La Guerre et la Paix (Texte intégral). León Tolstoi
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Название: La Guerre et la Paix (Texte intégral)

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066445522

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СКАЧАТЬ le feu paraissait toujours éteint, brillaient et rayonnaient avec éclat. On devinait qu’il était d’autant plus violent dans ces courts instants d’irritabilité maladive, qu’il semblait faible et sans vigueur dans son état habituel.

      «Tu ne me comprends pas, et c’est pourtant l’histoire de toute une existence! Tu parles de Bonaparte et de sa carrière, continua-t-il, bien que Pierre n’en eût pas soufflé mot… mais Bonaparte, lorsqu’il travaillait, marchait à son but, pas à pas, il était libre, il n’avait que cet objet en vue, et il l’a atteint. Mais que tu aies le malheur de te lier à une femme, et te voilà enchaîné comme un forçat; tout ce que tu sentiras en toi de forces et d’aspirations ne fera que t’accabler et te remplir de regrets. Les commérages de salon, les bals, la vanité, la mesquinerie, voilà le cercle magique qui te retiendra. Je m’en vais à présent faire la guerre, une des plus formidables guerres qui aient jamais eu lieu, et je ne sais rien, je ne suis capable de rien; mais en revanche je suis très aimable, très caustique, et l’on m’écoute chez MlleSchérer! Et puis cette société stupide dont ma femme ne peut se passer!… Si seulement tu savais ce qu’elles valent, toutes ces femmes distinguées et toutes les femmes en général. Mon père a raison! L’égoïsme, la vanité, la sottise, la médiocrité en tout… voilà les femmes, lorsqu’elles se montrent comme elles sont. À les voir dans le monde, on pourrait croire qu’il y a en elles autre chose; mais non, rien, rien! Oui, mon ami, ne te marie pas…»

      Ce furent les dernières paroles du prince André.

      «Ce qui me paraît singulier, dit Pierre, c’est que vous, vous puissiez vous trouver incapable, et croire que vous avez manqué votre vie, quand l’avenir est devant vous et que…»

      Son intonation faisait voir en quelle haute estime il tenait son ami et tout ce qu’il en attendait.

      Quel droit a-t-il de parler ainsi, pensait Pierre, pour qui le prince André était le type de toutes les perfections, justement parce qu’il avait en lui la qualité qu’il sentait lui manquer à lui-même, c’est-à-dire la force de volonté. Il avait toujours admiré chez son ami la facilité et l’égalité de ses rapports avec des gens de toute espèce, sa mémoire merveilleuse, ses connaissances variées, car il lisait tout ou prenait un aperçu de toute chose, ainsi que son aptitude au travail et à l’étude. Si Pierre était frappé de ne point rencontrer chez André de dispositions à la philosophie spéculative, ce qui était son faible à lui, il n’y voyait point un défaut, mais une force de plus.

      Dans les relations les plus intimes, les plus amicales et les plus simples, la flatterie et la louange sont aussi nécessaires que l’huile qui graisse le rouage et le fait marcher.

      «Je suis un homme fini, aussi ne parlons plus de moi, mais de toi,» reprit le prince André, après un moment de silence, et en souriant à cette heureuse diversion.

      Le visage de Pierre refléta aussitôt ce changement de physionomie.

      «De moi? Dit-il, et sa bouche s’épanouit en un sourire joyeux et inconscient…? Mais, de moi, il n’y a rien à dire. Que suis-je d’ailleurs? Un bâtard!… – Et il rougit subitement, car il avait fait pour prononcer ce mot un visible effort, – Sans nom, sans fortune, et… en vérité… je suis libre et content, pour le moment, du moins. Seulement je ne sais, vous l’avouerai-je, ce que je dois entreprendre, et je tenais sérieusement à vous demander conseil là-dessus.»

      Le prince André le regardait avec une affectueuse bienveillance; mais cette bienveillance amicale laissait cependant deviner la conscience qu’il avait de sa supériorité.

