Mémoires authentiques de Latude, écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton. Henri Masers de Latude
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СКАЧАТЬ Tude, son père, l'éducation d'un gentilhomme destiné à servir sa patrie et son roi.»

      Dénué de toute ressource, Danry imagina qu'au siège de Berg-op-Zoom des soldats l'avaient dépouillé tout nu, hors la simple chemise, et volé de 678 livres. Il fit une lettre à l'adresse de Moreau de Séchelles, intendant des armées de Flandre, espérant la faire signer par Guignard de la Garde, commissaire des guerres, sous lequel il avait servi. Danry demandait à être indemnisé de ces pertes qu'il aurait faites tandis qu'il s'exposait, sous le feu de l'ennemi, à soigner des blessés. Mais nous lisons, dans les Mémoires écrit plus tard par Danry, que, loin d'avoir été, à Berg-op-Zoom, «dépouillé tout nu et volé de 678 livres», il y acheta une quantité considérable d'effets de tout genre qui se vendirent à bas prix au pillage de la ville. Quoi qu'il en soit, la tentative ne réussit pas. Danry était homme de ressources; à peine quelques jours étaient-ils passés, qu'il avait imaginé un autre expédient.

      Chacun parlait de la lutte entre le ministre et la marquise de Pompadour. Celle-ci venait de triompher, Maurepas partait en exil; mais on le croyait homme à tirer vengeance de son ennemie. La favorite elle-même avouait sa crainte d'être empoisonnée. Une lueur se fit dans l'esprit du garçon chirurgien: il se vit tout à coup, lui aussi, en habit doré, roulant carrosse sur la route de Versailles.

      Le 27 avril 1749, sous l'arcade du Palais-Royal attenant le grand escalier, il acheta à un marchand, qui étalait en cet endroit, six de ces petites bouteilles, appelées larmes bataviques, dont s'amusaient les enfants. C'étaient des bulles de verre fondu qui, jetées dans l'eau froide, y avaient pris la forme de petites poires. Elles éclatent avec bruit quand on en brisait la queue en crochet. Il en disposa quatre dans une boîte de carton et en relia les petites queues par une ficelle fixée au couvercle. Il répandit par-dessus de la poudre à poudrer, qu'il recouvrit d'un lit de poussière de vitriol et d'alun. Le paquet fut entouré d'une double enveloppe. Sur la première il écrivit: «Je vous prie, madame, d'ouvrir le paquet en particulié»; et, sur la seconde, qui recouvrait la première: «A Mme la marquise de Pompadour, en cour».

      Puis il courut jeter son paquet, le 28 avril, à huit heures du soir, à la grand'poste, et partit immédiatement pour Versailles. Il espérait parvenir jusqu'à la favorite, mais fut arrêté par son premier valet, Gourbillon. D'une voix émue, Danry conta une histoire effrayante: il s'était trouvé aux Tuilleries et avait aperçu deux hommes qui causaient avec animation; il s'était approché et les avait entendus proférer contre Mme de Pompadour des menaces effroyables; les hommes levés, il les avait suivis; ils s'en étaient allés droit à la grand'poste, où ils avaient jeté un paquet dans la grille. Quels étaient ces hommes? quel était ce paquet?—Il ne pouvait le dire. Mais, dévoué aux intérêts de la marquise, il était accouru immédiatement pour révéler ce qu'il avait vu.

      COUVERCLE DE LA BOITE ENVOYÉE PAR LATUDE A LA MARQUISE DE POMPADOUR, LE 28 AVRIL 1749 (Les lignes Signée et paraphée au désir de la déclaration du sr Jean Danry de ce jour d'huy quatorze juin mil sept cent quarante-neuf, signé: Berryer lieut. de Police et Danry ont été ajoutées lors de l'interrogatoire) (Bibl. de l'Arsenal, archives de la Bastille, nos 11.692-11.693) COUVERCLE DE LA BOITE ENVOYÉE PAR LATUDE A LA MARQUISE DE POMPADOUR, LE 28 AVRIL 1749 (Les lignes Signée et paraphée au désir de la déclaration du sr Jean Danry de ce jour d'huy quatorze juin mil sept cent quarante-neuf, signé: Berryer lieut. de Police et Danry ont été ajoutées lors de l'interrogatoire) (Bibl. de l'Arsenal, archives de la Bastille, nos 11.692-11.693)

