Mémoires authentiques de Latude, écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton. Henri Masers de Latude
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СКАЧАТЬ «Voilà cent mille heures que je souffre!» Il écrit à Quesnay: «Je me présente devant vous avec un charbon de feu ardent sur ma tête qui vous marque ma pressante nécessité.» Les images dont il se sert ne sont pas toujours aussi heureuses: «Écoutez, dit-il à Berryer, la voix des entrailles équitables dont vous êtes revêtu.»

      Dans d'autres lettres, le prisonnier change de ton. Aux plaintes succèdent les cris de rage et de colère, «il trempe sa plume dans le fiel dont son âme est abreuvée». Il ne supplie plus, il menace. On ne saurait louer le style de ces épîtres, il est incorrect et vulgaire, mais, par moments, vigoureux et coloré d'images vives. Il dit au lieutenant de police: «Quand il faut punir dans cette maudite prison, tout est en l'air, le tonnerre ne marche pas aussi vite que les punitions; il s'agit de soulager un homme qui n'est pas heureux, je ne vois que des écrevisses»; et il lui adresse ces vers de Voltaire:

Périssent les cœurs durs et nés pour les forfaits
Que les malheurs d'autrui n'attendrissent jamais.

      Il prédit aux ministres, aux magistrats, à la marquise de Pompadour des châtiments terribles. Il écrit à cette dernière: «Vous vous verrez un jour comme ce hibou du parc de Versailles; tous les oiseaux lui jetaient de l'eau pour l'étouffer, pour le noyer: si le roi venait à mourir, on ne passerait pas deux heures sans mettre cinq ou six personnes à vos trousses, vous iriez vous-même à la Bastille.» L'accusé se transforme peu à peu en accusateur. Il écrit à Sartine: «Je ne suis ni un chien ni un scélérat, mais un homme comme vous!» Et le lieutenant de police, qui le prend en pitié, écrit au-dessus d'une de ces lettres envoyées au ministre de Paris: «Lorsque Danry écrit ainsi, ce n'est pas qu'il soit fol, mais désespéré de sa prison.» Le Magistrat conseille au prisonnier «de ne pas mettre d'aigreur dans ses lettres, cela ne peut que lui nuire». Bertin corrige de sa propre main les suppliques que Danry adresse à la marquise de Pompadour, nous lisons en marge de l'une d'elles: «Je croirais lui porter préjudice à lui-même et à son véritable intérêt si je remettais à Mme la marquise de Pompadour une lettre où il ose lui reprocher d'avoir abusé de sa bonne foi et de sa confiance.» La lettre corrigée, le lieutenant de police la porta lui-même à Versailles.

      Loin que les années de captivité le rendent plus humble, abaissent son orgueil, le prisonnier se redresse de plus en plus; de jour en jour son audace grandit, il ne craint pas de parler aux lieutenants de police eux-mêmes, qui connaissent son histoire, de sa fortune qu'on a ruinée, de sa carrière brillante qu'on a entravée, de toute sa famille qu'on a plongée dans le désespoir. Les premières fois, le Magistrat hausse les épaules, insensiblement il se laisse gagner par ces affirmations d'une fermeté inébranlable, par cet accent de conviction; il finit par croire, lui aussi, à cette noblesse, à cette fortune, à ce génie, auxquels Danry en est peut-être venu à croire lui-même. Et Danry s'élève encore: il réclame non seulement sa liberté, mais des indemnités, des sommes considérables et des honneurs. N'allez cependant pas penser que ce soit par un sentiment de cupidité indigne de lui: «Si je propose un dédommagement, monseigneur, ça n'est point pour avoir de l'argent, ça n'est que pour aplanir toutes les difficultés qui peuvent s'opposer à la fin de ma longue misère.»

      Il veut bien, en retour, donner au lieutenant de police des conseils, lui indiquer les moyens d'avancer dans sa carrière, lui enseigner comment il doit s'y prendre pour se faire nommer secrétaire d'État et lui composer le discours qu'il devra tenir au roi à la première audience. Il ajoute: «Ce temps-cy, précisément, vous est extrêmement favorable, c'est le quart d'heure du berger, profitez-en. Avant que de monter à cheval, le jour qu'on va faire la réjouissance de la paix, vous devez être conseiller d'Etat.»

