Mémoires authentiques de Latude, écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton. Henri Masers de Latude
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СКАЧАТЬ ajoutait: «Soyez sur vos gardes!... Quand vos prisonniers sortiront et qu'ils divulgueront vos cruautés, ils vous rendront haïssable au ciel et à toute la terre.» On ne s'étonnera pas que ce «grand mémoire» ait produit un médiocre effet. Sartine promit au prisonnier de revenir à la charge: «Si malheureusement, lui écrit Danry, vous trouviez quelque résistance aux prières que vous allez faire pour moi, je prends la précaution de vous envoyer la copie du projet que j'ai envoyé au roi,—c'était le mémoire qui proposait de donner des fusils aux officiers et aux sergents. Or, le roi s'est servi de mon projet pendant cinq années de suite et s'en servira encore perpétuellement toutes les fois que nous serons en guerre.» Sartine se rendit à Versailles, ce merveilleux projet en poche. Il le montra aux ministres, parla en faveur de son protégé, qui, du fond des cachots, se rendait utile à son pays. Mais, au retour, il écrivit au major de la Bastille, pour Danry, une note où nous lisons: «On n'a point fait usage, comme il le croit, de son projet militaire.»

      Danry avait demandé plusieurs fois qu'on l'envoyât aux colonies. En 1763, le gouvernement s'occupait beaucoup de la colonisation de la Désirade. Nous trouvons une lettre du 23 juin 1763 par laquelle Sartine propose d'envoyer Danry à la Désirade «en le recommandant à l'officier commandant». Ces tentatives demeurèrent infructueuses.

      Danry chercha toute sa vie à réussir par les femmes. Il savait fort bien tout ce qu'il y a de tendresse et de dévouement dans ces têtes légères et qu'en elles le sentiment est toujours plus fort que la raison: «Je cherchais surtout des femmes et je désirais les trouver jeunes, leur âme aimante et douce est plus susceptible de pitié: l'infortune les émeut, les intéresse plus vivement, leur sensibilité s'altère moins vite et les rend capables de plus d'efforts.»

      Tandis qu'il se promenait sur les tours de la Bastille, à l'air frais du matin, il tentait de se mettre en relation, par signes et signaux, avec les gens du voisinage. «Je remarquai deux jeunes personnes seules dans une chambre, où elles travaillaient: leur physionomie me parut douce et jolie, je ne me trompais pas. L'une d'elles, ayant jeté les yeux de mon côté, je lui fis avec ma main un salut que je cherchai à rendre honnête et respectueux; elle avertit d'abord sa sœur, qui me fixa sur-le-champ. Je les saluai alors toutes les deux de la même manière et elles me répondirent toutes les deux avec un air d'intérêt et de bonté. Dès ce moment, nous établîmes entre nous une sorte de correspondance.» C'étaient deux gentilles blanchisseuses, nommées Lebrun, filles d'un perruquier. Et notre compère, pour mieux stimuler les petites folles à le servir avec enthousiasme, frappait à la porte de leur jeune cœur qui ne demandait qu'à s'ouvrir. Il leur parlait de jeunesse, de malheur et d'amour et aussi de sa fortune, très grande, disait-il, et dont il leur offrait la moitié. Remplies d'ardeur, les jeunes filles n'épargnèrent pour lui ni leur temps, ni leurs peines, ni le peu d'argent qu'elles pouvaient avoir.

      Le prisonnier leur avait fait parvenir plusieurs de ses projets, entre autres le projet militaire, avec des lettres pour quelques écrivains et grands personnages, en outre, pour le roi, un mémoire «terrible» contre la marquise de Pompadour, où «sa naissance et son opprobe, toutes ses voleries, ses cruautés étaient exposés». Il pria les jeunes filles d'en faire tirer plusieurs copies qu'elles enverraient aux adresses indiquées. Bientôt de grandes croix noires sur une muraille du voisinage apprennent au prisonnier que ses instructions sont exécutées. Danry semble ne plus douter que ses maux vont prendre fin, les portes de la Bastille vont s'ouvrir devant lui et, triomphalement, il sortira de la prison pour entrer dans les palais de la fortune: Parta victoria! s'écrie-t-il dans un mouvement de bonheur.

      Nous arrivons ainsi à une des actions les plus surprenantes de cette vie étrange.

      En décembre 1763, la marquise de Pompadour tomba gravement malade.

