Mémoires authentiques de Latude, écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton. Henri Masers de Latude
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СКАЧАТЬ dans la nuit du 15 au 16 septembre 1764. Nous allons entrer dans une nouvelle phase de sa vie. Nous le trouverons plus misérable encore que par le passé, mais agrandissant encore ses exigences et ses prétentions; d'ailleurs avec raison, puisque le voilà anobli. Il avait appris d'une sentinelle de la Bastille la mort de Henri Vissec de la Tude, lieutenant-colonel d'un régiment de dragons, décédé à Sedan le 31 janvier 1761. De ce jour il résolut qu'il était le fils de cet officier. Quelles raisons avait-il pour cela? Vissec de la Tude était de son pays, il était gentilhomme et riche, et il était mort. Danry trouvait ces raisons excellentes. Il est d'ailleurs dans une ignorance complète de tout ce qui concerne son père et sa nouvelle famille: il ignore jusqu'à ce nom de «Vissec de la Tude», dont il fait «Masers de la Tude»; Masers était le nom d'une terre appartenant au baron des Fontès, parent de Henri de Vissec. Celui-ci n'était pas marquis, comme le croit Danry, mais simplement chevalier; il mourut laissant six fils, tandis que Danry le présente mourant sans postérité. Il va sans dire que tout ce que notre héros raconte de son père dans ses Mémoires est pure invention. Le chevalier de la Tude ignora toujours l'existence du fils de Jeanneton Aubrespy; et quand, plus tard, Danry demanda aux enfants de le reconnaître pour leur frère naturel, ses prétentions furent repoussées. Cependant notre homme signera désormais ses lettres et mémoires «Danry, ou mieux Henri Masers d'Aubrespy», puis «de Masers d'Aubrespy», «puis de Masers de la Tude». Lorsque Danry s'était mis une idée dans la tête, il ne l'abandonnait plus. Il la répétait sans trêve jusqu'à ce qu'il l'eût fait entrer dans la conviction de tous ceux qui l'entouraient: ténacité qui doit faire notre admiration. Dans le brevet de 400 livres de pension que Louis XVI donnera à Danry, en 1784, le roi appellera le fils de la pauvre Jeanneton: Vicomte Masers de la Tude!

      Comme bien on pense, le vicomte de la Tude ne pouvait plus accepter sa liberté aux mêmes conditions que Danry. Celui-ci s'était contenté de «60.000 livres»; le vicomte de la Tude exige «150.000 livres», plus la croix de saint Louis. Il l'écrit au lieutenant de police. Quant à Sartine, il était trop homme d'esprit pour tenir longtemps rigueur au prisonnier de ses extravagances. «Je fus transféré dans le donjon de Vincennes la nuit du 15 au 16 septembre 1764. Environ neuf heures après, feu M. de Guyonnet, lieutenant de roi, vint me voir en compagnie du major et des trois porte-clés, et il me dit: «M. de Sartine m'a ordonné de venir vous dire, de sa part, que pourvu que vous fussiez un peu tranquille, qu'il vous accorderait votre liberté. Vous lui avez écrit une lettre extrêmement forte, il faut lui faire des excuses.» Danry ajoute: «Au surplus, M. de Sartine me traitait bien». Il lui accordait pour deux heures chaque jour «la promenade extraordinaire des fossés».—«Quand un lieutenant de police, dit Danry, accordait cette promenade à un prisonnier, c'était pour lui rendre promptement sa liberté». Le 23 novembre 1765, Danry se promenait ainsi, en compagnie d'une sentinelle, en dehors du donjon de Vincennes. Le brouillard était intense. Il se retourna tout à coup vers son gardien: «Comment trouvez-vous ce temps ci?—Fort mauvais.—Et moi je le trouve fort bon pour m'échapper». Il n'avait pas fait cinq pas qu'il était hors de vue. «Je me suis échappé du donjon de Vincennes, écrit Danry, sans malice, un bœuf en aurait fait autant que moi». Mais, dans le discours qu'il prononcerait plus tard à l'Assemblée nationale, la scène changerait de caractère. «Regardez, s'écrie-t-il, l'infortuné Latude, dans sa troisième évasion de la tour de Vincennes, poursuivi par plus de vingt soldats, s'arrêter et désarmer à leur vue la sentinelle qui l'avait mis en joue!»

       Table des matières

      Lorsque Latude fut en liberté, il se trouva sans ressource, comme lors sa première évasion. «Je m'étais échappé avec des pantoufles à mes pieds et pas un sou dans ma poche; j'étais dénué de tout.» Ses jeunes amies, les demoiselles Lebrun, lui donnèrent asile.