      Il veut bien, également, envoyer au roi les projets qu'il a conçus dans sa prison pour le bien du royaume. Il s'agit de faire porter des fusils aux sergents et aux officiers, les jours de bataille, en place de spontons et de hallebardes, ce qui renforcerait les armées françaises de vingt-cinq mille bons fusiliers. Il s'agit encore d'augmenter le port des lettres, ce qui accroîtrait les ressources du Trésor de plusieurs millions chaque année. Il conseille de créer dans les principales villes des greniers d'abondance et dessine des plans de bataille qui donnent à une colonne de trois hommes de profondeur une force inconnue. Nous en passons et des meilleurs. Ces idées sont délayées dans un déluge de mots, une abondance de phrases inimaginables, accompagnées de comparaisons tirées de l'histoire de tous les temps et de tous les pays. Les manuscrits sont illustrés de dessins à la plume. Danry les copie et recopie sans cesse, les envoie à tout le monde, sous toutes les formes, persuade aux sentinelles que ces hautes conceptions intéressent le salut de l'État et lui procureront une fortune immense. Il détermine ainsi ces braves gens, qui compromettent leur position, à les porter secrètement aux ministres, aux membres du parlement, aux maréchaux de France, il les jette par les fenêtres de sa chambre et du haut des tours enveloppés dans des boules de neige. Ces mémoires sont l'œuvre d'un homme dont l'esprit ouvert et actif, d'une activité incroyable, projette, construit, invente, sans cesse ni repos.

      Dans ces liasses de papiers, nous avons trouvé une lettre bien touchante, elle est de la mère du prisonnier, Jeanneton Aubrespy, qui écrivait à son fils, de Montagnac, le 14 juin 1759:

      «Ne me faites pas l'injustice de croire que je vous ai oublié, mon cher fils, mon tendre fils. Seriez-vous exclu de ma pensée, vous que je porte dans mon cœur? J'ai toujours eu un grand désir de vous revoir, mais aujourd'hui, j'en ai encore plus d'envie; je suis sans cesse occupée de vous, je ne pense qu'à vous, je suis toute remplie de vous. Ne vous chagrinez pas, mon cher fils, c'est la seule grâce que je vous demande. Vos malheurs auront une fin et peut-être qu'elle n'est pas éloignée. J'espère que Mme de Pompadour vous fera grâce, j'intéresse pour cela le ciel et la terre. Le Seigneur veut encore éprouver ma soumission et la vôtre pour mieux faire sentir le prix de ses faveurs. Ne vous inquiétez pas, mon fils, j'espère d'avoir le bonheur de vous revoir et de vous embrasser plus tendrement que jamais. Adieu, mon fils, mon cher fils, mon tendre fils, je vous aime et je vous aimerai tendrement jusqu'au tombeau. Je vous recommande de me donner des nouvelles de votre santé. Je suis et serai toujours votre bonne mère,

      «DAUBRESPI, veuve

      Cette lettre n'est-elle pas belle dans sa douleur si simple? La réponse faite par le fils, est émouvante également; mais, en la relisant, on sent qu'elle devait passer sous les yeux du lieutenant de police; en l'examinant de près, on voit entre les lignes grimacer les sentiments.

      Nul n'a su, mieux que Danry, jouer de l'âme des autres, éveiller en eux, à son gré, la pitié, la tendresse, l'étonnement, l'admiration. Nul ne l'a surpassé dans l'art, difficile assurément, d'apparaître en héros, en homme de génie et en martyr; rôle que nous le verrons soutenir pendant vingt ans sans défaillance.

      En 1759, était arrivé à la lieutenance de police un homme qui, désormais, occupera Danry presque exclusivement,—Gabriel de Sartine. C'était un fin sceptique, de caractère aimable et de manières gracieuses. Il était aimé de la population parisienne, qui vantait ses qualités d'administrateur et son esprit de justice. Il s'efforça à son tour de rendre à Danry moins cruelles les années de captivité. «Il m'accorda, écrit celui-ci, ce qu'aucun prisonnier d'État n'a jamais obtenu: la promenade sur le haut des tours, au grand air, pour conserver ma santé.» Il soutenait le prisonnier de bonnes paroles, l'engageait à se bien conduire, à ne plus remplir ses lettres d'injures: «Votre sort, lui disait-il, est entre vos mains». Il prenait connaissance de son projet pour la construction de greniers d'abondance et, après l'avoir lu: «Vraiment, il y a de bonnes choses, de très bonnes choses là-dedans». Il le venait voir dans sa prison et lui promettait de faire son possible pour obtenir sa liberté. Il remettait lui-même entre les mains de la marquise de Pompadour le Grand Mémoire que Danry avait rédigé pour elle. Dans ce factum, le prisonnier disait à la favorite qu'en retour d'un service qu'il lui avait rendu, en lui adressant СКАЧАТЬ