      Pour comprendre l'impression produite par la dénonciation du jeune homme, il faut se rappeler l'état ou les esprits étaient en ce moment à la cour. Maurepas, le ministre enjoué et spirituel que Louis XV, l'homme ennuyé, aimait pour le charme qu'il savait donner à l'expédition des affaires, venait d'être exilé à Bourges. «Pontchartrain, lui mandait le roi, est trop près.» La lutte entre le ministre et la favorite avait été d'une violence extrême. Maurepas chansonnait la fille montée sur les marches du trône, la poursuivait de ses réparties hautaines et cruelles. Sa muse ne reculait pas devant les insultes les plus brutales. La marquise ne ménageait pas davantage son adversaire, elle le traitait ouvertement de menteur et de fripon et déclarait à tous qu'il cherchait à la faire empoisonner. Aussi fallait-il qu'un chirurgien fût toujours auprès d'elle, qu'elle eût toujours du contrepoison à portée de la main. A table, elle ne mangeait rien la première; et, dans sa loge, à la comédie, elle n'acceptait de limonade que si elle avait été préparée par son chirurgien.

      Le paquet, mis à la poste par Danry, arriva à Versailles le 29 avril. Quesnay, médecin du roi et de la marquise,—le célèbre fondateur de la doctrine des physiocrates—fut prié de l'ouvrir. Il le fit avec une grande prudence, reconnut la poudre à poudrer, le vitriol et l'alun, et déclara que toute cette machine n'avait rien de redoutable; que, néanmoins, le vitriol et l'alun était matières pernicieuses, et qu'il était possible que l'on se trouvât en face d'une tentative criminelle maladroitement exécutée.

      LE COMTE DE MAUREPAS, MINISTRE DE LA MAISON DU ROI (Bibli. nat., estampes) LE COMTE DE MAUREPAS, MINISTRE DE LA MAISON DU ROI (Bibli. nat., estampes)

      Il n'est pas douteux que Louis XV et sa maîtresse aient été terrifiés. D'Argenson, qui avait soutenu Maurepas contre la favorite, avait lui-même grand intérêt a éclaircir au plus tôt cette affaire. Le premier mouvement fut tout en faveur du dénonciateur. D'Argenson écrivit à Berryer qu'il méritait récompense.

      Aussitôt l'on chercha à découvrir les auteurs du complot. Le lieutenant de police choisit le plus habile, le plus intelligent de ses officiers, l'exempt du guet Saint-Marc et celui-ci se mit en rapport avec Danry. Mais Saint-Marc n'avait pas passé deux jours en compagnie du garçon chirurgien, qu'il rédigeait un rapport demandant son arrestation. «Il n'est pas indifférent de remarquer que Danry est chirurgien et que son meilleur ami est apothicaire. Je crois qu'il serait essentiel, sans attendre plus longtemps, d'arrêter Danry et Binguet, en leur laissant ignorer qu'ils ont tous deux arrêtés, et, en même temps, de faire perquisition dans leurs chambres.»

      Danry fut mené à la Bastille le 1er mai 1749; on s'était assuré de Binguet le même jour. Saint-Marc avait pris la précaution de demander au garçon chirurgien d'écrire le récit de son aventure. Il remit ce texte à un expert, qui en compara l'écriture avec l'adresse du paquet envoyé à Versailles: Danry était perdu. Les perquisitions opérées dans sa chambre confirmèrent les soupçons. Enfermé à la Bastille, Danry ignorait ces circonstances, et quand, le 2 mai, le lieutenant général de police vint l'interroger, il ne répondit que par des mensonges.

      Le lieutenant de police, Berryer, était un homme ferme, mais honnête et bienveillant. «Il inspirait la confiance, écrit Danry lui-même, par sa douceur et sa bonté.» Berryer se chagrinait de l'attitude que prenait Danry, il lui montrait le danger auquel il s'exposait, le conjurait de dire la vérité. Dans un nouvel interrogatoire Danry persista à mentir. Puis, tout à coup, il changea de tactique et refusa de répondre aux questions qu'on lui posait. «Danry, lui disait le lieutenant de police pour lui donner du courage, ici nous rendons justice à tout le monde.» Mais les prières ne firent pas mieux que les menaces; l'accusé gardait un silence obstiné. D'Argenson écrivait à Berryer: «Cette affaire est trop importante à éclaircir pour ne pas suivre toutes les indications qui peuvent faire parvenir à cet objet».

      Danry, par ses mensonges, puis par son silence, avait trouvé le moyen de donner un air de complot ténébreux à une tentative d'escroquerie sans grande conséquence.

      Il ne se décida que le 15 juin à faire un récit à peu près exact, dont le procès-verbal fut immédiatement envoyé au roi, qui le relut plusieurs fois et «pocheta» toute la journée. Ce détail montre l'importance СКАЧАТЬ