Mémoires authentiques de Latude, écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton. Henri Masers de Latude
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СКАЧАТЬ le docteur Boyer, membre de l'Académie, écrit également: «J'ai lieu de me méfier du personnage». Le caractère de Danry s'aigrissait. Il injuriait ses porte-clés. Un matin, on est obligé de lui enlever un couteau et des instruments tranchants qu'il a dérobés. Il se sert du papier qu'on lui donne pour se mettre en relation avec d'autres détenus et des personnes du dehors. Le papier est supprimé: Danry écrit avec son sang sur des mouchoirs; le lieutenant de police lui fait défendre de lui écrire avec du sang: Danry écrit sur des tablettes de mie de pain qu'il fait presser furtivement entre deux assiettes.

      L'usage du papier lui fut rendu, ce qui ne l'empêche pas d'écrire à Berryer: «Monseigneur, je vous écris avec de mon sang sur du linge, parce que messieurs les officiers me refusent d'encre et du papier; voilà plus de six fois que je demande à leur parler inutilement. Qu'est-ce donc, Monseigneur, avez-vous résolu? Ne me poussez pas à bout. Au moins ne me forcez pas à être mon bourreau moi-même. Envoyez-moi une sentinelle pour me casser la tête, c'est bien la moindre grâce que vous puissiez m'accorder.» Berryer, surpris de cette missive, fait des observations au major, qui lui répond: «Je n'ai pas refusé de papier à Danry».

      Ainsi le prisonnier faisait croire de plus en plus qu'il n'était qu'un fou. Le 13 octobre 1753, il écrivait au docteur Quesnay pour lui dire qu'il lui voulait grand bien, mais qu'étant trop pauvre pour lui rien donner, il lui faisait cadeau de son corps, qui allait périr, dont il pourrait faire un squellette. Au papier de la lettre, Danry avait cousu un petit carré de drap et il ajoutait: «Dieu a donné aux habits des martyrs la vertu de guérir toutes de maladies. Voilà cinquante-sept mois qu'on me fait souffrir le martyr. Ainsi il est sans doute qu'aujourd'hui le drap de mon habit fera des miracles: en voilà un morceau.» Cette lettre revint à la lieutenance de police au mois de décembre, et nous y trouvons une apostille de la main de Berryer: «Lettre bonne à garder, elle fait connaître l'esprit du personnage». Or nous savons de quelle façon on traitait encore les fous au XVIIIe siècle.

      Mais subitement, au grand étonnement des officiers du château, nos deux amis améliorent leur caractère et leur conduite. On n'entendait plus de bruit dans leur chambre, et quand on leur venait parler ils répondaient poliment. En revanche, ils étaient d'allure plus bizarre encore que par le passé. Allègre se promenait dans sa chambre, à moitié nu, pour ménager ses hardes, disait-il, et adressait lettres sur lettres à son frère et au lieutenant de police pour qu'on lui envoyât des nippes, des chemises surtout et des mouchoirs. Danry de même. «Ce prisonnier, mande Chevalier au lieutenant de police, demande du linge; je ne vous écrirai pas, parce qu'il a sept chemises très bonnes, dont quatre neuves; cet article le met aux champs.» Mais pourquoi refuser à un prisonnier de lui passer ses fantaisies? Et le commissaire de la Bastille fit confectionner deux douzaines de chemises de prix—chacune re vint à vingt livres, plus de quarante francs de notre monnaie, et des mouchoirs de la batiste la plus fine.

      LETTRE DE LATUDE AU DOCTEUR QUESNAY, ÉCRITE A LA BASTILLE LE 18 OCTOBRE 1753 Il lui envoie un morceau de son habit qui fera sans doute des miracles étant donné que le propriétaire en est un martyr (Bibl. nat., Archives de la Bastille, nº 11.692) LETTRE DE LATUDE AU DOCTEUR QUESNAY, ÉCRITE A LA BASTILLE LE 18 OCTOBRE 1753 Il lui envoie un morceau de son habit qui fera sans doute des miracles étant donné que le propriétaire en est un martyr (Bibl. nat., Archives de la Bastille, nº 11.692)

      ÉCHELLE DE CORDE FABRIQUÉE A LA BASTILLE PAR LATUDE ET ALLÈGRE, ET A L'AIDE DE LAQUELLE ILS SE SAUVÈRENT DANS LA NUIT DU 25 AU 26 FÉVRIER 1756 (Musée Carnavalet) ÉCHELLE DE CORDE FABRIQUÉE A LA BASTILLE PAR LATUDE ET ALLÈGRE, ET A L'AIDE DE LAQUELLE ILS SE SAUVÈRENT DANS LA NUIT DU 25 AU 26 FÉVRIER 1756 (Musée Carnavalet)

