Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron
Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373825
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XXII. Mais une injustice, pour ne pas dire une impudence bien commune parmi les hommes, c’est de vouloir que leurs amis soient tels qu’ils ne sauraient être eux-mêmes, et d’en exiger ce qu’eux-mêmes ne font pas. La raison veut que nous commencions par être hommes de bien, et qu’ensuite nous cherchions qui nous ressemble. Ce n’est qu’entre des hommes vertueux que peut s’établir cette constance en amitié dont nous parlons déjà depuis longtemps : unis par la bienveillance, maîtrisant les passions dont les autres sont esclaves, amis de l’équité et de la justice, ils seront toujours prêts à faire tout l’un pour l’autre, ne se demanderont que des choses justes et honnêtes, et se témoigneront ainsi, non seulement de la déférence et du zèle, mais du respect ; car bannir le respect de l’amitié, c’est lui faire perdre le plus beau de ses ornements. Ceux-là donc sont dans une funeste erreur, qui pensent que l’amitié favorise le libertinage et tous les genres de désordres. Elle nous a été donnée par la nature pour être le support de la vertu et non la complice du vice, afin que la vertu, qui ne pourrait dans l’isolement s’élever aux grandes choses, pût y parvenir avec l’appui d’une telle alliance ; et ceux pour qui cette alliance existe, ou a existé, ou doit exister un jour, la regarderont à juste titre comme la meilleure et la plus heureuse qu’on puisse former pour arriver au souverain bien.
C’est dans cette association, dis-je, qu’on trouve tout ce qui mérite l’amour des hommes, l’honnêteté, la gloire, la tranquillité et la joie de l’âme, tous ces biens qui font le bonheur de la vie, et sans lesquels on ne peut être heureux. Pour parvenir à cette félicité suprême, il faut pratiquer la vertu, sans laquelle nous ne saurions jouir ni de l’amitié, ni d’aucune chose vraiment désirable. Ceux qui négligeront la vertu et croiront néanmoins avoir des amis, reconnaîtront leur erreur au premier jour de l’adversité. Il faut donc (on ne saurait trop le répéter) tâcher de connaître avant d’aimer, et non pas lorsqu’on aime(22) ; et si notre négligence nous est funeste dans bien des choses, c’est surtout dans le choix et dans le commerce de nos amis. Les précautions arrivent alors trop tard, et, comme on dit, nous finissons par où il aurait fallu commencer. Après s’être liés de toute manière, soit par un commerce de tous les jours, soit même par des services, une offense reçue vient tout à coup rompre une amitié dont les nœuds étaient formés depuis longtemps. Une si grande insouciance dans une affaire aussi importante est bien condamnable.
XXIII. En effet, rien au monde n’est reconnu généralement pour utile, que l’amitié. La vertu elle-même est l’objet du dédain de certains hommes qui ne voudraient la faire passer que pour une vaine ostentation, une espèce de charlatanerie. Plusieurs méprisent les richesses et se plaisent dans la médiocrité. Les honneurs qui enflamment les désirs de tant d’autres, combien d’hommes qui les dédaignent et les regardent comme ce qu’il y a de plus futile et de plus frivole sur la terre ! Il en est de même de tout le reste ; ce qui est admirable pour les uns n’est rien aux yeux des autres. Mais sur le compte de l’amitié il n’y a qu’une voix, qu’une seule opinion : et ceux qui gouvernent les affaires publiques, et ceux qui se livrent à l’étude et aux recherches savantes, et ceux qui bornent leurs soins à leurs intérêts particuliers, tous enfin, ceux même dont le plaisir est la seule occupation, pour peu qu’il leur reste quelque noblesse dans l’âme, tous conviennent que la vie n’est rien sans l’amitié. Elle s’insinue, je ne sais comment, dans tous les états ; elle étend sa douce influence sur toutes les conditions, et ne souffre point qu’on se passe d’elle. Bien plus, s’il existe un homme d’un naturel assez sauvage, assez farouche, pour