      Il retrouva chez elles une partie de ses papiers, plans et projets, mémoires et dissertations, dont il envoya «un panier» au maréchal de Noailles; il le priait de lui continuer l'honneur de sa protection et lui faisait part de «quatre grandes découvertes qu'il venait de faire: la première, la véritable cause du flux et du reflux de l'Océan; la deuxième, la cause des montagnes, sans lesquelles le globe de la terre serait immobilisé et en peu de temps vitrifié; la troisième, la cause qui fait tourner sans cesse le même globe; la quatrième, la cause de la salure des eaux de toutes les mers». Il écrivit également au duc de Choiseul, ministre de la guerre, afin d'obtenir la récompense de son projet militaire; il écrivit à Sartine pour lui faire des propositions de paix: en retour de 10.000 écus, avancés sur les 150.000 livres qui lui étaient dues, il oublierait le passé: «J'étais, dit-il, résolu de jouer le tout pour le tout». En réponse, il reçut une lettre qui lui désignait une maison où il trouverait 1.200 livres obtenues pour lui par le docteur Quesnay. Il se rendit à l'adresse indiquée, où il fut saisi.

      Il fut aussitôt ramené à Vincennes. Danry avoue qu'il allait être mis en liberté au moment où il s'évada: c'était une nouvelle détention à recommencer. Nous ne raconterons pas ici le détail de l'existence qu'il va mener. On en trouvera le récit dans les mémoires imprimés ci-après. Matériellement, il continue d'être bien traité, mais son esprit tourne à la folie, ses colères deviennent de plus en plus violentes, en arrivent au paroxysme de la fureur. Voici quelques extraits des lettres et mémoires envoyés à Sartine: «Par tous les diables, cela est un peu fort de café! Il est vrai, monsieur, qu'à ne vous vanter que médiocrement, on pourrait défier les plus scélérats diables de tout l'enfer de vous donner des leçons de cruauté.» Il écrit une autre fois; «Notre crime à nous tous est d'être instruits de vos friponneries: il faut que nous périssions! quelle joie pour vous si l'on venait vous apprendre que nous nous sommes étranglés dans nos cachots!» Danry rappelle au lieutenant de police les supplices d'Enguerrand de Marigni, et il ajoute: «Sachez qu'on en a rompu plus de mille au milieu de la place de grève de Paris qui n'avaient pas commis la centième partie de vos crimes».—«Il ne se trouverait pas une seule personne d'étonnée en te voyant écorcher tout vif, tanner ta peau et jeter ton corps à la voirie pour être dévoré par les chiens.»—«Mais monsieur se rit de tout, monsieur ne craint ni Dieu, ni le roi, ni le diable, monsieur avale les crimes comme du petit-lait!»

      Latude écrivait dans sa prison des mémoires qu'il remplissait de calomnies sur les ministres et la Cour. Ces mémoires étaient composés sur le ton le plus dramatique, avec un accent de sincérité inimitable. On savait que le prisonnier trouvait mille moyens de les faire passer à l'extérieur, et on craignait qu'ils ne se répandissent dans la foule où les esprits—nous sommes en 1775—commençaient à être excités. Latude venait d'être descendu au cachot à la suite d'une nouvelle algarade à ses geôliers. «Le 19 de ce mois de mars 1775, le lieutenant de roi entra, accompagné du major et de trois porte-clés, il me dit:—J'ai obtenu qu'on vous fît sortir du cachot, mais à la condition que vous me remettiez vos papiers.

      «—Que je vous remette mes papiers! Sachez, monsieur, que j'aimerais mieux crever dans ce cachot que de faire une pareille lâcheté!

      «—Votre malle est là-haut, dans votre chambre, il ne dépend que de moi d'en faire sauter les cachets que vous y avez mis et de prendre vos papiers.

      «Je répliquai:—Monsieur, il y a des formalités de justice auxquelles vous devez vous conformer, et il ne vous est point permis de faire de pareilles violences.

      «Il sort cinq ou six pas hors du cachot, et, comme je ne le rappelais pas, il rentre en me disant:—Remettez-les-moi tant seulement pour dix jours pour les examiner, et je vous donne ma parole d'honneur qu'au bout de ce temps je vous les ferai rapporter dans votre chambre.

      «Je lui répliquai:—Je ne vous les livrerai pas tant seulement pour deux heures.

      «—Hé СКАЧАТЬ