Название: La Guerre et la Paix (Texte intégral)
Автор: León Tolstoi
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066445522
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Et elle éclata de rire.
«Voilà comment il est reçu partout, et il peut, quand il le voudra, devenir aide de camp de l’empereur, car l’empereur, vous le savez, s’est entretenu très gracieusement avec lui! Nous le disions justement, Annette et moi, ce serait si facile à arranger! Qu’en pensez-vous?»
Pierre regarda le prince André et se tut en voyant que son ami paraissait contrarié.
«Quand partez-vous? Demanda-t-il.
– Ah! Ne me parlez pas de ce départ, je ne veux pas en entendre parler, reprit la princesse de cet air à la fois capricieux et enjoué qu’elle avait eu avec Hippolyte, mais qui, dans ce cercle intime dont Pierre faisait partie, détonnait singulièrement. Lorsque j’ai pensé aujourd’hui qu’il me faudra rompre avec toutes des chères relations… je…, et puis, sais-tu, André, et elle lui fit un imperceptible clignement d’yeux en frissonnant… j’ai peur!»
Son mari la regarda stupéfait, comme s’il venait seulement de s’apercevoir de sa présence. Il lui répondit pourtant avec une froide politesse:
«Que craignez-vous, Lise? Je ne vous comprends pas.
– Voilà bien les hommes! Des égoïstes, tous des égoïstes! Parce qu’il lui est venu une fantaisie, il m’abandonne, Dieu sait pourquoi, et m’enferme toute seule à la campagne.
– Avec mon père et ma sœur, vous l’oubliez.
– Cela revient au même; j’y serai seule, loin de mes amis à moi, et il veut que je sois tranquille?»
Elle parlait d’un ton boudeur; sa lèvre relevée, loin de donner à sa physionomie une expression souriante, lui prêtait au contraire quelque chose qui faisait songer à un méchant petit rongeur. Elle se tut, ne trouvant peut-être pas convenable de faire allusion à sa grossesse devant Pierre, car là était le nœud de la situation.
«Je ne puis pourtant pas deviner de quoi vous avez peur,» reprit lentement son mari, sans la quitter du regard.
La princesse rougit et fit un geste de désespoir.
«André, André, pourquoi êtes-vous si changé?
– Votre médecin vous défend de veiller; vous devriez aller vous mettre au lit.»
La princesse ne répondit rien, mais ses lèvres tremblèrent, tout à coup. Quant à lui, il se leva, haussa les épaules et se mit à arpenter son cabinet.
Pierre, naïvement surpris, les observait tous deux; enfin il fit un mouvement comme pour se lever, mais il s’arrêta.
«Ça m’est égal que monsieur Pierre soit présent, s’écria la princesse, dont la jolie figure fit la grimace de l’enfant qui va pleurer. Il y a longtemps, André, que je voulais te le demander: pourquoi es-tu devenu tout autre avec moi? Que t’ai-je fait? Tu vas rejoindre l’armée, tu n’as aucune pitié pour moi. Pourquoi?
– Lise!» dit le prince André.
Et ce seul mot contenait à la fois la prière, la menace et l’assurance qu’elle allait regretter ses paroles.
Elle continua pourtant avec précipitation:
«Tu me traites en malade ou en enfant. Je vois tout… Tu n’étais pas ainsi il y a six mois!
– Lise, finissez, je vous en prie,» reprit son mari en élevant la voix.
Pierre, dont l’agitation n’avait fait que croître pendant cet entretien, se leva et s’approcha de la jeune femme. Il paraissait ne pouvoir supporter la vue de ses larmes, et l’on aurait dit qu’il était prêt à pleurer avec elle.
«Calmez-vous, princesse; ce sont des idées… J’ai éprouvé cela aussi… je vous assure… enfin… non, excusez-moi; je suis de trop comme étranger. Tranquillisez-vous. Adieu!»
Le prince André le retint.
«Non, Pierre; attends. La princesse est trop bonne pour me priver du plaisir de passer ma soirée avec toi.
– Oui, il ne pense qu’à lui, murmura-t-elle, sans pouvoir retenir des larmes de dépit.
– Lise!» reprit sèchement le prince André, dont la voix était montée au diapason qui indiquait que sa patience était à bout.
Tout à coup sur son joli minois d’écureuil en colère se répandit cette expression craintive, timide et timorée que prend souvent un chien lorsque, de sa queue abaissée, il frappe la terre rapidement et sans bruit.
«Mon Dieu, mon Dieu,» murmura-t-elle en jetant à son mari un regard sournois, puis, relevant sa robe d’une main, elle s’approcha de lui et lui mit un baiser sur le front.
«Bonsoir, Lise,» dit-il en se levant à son tour et en lui baisant la main, comme à une étrangère.
VIII
Les deux amis se taisaient. Ni l’un ni l’autre ne se décidait à parler. Pierre regardait à la dérobée le prince André, qui se frottait le front de sa petite main.
«Allons souper,» dit-il en soupirant, et il se dirigea vers la porte. Ils entrèrent dans une magnifique salle à manger nouvellement décorée. Les cristaux, l’argenterie, la vaisselle, le linge damassé, tout portait l’empreinte de la nouveauté, cette marque distinctive des jeunes ménages. Au milieu du souper, le prince André s’accouda sur la table et se mit à parler avec une irritation nerveuse que Pierre n’avait jamais remarquée en lui, et comme un homme qui a quelque chose sur le cœur depuis longtemps et qui se décide enfin à entrer dans la voie des confidences.
«Mon cher ami, ne te marie que lorsque tu auras fait tout ce que tu veux faire, lorsque tu auras cessé d’aimer la femme de ton choix et que tu l’auras bien étudiée; autrement, tu te tromperas cruellement et d’une façon irréparable! Marie-toi plutôt vieux et bon à rien! Alors tu ne risqueras pas de gaspiller tout ce qu’il y a en toi d’élevé et de bon. Oui, tout s’éparpille en menue monnaie! Oui, c’est ainsi; tu as beau me regarder de cet air étonné. Si tu comptais devenir quelque chose par toi-même, tu sentiras à chaque pas que tout est fini, que tout est fermé pour toi, sauf les salons où tu coudoieras un laquais de cour et un idiot… Mais à quoi sert de…?»
Et sa main retomba avec force sur la table.
Pierre ôta ses lunettes. Ce mouvement, en changeant complètement sa figure, laissait mieux encore voir sa bonté et sa stupéfaction.
«Ma femme, continua le prince André, est une excellente femme, une de celles avec lesquelles l’honneur d’un mari n’a rien à craindre; mais que ne donnerais-je pas en ce moment, grands dieux! Pour n’être pas marié! Tu es le premier et le seul à qui je l’avoue, parce que je СКАЧАТЬ