      «Un officier de la Bastille monta dans ma chambre et me dit: «Monsieur, écrivez quatre paroles à Mme la marquise de Pompadour et vous pouvez être certain qu'en moins de huit jours votre liberté vous sera rendue.» Je répondis au major que les prières et les larmes ne faisaient qu'endurcir le cœur de cette cruelle femme et que je ne voulais point lui écrire. Cependant, il revint le lendemain et il me tint le même langage, et moi je lui répondis les mêmes paroles que le jour auparavant. A peine fut-il sorti que Daragon, mon porte-clés, entra dans ma chambre en me disant: «Croyez M. le major, quand il vous dit qu'avant huit jours votre liberté vous sera rendue; s'il vous le dit, c'est qu'il en est bien certain.» Le surlendemain, cet officier revint encore pour la troisième fois. «Pourquoi vous obstinez-vous?» Je remerciai cet officier, c'est-à-dire M. Chevalier, major de la Bastille, pour la troisième fois, en lui disant que j'aimerais mieux mourir que d'écrire encore à cette implacable mégère.

      «... Six ou huit jours après, mes deux demoiselles vinrent me saluer et, en même temps, elles déployèrent un rouleau de papier où il y avait en gros caractères ces mots: «Mme de Pompadour est morte.»—La marquise de Pompadour mourut le 19 d'avril 1764, et deux mois après, c'est-à-dire le 19 juin, M. de Sartine vint à la Bastille, m'accorda audience, et la première parole qu'il me dit fut: de ne plus parler du passé et qu'au premier jour il irait à Versailles et demanderait au ministre la justice qui m'était due.» Et nous trouvons, en effet, à la date du 18 juin 1764, dans les papiers du lieutenant de police, la note suivante: «M. Duval—c'était l'un des secrétaires de la lieutenance—proposer la liberté de Danry au premier travail, en l'exilant dans son pays.»

      Rentré dans sa chambre, Danry réfléchit sur ce qui se passait: si le lieutenant de police mettait tant d'empressement à le délivrer, c'est, évidemment, qu'il avait peur de lui, que ses mémoires étaient arrivés à destination et avaient produit leur effet. Mais lui, Danry, serait bien sot de se contenter d'une simple mise en liberté: «100.000 livres» devaient à peine suffire à lui faire oublier les injustices dont il avait été accablé.

      LE MARQUIS DE MARIGNY, FRÈRE DE LA MARQUISE DE POMPADOUR (Dessin de Carmontelle) (Musée Condé à Chantilly) LE MARQUIS DE MARIGNY, FRÈRE DE LA MARQUISE DE POMPADOUR (Dessin de Carmontelle) (Musée Condé à Chantilly)

      Il roula ces pensées dans sa tête durant plusieurs jours. Accepter la liberté de la main de ses persécuteurs serait pardonner le passé, faute qu'il ne commettrait jamais. La porte s'ouvrit, le major entra, il avait à la main un billet écrit par Sartine. «Vous direz à la 4e Comté que je travaille à le délivrer efficacement.» L'officier sortit. Danry se mit immédiatement à sa table et écrivit au lieutenant de police une lettre pleine d'expressions grossières, de menaces et d'injures. L'original s'est perdu, nous avons une analyse faite par Danry lui-même. Il terminait en laissant à Sartine «le choix ou de n'être qu'un fou ou de s'être laissé corrompre comme un misérable par les écus du marquis de Marigny, frère de la marquise de Pompadour».

      Dès que Sartine eut reçu ma lettre, il m'en écrivit une que le major vint me lire, où il y avait les propres paroles que voici:

      «Que j'avais tort de l'accuser de la longueur de ma prison, que, s'il en avait été le maître, il y aurait longtemps qu'il m'aurait rendu la liberté, et il finissait sa lettre en me disant qu'il y avait des petites maisons pour y mettre les fous. A quoi je dis au major: «Nous verrons si dans quelques jours il aura le pouvoir de m'y mettre.» Il ne m'ôta pas la promenade de dessus les tours; neuf jours après, il me mit au cachot, au pain et à l'eau.» Mais Danry ne se laissait pas démonter facilement. On ne voulait sans doute qu'éprouver son assurance. C'est en chantant qu'il descendit au cachot, où il continua pendant quelques jours à donner les marques de la gaîté la mieux assurée.

      De ce moment le prisonnier se rendit insupportable à ses gardiens. Ce n'étaient que cris et violences. Il remplissait la Bastille des éclats de «sa voix de tonnerre». Le major Chevalier écrit à Sartine: «Le prisonnier userait la patience du plus sage capucin»; une autre fois «Il est rempli de fiel et СКАЧАТЬ