Название: L'année terrible
Автор: Victor Hugo
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066304270
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Qu’importe les néants qui passent et s’en vont?
Sans faire remuer la tête énorme, au fond
Du désert où l’on voit rôder le lynx féroce,
Le stercoraire peut prendre avec le colosse
Immobile à jamais sous le ciel étoilé,
Des familiarités d’oiseau vite envolé.
V
EN VOYANT FLOTTER SUR LA SEINE
DES CADAVRES PRUSSIENS
Oui, vous êtes venus et vous voilà couchés;
Vous voilà caressés, portés, baisés, penchés,
Sur le souple oreiller de l’eau molle et profonde;
Vous voilà dans les draps froids et mouillés de l’onde;
C’est bien vous, fils du Nord, nus sur le flot dormant!
Vous fermez vos yeux bleus dans ce doux bercement.
Vous aviez dit: «— Allons chez la prostituée.
Babylone, aux baisers du monde habituée,
Est là-bas; elle abonde en rires, en chansons;
C’est là que nous aurons du plaisir; ô Saxons,
O Germains, vers le sud tournons notre œil oblique,
Vite! en France! Paris, cette ville publique,
Qui pour les étrangers se farde et s’embellit,
Nous ouvrira ses bras...» — Et la Seine son lit.
VI
Prêcher la guerre après avoir plaidé la paix!
Sagesse, dit le sage, eh quoi, tu me trompais!
O sagesse, où sont donc les paroles clémentes?
Se peut-il qu’on t’aveugle ou que tu te démentes?
Et la fraternité, qu’en fais-tu? te voilà
Exterminant Caïn, foudroyant Attila!
— Homme, je ne t’ai pas trompé, dit la sagesse.
Tout commence en refus et finit en largesse;
L’hiver mène au printemps et la haine à l’amour.
On croit travailler contre et l’on travaille pour.
En se superposant sans mesure et sans nombre,
Les vérités parfois font un tel amas d’ombre
Que l’homme est inquiet devant leur profondeur;
La Providence est noire à force de grandeur;
Ainsi la nuit sinistre et sainte fait ses voiles
De ténèbres avec des épaisseurs d’étoiles.
VII
Je ne sais si je vais sembler étrange à ceux
Qui pensent que devant le sort trouble et chanceux,
Devant Sedan, devant le flamboiement du glaive,
Il faut brûler un cierge à Sainte-Geneviève,
Qu’on serait sûr d’avoir le secours le plus vrai
En redorant à neuf Notre-Dame d’Auray,
Et qu’on arrête court l’obus, le plomb qui tonne,
Et la mitraille, avec une oraison bretonne;
Je paraîtrai sauvage et fort mal élevé
Aux gens qui dans des coins chuchotent des Ave
Pendant que le sang coule à flots de notre veine,
Et qui contre un canon braquent une neuvaine;
Mais je dis qu’il est temps d’agir et de songer
A la levée en masse, à l’abîme, au danger
Qui, lorsqu’autour de nous son cercle se resserre,
A ce mérite, étant hideux, d’être sincère,
D’être franchement fauve et sombre, et de t’offrir,
France, une occasion sublime de mourir;
J’affirme que le camp monstrueux des barbares,
Que les ours, de leur cage ayant brisé les barres,
Approchent, que d’horreur les peuples sont émus,
Que nous ne sommes plus au temps des oremus,
Que les hordes sont là, que Paris est leur cible,
Et que nous devons tous pousser un cri terrible!
Aux armes, citoyens! aux fourches, paysans!
Jette là ton psautier pour les agonisants,
Général, et faisons en hâte une trouée!
La Marseillaise n’est pas encore enrouée,
Le cheval que montait Kléber n’est pas fourbu, *
Tout le vin de l’audace immense n’est pas bu,
Et Danton nous en laisse assez au fond du verre
Pour donner à la Prusse une chasse sévère,
Et pour épouvanter le vieux monde aux abois
De la réception que nous faisons aux rois!
Dussions-nous succomber d’ailleurs, la mort est grande.
Quand un trop bon chrétien dans la cité commande,
Quand je crois qu’on a peur, quand je vois qu’on attend,
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