fuir, pour détester la compagnie des hommes, comme faisait, à ce qu’on dit, un certain Timon d’Athènes, il faudra encore qu’il cherche quelqu’un auprès de qui il puisse exhaler son venin. Cette vérité serait surtout mise dans le plus grand jour, si quelque dieu enlevait un homme du milieu de ses semblables, et le plaçait dans quelque désert, où, lui fournissant en abondance tout ce que la nature peut désirer, il lui refuserait absolument le moyen et l’espérance de voir jamais personne : quelle est l’âme de fer qui pût à ce prix-là supporter la vie, et, dans cette affreuse solitude, trouver encore quelque charme à la jouissance de tous les plaisirs ? Une chose bien vraie, c’est ce que disait souvent Archytas de Tarente, comme je l’ai appris de quelques vieillards à qui d’autres l’avaient rapporté(23) : Que si quelqu’un montait au ciel, que de là il contemplât le spectacle du monde et la beauté des astres, il ne serait que faiblement touché de toutes ces merveilles, qui l’eussent jeté dans le ravissement, s’il eût eu quelqu’un à qui les raconter. Ainsi, la nature de l’homme répugne à la solitude, et semble chercher toujours un support : elle en trouve un bien doux dans l’amitié. Mais tandis que cette même nature manifeste par tant de signes ses volontés, ses désirs, ses besoins, je ne sais par quelle fatalité nous demeurons sourds aux avertissements et aux conseils qu’elle nous donne.
XXIV. Comme l’amitié embrasse tous les détails de la vie, on a souvent des sujets de plainte et de soupçon, qu’il est sage de prévenir, ou de détruire, ou de supporter. La seule occasion où l’on ne doive pas craindre d’offenser un ami, c’est quand il faut lui dire la vérité et parler avec franchise(24) ; car il arrive souvent qu’un ami a besoin d’être averti ou réprimandé ; et nous-mêmes nous devons prendre en bonne part ces remontrances, quand on nous les fait par amitié. Mais il n’en est pas moins vrai que, comme le dit mon ami Térence dans son Andrienne[23],
« La complaisance flatte, et la vérité blesse. »
La vérité est fâcheuse, sans doute, lorsqu’elle produit la haine, qui est le poison de l’amitié ; mais la complaisance est funeste ; car, en excusant les fautes d’un ami, elle le précipite à sa ruine. Le plus coupable est celui qui méprise la vérité, et se laisse pousser au mal par la flatterie. Nous devons donc mettre notre attention et et nos soins à écarter de nos avertissements l’âpreté, et de nos reproches l’injure. Que notre complaisance (pour ne point changer le mot dont Térence s’est servi) se borne aux égards de la politesse ; mais loin de nous cette flatterie qui favorise le vice, et qui est indigne, je ne dis pas d’un ami, mais d’un homme libre ; car on doit vivre avec son ami autrement qu’avec un tyran. Quant à celui qui repousse la vérité, jusqu’à ne pouvoir l’entendre de la bouche de son ami, il faut désespérer de son salut. Caton, qui nous a laissé tant de sages maximes, prétendait que nous avions souvent plus d’obligation à des ennemis déclarés qu’à des amis trop indulgents, parce que ceux-là nous disent souvent la vérité, et que ceux-ci ne la disent jamais. Il est contre toute raison que les hommes qu’on avertit de leurs fautes, ne ressentent pas la peine qu’ils devraient ressentir, et ressentent précisément celle qu’ils devraient s’épargner. Au lieu d’être fâchés d’avoir mal fait, ils le sont d’être repris. Il faudrait, au contraire, se repentir de la faute qu’on a faite, et s’applaudir de l’avis qu’on reçoit.
XXV. Puisque c’est le propre de la vraie amitié de donner et de recevoir des avis, de les donner avec franchise et sans âpreté, et de les recevoir sans impatience et avec douceur, il suit de là qu’il n’est rien de plus pernicieux en amitié que la flatterie, les manières doucereuses, la complaisance outrée. On ne saurait employer trop d’expressions différentes pour mieux signaler le vice de ces hommes frivoles et artificieux, toujours prêts à dire ce que vous voulez, et jamais СКАЧАТЬ