Название: La Louve
Автор: Paul Feval
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066330422
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Le comte fronça le sourcil.
–Cette femme est folle! s’écria maître Alain.
–Veux-tu qu’on dise partout, continua dame Michon, que Rohan a pris le dernier morceau de pain à ses serviteurs?
–Non, répliqua le comte, je ne veux pas cela, bonne femme; mais de quoi se plaignent-ils?
–Parbleu! grommela maître Alain en haussant les épaules, pour peu qu’on les écoute, ils se plaindront toujours!
–Ils se plaignent de vous, Rohan, mon cher seigneur, répliqua la femme de charge, qui prit la main du comte pour la baiser. Ils sont pauvres; leurs loges tombent en ruines, leur foyer froid ne fume plus. Ils sont si pauvres qu’ils n’ont plus de quoi allumer le cierge bénit de la Saint-Jean!
–On s’est mis en chasse aux fonds de la Sangle, disait en ce moment le cousin Yaumy, qui parlait bas toujours à l’oreille d’Alain Polduc. Le comte de Toulouse déjeûne chez Feydeau, l’intendant royal, et il y a des tentes dressées à la croix de Mi-Forêt pour la dînée.
–Tout beau, Miraut! criaient les piqueurs dans la cour. Bellement, Géraut, mon fillot!
Rohan était du prêche, pour le malheur de son âme, mais il n’en savait pas long en fait de dogme, et il aimait les vieilles coutumes de Bretagne. Il passa le revers de sa main sur son front. Tous les yeux s’étaient relevés sur lui avec anxiété, et chacun pouvait voir qu’il y avait en effet dans sa prunelle un rayonnement étrange; la fièvre sans doute, car Rohan n’était pas de ceux qui s’animent au coup de l’étrier.
–Es-tu là, Josselin Guitan? demanda-t-il tout à coup.
–Je suis là, notre monsieur, répondit le jeune homme.
Rohan étendit son fouet vers la table et montra les sacs d’argent amoncelés.
–Fais deux parts de cela, ordonna-t-il; deux parts égales.
Alain Polduc n’avait pas entendu, tant il écoutait de bon cœur les paroles du cousin Yaumy. Celui-ci poursuivait disant:
–Il n’y a plus besoin de chercher, j’ai trouvé. J’ai vu Morvan de Saint-Maugon comme je vous vois. Il était entre minuit et une heure du matin; la porte qui donne là-bas sur les douves s’est ouverte et le cheval de Morvan est resté dans l’oseraie.
–Saint-Maugon est gentilhomme du comte de Toulouse, murmura Polduc: on ne peut savoir s’il venait pour lui ou pour son maître.
–Cette nuit, j’ai rencontré Josselin Guitan qui courait au grand galop sur la route de Rennes. Le comte de Toulouse était à Rennes hier, et Josselin Guitan obéit à la demoiselle comme un esclave.
–Et tu es sûr qu’elle est sortie ce matin par la poterne de l’Ouest?
–Sûr! comme je suis sûr que le même Josselin Guitan m’a mis son couteau sous la gorge en m’ordonnant d’être muet. Mais je brave tout pour vous servir, mon bon maître.
–Veille toujours et compte sur moi.
En se retournant, maître Alain vit Josselin Guitan qui séparait en deux portions l’argent des fermages. Il regarda autour de lui; l’espoir brillait sur tous les visages; il devina.
–Mon noble cousin, dit-il en se rapprochant de Rohan, Dieu sait où nous trouverons, la saison qui vient, ce qu’il faut pour payer nos dettes.
–Je sais que je suis à présent un bien petit gentilhomme, répondit le vieux comte qui semblait dominé par une préoccupation profonde. Il y a plus d’un jour d’ici la saison prochaine. Qui vivra verra.
–Vos revenus sont tellement diminués.
–Nous vendrons un moulin, une ferme, un clos. Je n’ai pas d’héritier.
Un sourire glissa sur la grosse lèvre d’Alain-Polduc, qui pensait à part lui:
–Je vous en tiens un tout prêt, mon noble cousin!
Rohan continuait.
–Valentine, ma fille, épousera un gentilhomme paysan qui ne lui demandera rien outre sa sagesse et sa beauté.
–Et le nom de Rohan-Polduc s’éteindra sans éclat. commença maître Alain qui cherchait l’endroit sensible pour enfoncer le dard dans ce cœur engourdi.
Rohan lui saisit le bras et baissa les yeux, comme s’il eût voulu cacher l’éclair qu’il sentait jaillir de sa prunelle.
–Aimes-tu entendre le tonnerre? demanda-t-il brusquement.
Puis il ajouta, en tâchant de sourire:
–Le ciel de Bretagne doit bien un coup de foudre à notre dernière heure, mon cousin. J’ai fait un rêve où j’ai vu le roi Louis pâlir sur son trône en écoutant le dernier soupir de Rohan!
–Voilà bien des jours, disait cependant dame Michon à son compère Jouachin, que notre monsieur n’est plus le même. Son œil est fixe, sa prunelle brûle. Il y a quelque terrible pensée dans l’esprit de Rohan!
–Que Dieu le garde surtout, murmura le vieux métayer, de s’attaquer aux gens de France!
L’attention du gros des tenanciers était tout entière à Josselin Guitan, qui achevait de séparer en deux parts égales l’argent des fermages. Maître Alain comprenait que toute objection était désormais impossible, mais il pensait: «Les actes d’un fou sont nuls et de nul effet devant la loi.»
–Voyez! reprit-il en changeant de ton et de batteries, j’allais oublier une chose qui a bien son importance aujourd’hui. N’ai-je point entendu dire que mon noble cousin avait fait faire le bois pour sa chasse, jusqu’à la croix de Mi-Forêt?
–Les brisées font le tour de la croix, suivant rapport de mon veneur, répliqua le vieillard.
–Il y a de ce côté-là d’autres brisées, dit maître Alain, sur lesquelles il ne faut plus marcher. Vous pourriez rencontrer à la Mi-Forêt des gens avec qui vous ne frayez point: notre voisin Feydeau, l’intendant royal, votre beau neveu, Morvan de Saint-Maugon et monseigneur le gouverneur lui-même.
–Toulouse sur mon domaine! s’écria Rohan, dont la figure pâle se couvrit de rougeur.
–A la date d’hier, 22juin1705, répartit maître Alain doucereusement, la futaie de Mi-Forêt, mon noble cousin, ne fait plus partie de votre domaine.
–Vendue! murmura Rohan dont la lèvre trembla; c’est vrai! chaque jour le cercle se rétrécit autour de ma maison qui chancelle! Des fenêtres de mon manoir je verrai bientôt passer leur meute sous le couvert. Pourquoi Rohan vivrait-il quand la Bretagne est décédée? Dieu fait bien ce qu’il fait; Rohan n’a pas d’héritier!
–Voici deux parts de dix-sept mille cinq cents livres chacune, dit Josselin Guitan, qui СКАЧАТЬ