos fleurs, je soulève vos cheveux, j’arrache vos bijoux, j’atteins votre chair, mes baisers recouvrent et battent votre corps comme la mer qui monte sur le sable; mais vous-même m’échappez et avec vous le bonheur. Il faut vous quitter, je rentre seul et plus triste. Accusant cette calamité dernière, je retourne à jamais auprès de vous; c’est ma dernière illusion que j’ai arrachée, СКАЧАТЬ