Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron
Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373825
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On dit non, je dis non ; on dit oui, je le dis ;
Jamais je ne conteste, et toujours j’applaudis.
C’est encore Térence qui parle, ou plutôt qui fait parler Gnathon[24]. Il y a bien de l’imprudence à se lier avec des amis de cette espèce ; mais le caractère de ces Gnathons n’étant point rare parmi des hommes d’une réputation, d’une fortune, d’un rang plus élevé, il est à craindre que leur autorité ne rende leurs adulations encore plus funestes. Avec de l’attention, on distinguera le flatteur du véritable ami(26), comme on distingue les choses fardées et artificielles de celles qui sont naturelles et vraies. Une assemblée publique, quoique composée d’hommes sans lumières, juge pourtant la différence qu’il y a entre l’homme populaire, c’est-à-dire l’adulateur du peuple, l’homme frivole, et le citoyen grave et sévère. Par quelles basses flatteries C. Papirius ne chercha-t-il pas dernièrement à séduire l’assemblée du peuple, lorsqu’il voulait faire passer sa loi de la réélection des tribuns ? Je m’élevai contre cette proposition. Mais je ne parlerai pas de moi, je parlerai seulement et avec plaisir de Scipion. Quelle gravité, grands dieux ! quelle majesté dans sa harangue ! Vous eussiez dit du chef des Romains et non de leur concitoyen[25] ; mais vous y étiez présents, et sa harangue a été publiée. Aussi cette loi, quoique populaire, fut rejetée par les suffrages du peuple même. Et pour en revenir à moi, vous vous souvenez de la loi que voulait faire passer C. Licinius Crassus, sous le consulat de Q. Maximus, frère de Scipion, et de L. Mancinus, et vous n’avez pas oublié combien elle était populaire : elle transportait au peuple la nomination des collèges. De plus, ce Crassus avait donné le premier l’exemple de se tourner vers le peuple en parlant dans le forum(27). Cependant la religion des dieux immortels, défendue par nous, l’emporta facilement sur les flatteries de son discours. Je soutins cette lutte pendant ma préture, cinq ans avant mon consulat ; ce ne fut donc pas une autorité imposante qui triompha, mais la vérité. XXVI. Si donc sur la scène même, et j’appelle ainsi l’assemblée du peuple, où dominent l’illusion et tous les genres de prestiges, la vérité, pour peu qu’elle se montre et qu’elle brille aux yeux, exerce une influence si puissante, quelle force ne doit-elle pas avoir dans l’amitié, qui repose tout entière sur la vérité ? Si votre âme, comme on dit, ne se montre à nu ; si vous ne lisez dans celle de votre ami, plus de confiance, plus de sécurité : vous ne pourrez même jamais aimer ni être aimé, tant qu’il y aura des doutes entre vous et votre ami. Il faut le dire cependant, la flatterie en amitié, quoique pernicieuse, ne peut nuire qu’à celui qui la reçoit et qui s’y livre avec plaisir. Nul ne prête une oreille plus favorable aux flatteurs que celui qui se flatte lui-même avec le plus de complaisance. La vertu s’aime beaucoup elle-même, parce qu’elle se connaît parfaitement, et qu’elle sent combien elle est aimable. Mais je ne veux parler maintenant que de la réputation de vertu. Bien des gens, en effet, cherchent moins à être vertueux qu’à le paraître. Ce sont ceux-là qui aiment la flatterie : lorsque le flatteur, pour leur plaire, leur donne des louanges, ils s’imaginent que ce vain discours est l’éclatant témoignage de leur mérite. L’amitié ne peut donc subsister entre deux hommes, quand l’oreille de l’un est toujours fermée à la vérité, et la bouche de l’autre toujours ouverte pour le mensonge. C’est plutôt la crédulité des soldats fanfarons qui nous fait rire dans les comédies, que les flatteries des parasites.
Thaïs me fait, dis-tu, mille remerciements ?
