Название: La Louve
Автор: Paul Feval
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066330422
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Qu’y avait-il? une poterne ouverte de l’autre côté du rempart, le passage d’un être humain à travers l’oseraie, le galop d’un cheval invisible, enfin et surtout l’émotion de dame Guitan; c’était plus qu’il n’en fallait. Ce brouillard, plus impénétrable que la nuit même, cachait un mystère. Pour savoir le mot de l’énigme, il n’y avait que le cousin Yaumy, blotti contre la haie.
Ménagères et fillettes, garçons et métayers calculaient que l’apparition avait dû passer à dix pas de lui au plus. Quand tout le monde eut franchi le seuil de la maîtresse-porte dont le battant se referma sur Michon Guitan, le cousin Yaumy se frotta les mains et se prit à rire tout doucement.
–Oui bien! oui bien! murmurait-il en se grattant la tête sous son bonnet de laine; maître Alain me donnera quelque chose pour cela!
Il était tout gaillard, le joli sabotier, et il eût bien juré ses grands dieux qu’il n’y avait là personne pour le voir ou l’entendre. Aussi poussa-t-il un cri de frayeur en se sentant retenu par derrière, au moment où il quittait son poste d’observation pour gagner la brèche à son tour. Il se retourna vivement; un jeune homme de haute taille, à la figure pâle et intelligente, couronnée de longs cheveux noirs, s’était dressé en face de lui de l’autre côté de la haie.
–Ah! ah! fit Yaumy, qui essaya de sourire, c’est vous, maître Josselin?
Le jeune homme portait une veste taillée à la mode des paysans de la forêt de Rennes, mais en bon drap noir, et ses braies étaient de velours. Il enjamba la haie et appuya ses deux mains sur les épaules de Yaumy.
–La bonne dame Michon demandait tout à l’heure après vous, Josse, reprit Yaumy qui cherchait une contenance.
Maître Josselin le regardait entre les deux yeux.
–Écoute-moi bien, fit-il, je veux te parler!
Il y avait, non point dans ces mots, mais dans l’accent du jeune homme, une menace si évidente, que Yaumy, robuste et habitué aux luttes campagnardes, se tint pour averti.
–J’écoute, répliqua-t-il en ramassant ses muscles et en pliant déjà les jarrets.
–Je veux te dire, reprit maître Josselin, que tu as perdu ta peine en venant espionner de ce côté-ci; Tu n’as rien vu!
–Dieu merci! grommela le joli sabotier, je ne suis pourtant pas aveugle!
–Tu n’as rien vu! répéta le jeune homme, dont les sourcils se froncèrent.
–Moi, je dis que j’ai vu! s’écria Yaumy. Mon jeune maître Josselin, vous n’avez pas encore la poigne assez forte pour me faire peur. J’ai vu et reconnu la demoiselle.
Un éclair s’alluma dans les yeux de Josselin, dont la joue resta pâle; sa main gauche quitta l’épaule de Yaumy pour lui saisir violemment la peau de la gorge; en même temps, sa main droite se plongea sous le revers de sa veste, d’où il tira un couteau de chasse, à la lame brillante et fraîchement aiguisée.
Le cousin Yaumy se laissa choir sur ses genoux.
–Tu n’as rien vu! répéta pour la troisième fois Josselin.
–C’est pourtant Dieu vrai il répéta cette fois le joli sabotier plus mort que vif; je n’ai rien vu du tout! mais du tout!
Josselin le repoussa du pied et prit lentement le chemin de la maîtresse porte.
II
LE JEUNE MONSIEUR CÉSAR
C’était une salle de grande étendue, voûtée en arceaux, que soutenaient quatre paires de piliers de pierre rouge de Pont-Réan. Cette pièce, plus longue que large, tenait du vestibule et de la salle d’armes; la principale porte donnait sur le perron de la cour intérieure et faisait face au maître escalier du manoir, dont la dernière marche s’enclavait dans le sol même de la salle. Au-devant de l’escalier, une vieille draperie de toile d’argent, rapiécée en mille endroits, descendait de la voute jusqu’aux carreaux.
Une seule fenêtre ogive, à petites vitres losangées de plomb et défendues par un grillage, éclairait cette salle qui était pourtant la plus utile et la plus fréquentée du manoir. Dame Michon Guitan s’y tenait volontiers sous l’énorme’ manteau de la cheminée; c’était son domaine, et maître Alain Polduc, tout cousin de Rohan qu’il était, avait essayé vainement de l’en chasser. Il y avait eu compromis entre ces deux autorités rivales: maître Alain avait pris possession de la croisée et des alentours, dame Michon avait gardé le foyer avec ses dépendances. Maître Alain avait la lumière, mais il avait aussi le vent froid qui se glissait entre les fentes des châssis. Dame Michon, obligée d’allumer sa résine en plein midi, pouvait au moins se tenir les pieds chauds.
Le grand jour du dehors n’allait pas beaucoup au-delà de la table de chêne noir où maître Alain Polduc étalait ses registres. On pouvait encore cependant compter les nervures tremblées des premiers piliers et même blasonner, si l’on avait de bons yeux, le grand écusson de Rohan, Parti: de gueules à neuf macles accolées d’or, pour Rohan, et d’hermines plein pour Bretagne, avec cette devise si connue: Potius mori quam fœdari. Les deux autres paires de piliers étaient déjà dans l’ombre, et, malgré le eierge de résine qui brûlait à la paroi du foyer, on avait grande peine à distinguer les plis rougis de la draperie d’argent.
Dame Michon et maître Alain étaient séparés par toute la longueur de la salle. On pouvait les considérer comme les deux premiers ministres des petits États de Rohan-Polduc; dame Michon était femme de charge, maître Alain remplissait les fonctions d’intendant.
Il était arrivé un soir du pays de Tréguier, en Basse-Bretagne, crotté jusqu’à l’échine, affamé comme un loup, et se réclamant de je ne sais quelle parenté lointaine. En ce temps, chacun s’en soutenait bien, il avait la joue creuse, l’œil timide et discret, la bouche emplie de miel, les reins souples surtout. C’était le petit homme le plus humble et le plus doux de l’univers; maintenant, sa joue était renflée, son œil regardait en face effrontément, sa voix tranchait, sa courte taille se redressait avec importance. Le hobereau famélique avait du foin dans ses bottes; déjà il tournait à l’obésité financière et mettait à piller son pauvre noble cousin une raideur toute Spartiate.
Le mal, c’est que trop souvent ces austères coquins réussissent à escroquer la confiance des hommes de cœur. Maître Alain comptait ses syllabes et parlait cinq ou six fois par jour de sa vertu farouche, ainsi que de son dévoûment ardent à la cause protestante. Rohan n’était pas éloigné de le regarder comme un saint. Il consultait dans les grandes occasions et se reposait aveuglément sur lui pour les menus détails. Or ce que Rohan appelait menus details, c’était l’administration même de ses domaines.
Ce matin, dame Michon avait, comme d’habitude, son cercle auprès du foyer; maître Alain occupait СКАЧАТЬ