Название: Argent et Noblesse
Автор: Hendrik Conscience
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066087012
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—Et il vous a sans doute reconnu?
—Il ne pouvait pas me reconnaître, Lina. Quand Charles Steenvliet était le voisin de ton père à Ruysbroeck, moi je demeurais à Ternorth.
—Mais vous lui avez parlé de l'amitié de feu mon père, n'est-ce pas? Qu'est-ce qu'il vous répondait?
—Je ne lui en ai jamais parlé. Vois-tu, Lina, les gens riches, quand ils ont été ouvriers, n'aiment pas qu'on leur rappelle leur passé. D'ailleurs M. Steenvliet aurait pu supposer que je lui parlais de pareilles choses par orgueil ou bien pour obtenir de lui une faveur. Le mieux était donc de n'en point parler… Allons, enfants, allons nous coucher, il est déjà tard; vous voyez bien que le jeune monsieur, qui est ici à côté, n'a pas encore remué. Dormez tranquilles, je soignerai pour tout.
—Si vous avez besoin de quelque chose, mon père, vous nous appellerez tout de suite, n'est-ce pas?
—Et si le jeune monsieur se réveillait, s'il sortait de votre chambre à coucher, vous nous appelleriez aussi, n'est-ce pas, grand-père?
—Sans doute, Lina, sois tranquille.
—Eh bien alors, bonne nuit et bon courage, grand-père! dit la jeune fille en l'embrassant.
Les deux femmes montèrent à l'étage. Jean Wouters s'assit près de la table et posa sa tête sur son coude… Au bout de quelques heures il écouta à moitié endormi si aucun bruit ne se faisait entendre dans la chambre à côté, puis il retomba dans un profond sommeil.
II
Lorsque la première clarté du jour se répandit dans le ciel, Jean Wouters ouvrit les yeux, se leva et s'approcha de la chambre voisine dont il ouvrit doucement la porte. Il secoua la tête avec un sourire, referma la porte, retourna s'asseoir en murmurant à part lui:
—Il dort toujours comme un morceau de bois. Tant mieux, cela lui fera du bien… Comme il fait encore froid le matin, je vais me dépêcher d'allumer le poêle et de mettre de l'eau sur le feu; car les enfants ne tarderont pas à se réveiller.
Peu de temps après, les deux femmes descendirent et demandèrent avec une curiosité inquiète comment se portait le jeune homme.
—St, St, plus bas, pas de bruit, répondit le vieillard. Il n'est pas encore éveillé et dort toujours à poings fermés. Laissez-le reposer jusqu'à ce qu'il s'éveille de lui-même; sans cela il aura mal à la tête… Mais, Lina, tu parais prête à sortir? Où vas-tu donc?
—Moi, sortir? pas du tout, grand-père.
—C'est parce que je vois que tu as mis ta robe verte avec des nœuds rouges: ce n'est pas cependant aujourd'hui dimanche, à ce que je crois?
—Non, grand-père, c'est mercredi; mais mes vêtements de travail sont si usés! Et tant que ce jeune monsieur étranger est dans la maison, vous comprenez bien, je n'aimerais pas qu'il se fît une idée défavorable de notre propreté.
—En effet, je comprends cela, mon enfant, tu as raison.
La mère était déjà occupée à faire le café. Lina prit le pain et le couteau pour couper les tartines.
Au bout de quelques instants ils étaient assis tous les trois à table, silencieux et se dépêchaient de déjeuner, ce qui fut bien vite terminé.
—Je vais faire du café un peu plus fort, dit la mère. Car il est probable que ce jeune monsieur en se réveillant aura besoin d'un réconfortant. Et rien de mieux pour l'estomac dérangé que du fort café.
—Et moi, dit Lina, je m'en vais traire la vache. J'aurai fini mon ouvrage le plus pressé lorsque le jeune monsieur se réveillera. Je voudrais bien le regarder encore une fois avec attention avant qu'il s'en aille. J'ai rêvé toute la nuit qu'il pourrait bien être Herman Steenvliet… Oui, oui, ma mère, moquez-vous de moi. Je crois aussi que je me suis trompée; mais tout est possible; les montagnes ne se rencontrent pas; mais les hommes se rencontrent, comme on dit.
En achevant ces derniers mots, elle sortit. La mère continua à verser le café, et le grand-père resta assis sur la chaise auprès du poêle, enfoncé dans ses pensées.
En ce moment le jeune homme se réveilla dans la chambre voisine. La clarté du jour, déjà éclatante, blessa ses yeux enflammés et il se mit machinalement les mains sur le visage; mais cela ne dura que quelques secondes; il se mit sur son séant et regarda avec stupeur autour de la chambre. A mesure qu'il reprenait possession de lui-même, ses lèvres se contractaient en une expression de moquerie et de colère. Bientôt il appuya péniblement sa main sur sa poitrine et murmura:
—Maudit vin, poison qui me brûle comme un feu d'enfer! ma tête, ma tête! Où suis-je ici? A l'Aigle d'or? Ah! je sais! Je n'ai pas voulu retourner à Bruxelles, et je suis revenu ici. Dans quel état, ô ciel.
Il regarda encore une fois autour de lui et remarqua seulement alors l'ameublement singulier de cette chambre.
—Que je suis tombé bas, grommela-t-il. Cet imbécile d'aubergiste et ses mijaurées de filles m'ont jeté au grenier ou peut-être dans un trou comme un animal. Ah! ils me le paieront, qu'ils attendent!
En achevant ces mots, il essaya de se lever et de descendre du lit; mais il était encore si étourdi qu'il fit un faux pas et tomba lourdement par terre.
Pendant qu'il faisait tous ses efforts pour se relever en poussant des grognements de mauvaise humeur, le vieux charpentier, attiré par le bruit de la chute, entra dans la chambre et courut au jeune homme pour le soutenir; mais celui-ci repoussa rudement la main qu'on lui tendait et dit avec colère:
—Laissez-moi tranquille. Croyez-vous que je suis un enfant et que je ne sais pas encore marcher tout seul. Ne restez pas là à me regarder si bêtement et donnez-moi mes souliers.
Cette brutalité blessa le vieillard; mais il réprima son mécontentement et obéit à l'ordre du jeune homme auquel il dit en souriant:
—Soyez tranquille, Monsieur, les charpentiers sont sur votre toit et tapent à grands coups de marteau. C'était à prévoir; on connaît cette maladie et prenez courage, elle passera bientôt.
—Oui, moquez-vous de moi aussi, grossier lourdaud, répondit l'autre. Je le mérite bien. Où est votre maître? Il dort sans doute encore, le grippe-sou? Lui aussi a bu du Champagne; mais s'il pouvait en attraper la crampe éternelle…
—Mon maître? répète le vieillard. Je n'ai pas de maître.
—N'êtes-vous pas le domestique de l'Aigle d'or?
—Non, je suis le maître ici.
—Ah! c'est étrange! Où suis-je donc ici?
—Dans une maison d'ouvriers, près du chemin de Loth.
—Et où sont restés mes camarades?
—Nous n'avons vu personne que vous. СКАЧАТЬ