Il suffisait de répondre : Oui, mille. Mais le flatteur dit, un million ; car il exagère tout au gré de celui qui l’écoute. Quoique cette flatterie mensongère n’ait de valeur qu’auprès de ceux qui la recherchent et la provoquent, il y a pourtant un conseil à donner aux hommes graves et raisonnables ; c’est de se tenir en garde contre la flatterie adroite et masquée. Un flatteur impudent ne peut tromper qu’un imbécille. Mais on ne saurait assez se prémunir contre les insinuations du flatteur qui se cache et se déguise : il n’est pas toujours facile de découvrir ses ruses. Souvent même il ne vous contredit que pour se ranger ensuite de votre avis ; il ne combat votre opinion que pour mieux vous flatter, en finissant par rendre les armes, par s’avouer vaincu ; et cette victoire qu’il vous accorde est un moyen de vous faire plus sûrement sa dupe[26]. Est-il un rôle plus humiliant ? Soyons donc sur nos gardes ; craignons qu’on ne dise de nous, comme dans l’Épiclérus :
Vous avez aujourd’hui bien berné devant moi
Tous ces vieux radoteurs, barbons de comédie.
Les vieillards crédules et imprévoyants sont en effet les personnages de comédie les plus insensés. Mais nous sommes tombés, je ne sais comment, de l’amitié des honnêtes gens, c’est-à-dire des sages (je prends ce mot dans le sens usuel), aux amitiés superficielles et trompeuses. Revenons enfin à la véritable amitié, et terminons cet entretien.
XXVII. La vertu, la vertu, je le répète, Fannius et Scévola, produit l’amitié et la conserve ; car tout se trouve en elle, sympathie, stabilité, constance. Dès qu’elle se montre dans quelqu’un, dès qu’elle y fait briller ses rayons, et qu’elle les aperçoit et les reconnaît dans un autre, ce sont alors deux êtres qui s’attirent, se rapprochent pour se confondre[27], et s’enflamment ainsi ou d’amour ou d’amitié ; sentiments qui ne sont que deux différentes manières d’aimer. Or, aimer n’est autre chose que chérir quelqu’un pour lui-même, et sans aucune vue d’intérêt et d’utilité. Cependant cette utilité naît infailliblement de l’amitié même ; on n’y songeait pas, mais elle en est inséparable. C’est ainsi que, dans ma jeunesse, j’aimai des hommes illustres bien plus âgés que moi, L. Paullus, M. Caton, C. Gallus, P. Nasica, Tib. Gracchus(28), beau-père de mon cher Scipion. L’amitié est encore plus vive entre gens de même âge, tels que nous étions Scipion et moi, et L. Furius, P. Rutilius, Sp. Mummius. Je me complais à mon tour, à présent que je suis vieux, dans l’amitié des jeunes gens, comme dans la vôtre, dans celle de Q. Tubéron, même dans celle de P. Rutilius et d’A. Virginius, dont la société me plaît beaucoup, malgré leur grande jeunesse. Toutefois, puisque la succession des âges est dans l’ordre de la nature, il est bien à désirer de pouvoir passer la vie avec ceux de son âge, et d’arriver, pour ainsi dire, à la borne avec ceux même à qui la barrière a été ouverte en même temps qu’à nous. Mais les choses humaines sont si incertaines, si fragiles ! faisons-nous donc toujours des amis que nous chérissions et qui nous chérissent. Si vous ôtez de la vie la bienveillance et l’affection, vous en bannissez toute la douceur. Scipion, quoiqu’il m’ait été si subitement enlevé, vit encore et vivra toujours pour moi ; car c’est sa vertu que j’aimais, et elle n’a point péri. Et ce n’est pas pour moi seul, qui en ai joui sans cesse, que sa vertu existe encore ; elle passera dans tout son éclat à la postérité. Nul homme ne concevra, n’entreprendra jamais rien de grand sans se proposer Scipion pour modèle, sans avoir son image devant les yeux.
Oui, de tous les biens que j’ai reçus de la nature ou de la fortune, il n’en est aucun que je puisse comparer à l’amitié de Scipion. Par elle, nous n’avons eu qu’un même sentiment sur les intérêts de l’état, qu’un même conseil dans nos affaires domestiques ; par elle, nos loisirs ont été remplis de charmes. Jamais, que je sache, je ne l’offensai dans la moindre chose ; jamais il ne sortit de sa bouche une parole que je n’eusse pas voulu entendre. Nous habitions la même maison, nous vivions à la même table, et jamais on ne nous vit séparés ni à la guerre, СКАЧАТЬ