Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Читать онлайн книгу Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust страница 33

Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ et glacé, Tout à l’heure, dans ta chambre, tes amis de la veille, tes projets du lendemain, – autant d’ennemis, autant de complots tramés contre moi, – tes pensées de l’heure, autant de lieues vagues et infranchissables, – me séparaient de toi. Maintenant que je suis loin de toi, cette présence imparfaite, masque fugitif de l’éternelle absence que les baisers soulèvent bien vite, suffirait, il me semble, à me montrer ton vrai visage et à combler les aspirations de mon amour. Il a fallu partir; que triste et glacé je reste loin de toi! Mais, par quel enchantement soudain les rêves familiers de notre bonheur recommencent-ils à monter, épaisse fumée sur une flamme claire et brûlante, à monter joyeusement et sans interruption dans ma tête? Dans ma main, réchauffée sous les couvertures, s’est réveillée l’odeur des cigarettes de roses que tu m’avais fait fumer. J’aspire longuement la bouche collée à ma main le parfum qui, dans la chaleur du souvenir, exhale d’épaisses bouffées de tendresse, de bonheur et de «toi». Ah! ma petite bien-aimée, au moment où je peux si bien me passer de toi, où je nage joyeusement dans ton souvenir – qui maintenant emplit la chambre – sans avoir à lutter contre ton corps insurmontable, je te le dis absurdement, je te le dis irrésistiblement, je ne peux pas me passer de toi.

      C’est ta présence qui donne à ma vie cette couleur fine, mélancolique et chaude comme aux perles qui passent la nuit sur ton corps. Comme elles, je vis et tristement me nuance à ta chaleur, et comme elles, si tu ne me gardais pas sur toi je mourrais.

      XXI – Les rivages de l’oubli

      «On dit que la Mort embellit ceux qu’elle frappe et exagère leurs vertus, mais c’est bien plutôt en général la vie qui leur faisait tort. La mort, ce pieux et irréprochable témoin, nous apprend, selon la vérité, selon la charité, qu’en chaque homme il y a ordinairement plus de bien que de mal.» Ce que Michelet dit ici de la mort est peut-être encore plus vrai de cette mort qui suit un grand amour malheureux. L’être qui après nous avoir tant fait souffrir ne nous est plus rien, est-ce assez de dire, suivant l’expression populaire, qu’il est «mort pour nous». Les morts, nous les pleurons, nous les aimons encore, nous subissons longtemps l’irrésistible attrait du charme qui leur survit et qui nous ramène souvent près des tombes. L’être au contraire qui nous a fait tout éprouver et de l’essence de qui nous sommes saturés ne peut plus maintenant faire passer sur nous l’ombre même d’une peine ou d’une joie. Il est plus que mort pour nous. Après l’avoir tenu pour la seule chose précieuse de ce monde, après l’avoir maudit, après l’avoir méprisé, il nous est impossible de le juger, à peine les traits de sa figure se précisent-ils encore devant les yeux de notre souvenir, épuisés d’avoir été trop longtemps fixés sur eux. Mais ce jugement sur l’être aimé, jugement qui a tant varié, tantôt torturant de ses clairvoyances notre coeur aveugle, tantôt s’aveuglant aussi pour mettre fin à ce désaccord cruel, doit accomplir une oscillation dernière.

      Comme ces paysages qu’on découvre seulement des sommets, des hauteurs du pardon apparaît dans sa valeur véritable celle qui était plus que morte pour nous après avoir été notre vie elle-même. Nous savions seulement qu’elle ne nous rendait pas notre amour, nous comprenons maintenant qu’elle avait pour nous une véritable amitié. Ce n’est pas le souvenir qui l’embellit, c’est l’amour qui lui faisait tort. Pour celui qui veut tout, et à qui tout, s’il l’obtenait, ne suffirait pas, recevoir un peu ne semble qu’une cruauté absurde. Maintenant nous comprenons que c’était un don généreux de celle que notre désespoir, notre ironie, notre tyrannie perpétuelle n’avaient pas découragée. Elle fut toujours douce. Plusieurs propos aujourd’hui rapportés nous semblent d’une justesse indulgente et pleine de charme, plusieurs propos d’elle que nous croyions incapable de nous comprendre parce qu’elle ne nous aimait pas. Nous, au contraire, avons parlé d’elle avec tant d’égoïsme injuste et de sévérité. Ne lui devons-nous pas beaucoup d’ailleurs? Si cette grande marée de l’amour s’est retirée à jamais, pourtant, quand nous nous promenons en nous-mêmes nous pouvons ramasser des coquillages étranges et charmants et, en les portant à l’oreille, entendre avec un plaisir mélancolique et sans plus en souffrir la vaste rumeur d’autrefois. Alors nous songeons avec attendrissement à celle dont notre malheur voulut qu’elle fût plus aimée qu’elle n’aimait. Elle n’est plus «plus que morte» pour nous. Elle est une morte dont on se souvient affectueusement.