      Si la lingère du château avait fait attention, elle aurait remarqué que les serviettes et les draps qui entraient dans la chambre des deux compagnons, en sortaient raccourcis dans tous les sens. Nos amis s'étaient mis en rapport avec leurs voisins de prison, qui demeuraient en-dessous et au-dessus d'eux, mendiant des ficelles et du fil, donnant du tabac en échange. Ils étaient parvenus à desceller les barres de fer qui empêchaient de grimper dans la cheminée; la nuit, ils montaient jusque sur les plates-formes, d'où ils conversaient par les cheminées, avec les prisonniers des autres tours. L'un de ces malheureux se croyait prophète de Dieu: il entendit la nuit ce bruit de voix qui tombait sur le foyer éteint; il révéla le prodige aux officiers qui le regardèrent comme plus fou encore qu'auparavant. Sur la terrasse, Allègre et Danry trouvèrent les outils que des maçons et des herbiers employés au château y laissaient le soir. Ils se procurèrent ainsi un maillet, une tarière, deux espèces de moufles et des morceaux de fer pris aux affûts des canons. Ils cachaient le tout dans le tambour existant entre le plancher de leur chambre et le plafond de la chambre inférieure.

      Allègre et Danry se sauvèrent de la Bastille dans la nuit du 25 au 26 février 1756. Ils grimpèrent par la cheminée jusque sur la plate-forme des tours et descendirent par la fameuse échelle de corde attachée à l'affût d'un canon. Une muraille séparait le fossé de la Bastille de celui de l'Arsenal. Ils parvinrent, à l'aide d'une barre de fer, à en détacher une grosse pierre, et s'échappèrent par la haie ainsi pratiquée. L'échelle de corde était une œuvre de longue patience et de grande habileté. Plus tard, Allègre deviendrait fou, alors Danry tirerait à lui tout le mérite de cette entreprise que son ami avait conçue et dirigée.

      Au moment de partir, Allègre avait écrit sur un chiffon de papier, pour les officiers de la Bastille, la note suivante, qui marque bien son caractère:

      «Nous n'avons causé aucun dommage aux meubles de M. le gouverneur, nous ne nous sommes servis que de quelques lambeaux de couvertures qui ne pouvaient être d'aucune utilité, les autres sont dans leur entier. S'il manque quelques serviettes, on les trouvera au-delà de l'eau, dans le grand fossé, où nous les emportons pour essuyer nos pieds: «Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam!»

      «Scilo cor nostrum et cognosce semitos nostras.»

      «Ce n'est pas sur nous, Seigneur, ce n'est pas sur nous, mais sur ton nom, qu'il faut répandre la gloire; regarde notre cœur et connais les voies où nous marchons.»

      Nos deux compagnons s'étaient pourvus d'un portemanteau, et ils s'empressèrent de changer de vêtements dès qu'ils eurent franchi l'enceinte du château. Un metteur en œuvre, Fraissinet, que Danry connaissait, s'intéressa à eux et les conduisit chez le tailleur Rouit, qui les logea quelque temps. Rouit prêta même à Danry 48 livres que celui-ci s'engagea à renvoyer dès son arrivée à Bruxelles. Un mois passé, nos deux amis étaient au-delà des frontières.

       Table des matières

      Il nous est très difficile de savoir ce qu'il advient de Danry depuis le moment où il quitta Rouit, jusqu'au moment de sa réintégration à la Bastille. Il nous a, il est vrai, laissé deux relations de son séjour en Flandre et en Hollande; mais ces relations diffèrent entre elles, et elles diffèrent, l'une et l'autre, de quelques documents originaux que nous avons conservés.

      Allègre et Danry avaient jugé prudent de ne pas partir ensemble. Allègre arriva le premier à Bruxelles, d'où il écrivit à Mme de Pompadour une lettre injurieuse. Cette lettre le fit découvrir. A Bruxelles, Danry apprit l'arrestation de son camarade. Il se hâta de gagner la Hollande, vint à Amsterdam, où il entra en service chez un nommé Paulus Melenteau. De Rotterdam il avait écrit à sa mère; la pauvre fille, réunissant СКАЧАТЬ