      «J’ai de l’affection pour toi, parce que tu es le seul homme vivant, dans tout notre cercle; tu es satisfait; eh bien! Choisis à ton goût, le choix importe peu. Tu seras bien partout; mais cesse de voir, je t’en prie, ces Kouraguine; cesse de mener cette existence; cela te va si peu, toute cette débauche, cette vie à la hussarde, cette…

      – Que voulez-vous, mon cher, dit Pierre en haussant les épaules; les femmes, mon ami, les femmes!

      – Je n’admets pas cela, répondit André: les femmes comme il faut, oui, mais pas celles de Kouraguine; celles-là et le vin, je n’admets pas cela.»

      Pierre demeurait chez le prince Basile et partageait la vie dissipée de son fils cadet Anatole, celui-là même qu’on voulait marier à la sœur du prince André pour tâcher de le corriger.

      «Savez-vous, dit Pierre, comme s’il lui était venu tout à coup une heureuse inspiration, j’y ai sérieusement réfléchi depuis longtemps! Grâce à ce genre de vie, je ne puis ni me décider, ni penser à rien. J’ai des maux de tête et pas d’argent. Il m’a encore invité pour ce soir, mais je n’irai pas!

      – Donne-moi ta parole d’honneur que tu cesseras d’y aller.

      – Je vous la donne!»

      IX

      Il était une heure passée lorsque Pierre quitta son ami. C’était par une nuit de juin, une de ces nuits de Pétersbourg, presque sans crépuscule; il monta dans une voiture de louage avec l’intention bien arrêtée de rentrer chez lui. Mais plus il avançait, plus il sentait qu’il lui serait impossible de dormir pendant cette nuit qui ressemblait au matin ou au soir d’un beau jour. Son regard plongeait au loin dans les rues désertes. Chemin faisant, il se rappela que la société habituelle des joueurs devait se trouver réunie chez Anatole Kouraguine; après le jeu, on se mettait à boire, et le tout finissait par un des plaisirs favoris de Pierre.

      «Si j’y allais?» se dit-il, et il pensa à la parole qu’il venait de donner au prince André.

      Mais en même temps, comme il arrive souvent aux gens sans caractère, il lui prit une si furieuse envie de jouir une fois encore de cette vie de libertinage, qu’il ne connaissait, hélas, que trop bien, qu’il se décida à aller chez Anatole, tout en se disant que son engagement n’avait aucune valeur, puisqu’il avait promis à Anatole avant de promettre au prince André; qu’à tout prendre, ces engagements n’étaient que de pure convention, sans signification précise, et que d’ailleurs personne n’était sûr de son lendemain et ne pouvait savoir s’il n’arriverait pas quelque événement extraordinaire qui emporterait, avec la vie, l’honneur et le déshonneur. Cette façon habituelle de raisonner bouleversait souvent ses décisions en apparence les plus arrêtées. Pierre céda encore et alla chez Kouraguine. Arrivé devant le perron d’une grande maison située à côté des casernes de la garde à cheval, il en gravit les marches éclairées et entra par la porte qu’il trouva toute grande ouverte. Il n’y avait personne dans le vestibule, ça sentait le vin: des bouteilles vides, des manteaux, des galoches étaient jetés çà et là, et l’on entendait à distance des bruits de voix et des cris.

      Le jeu et le souper venaient de finir, mais on ne se séparait pas encore. Après s’être débarrassé de son manteau, Pierre entra dans la première pièce, où l’on voyait les restes du souper et où un laquais, sûr de l’impunité, avalait en cachette le vin oublié au fond des verres. Plus loin, dans le troisième salon, au milieu du tohu-bohu général des rires et des cris, le grognement d’un ours se faisait entendre. Huit jeunes gens se pressaient anxieusement autour d’une fenêtre ouverte; trois d’entre eux jouaient avec un ourson, que l’un d’eux traînait à la chaîne en l’excitant contre son camarade pour lui faire peur.

      «Je parie pour Stievens! Cria l’un.

      – Ne СКАЧАТЬ