      La justice veut que nous redressions l’idée que nous avions d’elle.

      Et par la toute-puissante vertu de la justice, elle ressuscite en esprit dans notre coeur pour paraître à ce jugement dernier que nous rendons loin d’elle, avec calme, les yeux en pleurs.

      XXII – Présence réelle

      Nous nous sommes aimés dans un village perdu d’Engadine au nom deux fois doux: le rêve des sonorités allemandes s’y mourait dans la volupté des syllabes italiennes. À l’entour, trois lacs d’un vert inconnu baignaient des forêts de sapins. Des glaciers et des pics fermaient l’horizon. Le soir, la diversité des plans multipliait la douceur des éclairages. Oublierons-nous jamais les promenades au bord du lac de Sils-Maria, quand l’après-midi finissait, à six heures? Les mélèzes d’une si noire sérénité quand ils avoisinent la neige éblouissante tendaient vers l’eau bleu pâle, presque mauve, leurs branches d’un vert suave et brillant. Un soir l’heure nous fut particulièrement propice; en quelques instants, le soleil baissant, fit passer l’eau par toutes les nuances et notre âme par toutes les voluptés. Tout à coup nous fîmes un mouvement, nous venions de voir un petit papillon rose, puis deux, puis cinq, quitter les fleurs de notre rive et voltiger au-dessus du lac. Bientôt ils semblaient une impalpable poussière de rose emportée, puis ils abordaient aux fleurs de l’autre rive, revenaient et doucement recommençaient l’aventureuse traversée, s’arrêtant parfois comme tentés au-dessus de ce lac précieusement nuancé alors comme une grande fleur qui se fane. C’en était trop et nos yeux s’emplissaient de larmes. Ces petits papillons, en traversant le lac, passaient et repassaient sur notre âme, – sur notre âme toute tendue d’émotion devant tant de beautés, prête à vibrer, – passaient et repassaient comme un archet voluptueux. Le mouvement léger de leur vol n’effleurait pas les eaux, mais caressait nos yeux, nos coeurs, et à chaque coup de leurs petites ailes roses nous manquions de défaillir. Quand nous les aperçûmes qui revenaient de l’autre rive, décelant ainsi qu’ils jouaient et librement se promenaient sur les eaux, une harmonie délicieuse résonna pour nous; eux cependant revenaient doucement avec mille détours capricieux qui varièrent l’harmonie primitive et dessinaient une mélodie d’une fantaisie enchanteresse. Notre âme devenue sonore écoutait en leur vol silencieux une musique de charme et de liberté et toutes les douces harmonies intenses du lac, des bois, du ciel et de notre propre vie l’accompagnaient avec une douceur magique qui nous fit fondre en larmes.

      Je ne t’avais jamais parlé et tu étais même loin de mes yeux cette année-là. Mais que nous nous sommes aimés alors en Engadine! Jamais je n’avais assez de toi, jamais je ne te laissais à la maison. Tu m’accompagnais dans mes promenades, mangeais à ma table, couchais dans mon lit, rêvais dans mon âme. Un jour – se peut-il qu’un sûr instinct, mystérieux messager, ne t’ait pas avertie de ces enfantillages où tu fus si étroitement mêlée, que tu vécus, oui, vraiment vécus, tant tu avais en moi une «présence réelle»? – un jour (nous n’avions ni l’un ni l’autre jamais vu l’Italie), nous restâmes comme éblouis de ce mot qu’on nous dit de l’Alpgrun: «De là on voit jusqu’en Italie.» Nous partîmes pour l’Alpgrun, imaginant que, dans le spectacle étendu devant le pic, là où commencerait l’Italie, le paysage réel et dur cesserait brusquement et que s’ouvrirait dans un fond de rêve une vallée toute bleue. En route, nous nous rappelâmes qu’une frontière ne change pas le sol et que si même il changeait ce serait trop insensiblement pour que nous puissions le remarquer ainsi, tout d’un coup. Un peu déçus nous ruons pourtant d’avoir été si petits enfants tout à l’heure.

      Mais en arrivant au sommet, nous СКАЧАТЬ