" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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      Il est donc clair que l’histoire du livre, revendiquée comme « histoire sociale du livre9 », se développait à cette époque en tournant le dos aux approches qui avaient été celles de la théorie littéraire et de l’histoire des idées.

      De même, d’ailleurs, l’histoire du livre émergeait en contraste avec une certaine bibliophilie et une certaine érudition bibliophilique, qui « [sacralisaient] un petit nombre d’objets dignes d’être collectionnés, tout en vouant à l’indifférence ou à l’oubli la masse de la production livresque, voire du patrimoine écrit10 » – ce qui révoltait tout autant H.‑J. Martin.

      Avec la nécessité de partir d’inventaires aussi complets que possible de la production imprimée, le livre devenu objet d’histoire devenait par là justiciable d’une mesure, au même titre que les séries de données tirées des archives. Les « grands défricheurs » de la discipline histoire du livre, tels Martin lui-même et ses disciples après lui, se sont donc largement appuyés sur la statistique bibliographique et les méthodes quantitatives. L’idée, louable, était de mettre en lumière « le silence des masses » et de montrer que « le livre est témoignage de plus qu’il ne contient », suivant la formule de Dupront11. Mais on conçoit que l’emballement de certains pionniers comme Robert Estivals (1927-2016)12 pour ces méthodes et leurs résultats – comme si toute approche qualitative était désormais dépassée – ait pu susciter de vives réactions. Celle notamment de l’historien italien des Lumières Furio Diaz (1916-2011)13, dès la seconde moitié des années 1960, relayé par d’autres spécialistes de l’histoire des idées et de la littérature, pour qui, suivant une formule restée célèbre, « les livres ne doivent pas être comptés mais lus ». On aboutissait de la sorte à une polémique assez réductrice qui n’avait en fait pas grand-chose à voir avec le projet porté à l’origine par Febvre et Martin, où il était certes question de « livre marchandise » susceptible d’être « compté », mais aussi de « livre objet » et de « livre ferment ». En réalité, il était évident pour les tenants d’une histoire sociale du livre que « l’approche statistique […] ne saurait suffire14 ». Dans l’étude des livres et des lectures, rappellera plus tard Daniel Roche,

      la quantification a été un moyen essentiel et certainement pas une fin. Elle permettait [surtout] de passer du singulier au collectif […]. On y a vu un nouveau positivisme […]. [Mais en opposant] hiérarchie quantifiée et appropriation qualifiée, le débat se trompe d’objet […]. Textes, livres, images […] peuvent relever d’une mesure […] d’une économie sociale […]. C’est une manière de mener à bien des comparaisons et d’étudier les ruptures d’une façon foncièrement différente des habitudes intuitives de l’histoire des idées [et de l’histoire littéraire].15

      Ce débat qui tournait plus ou moins au dialogue de sourds à la charnière des années 1960 et 1970 n’a cependant pas été inutile. Plutôt que de raidir les positions en présence, il a, je crois, contribué à leur dépassement de part et d’autre des cloisons disciplinaires et à un début de convergence, assumé ou non.

      Tout écrit n’est pas imprimé, tout imprimé n’est pas livre, et tout livre n’est pas littérature. Ainsi relativisé, en quelque sorte, par les dépouillements titanesques et les efforts de contextualisation de Martin et de ses émules, le domaine littéraire, celui du XVIIe siècle en particulier, s’est trouvé du même coup mieux identifié dans un paysage éditorial et intellectuel reconstitué et redéployé. La littérature, comme le livre, n’était plus une évidence, et cela ne pouvait que stimuler recherches et questionnements.

      En tout cas, pour l’excellent connaisseur du XVIIe siècle qu’était René Pintard (1903‑2002), professeur de lettres et historien des idées, « découvreur » fameux du « libertinage érudit16 », l’importance capitale, pour la recherche, de la thèse de Martin, ne faisait aucun doute. Les archives privées d’Henri-Jean et Odile Martin conservent une lettre du 31 juillet 1969 où Pintard écrit déjà :

      Je vous lis […] page après page, note après note, et je suis émerveillé de tout ce que vous apportez à l’histoire générale du XVIIe siècle à partir de l’histoire du livre – de l’histoire du livre entendue, il est vrai, de la façon la plus large […]. J’espère [que ce travail…] contribuera à retenir sur la pente de la facilité les […] dix-septiémistes qui s’imaginent parfois qu’en littérature l’histoire n’a plus rien à leur apprendre !17

      Il est vrai que la période, marquée par le structuralisme, achronique voire antihistorique par définition18, n’était pas particulièrement favorable à un rapprochement des perspectives entre histoire et littérature. Mais la jeune histoire du livre avait néanmoins posé quelques jalons pour une rencontre. On peut déjà discerner son influence du côté de la littérature dans les années 1970, avec notamment la monumentale entreprise de bibliographie littéraire du regretté chercheur canadien Roméo Arbour (1919-2005)19. Ce travail qui, pour l’essentiel, fait toujours référence prenait en compte les exigences, propres à l’histoire du livre, de recensements larges (en l’occurrence 75 bibliothèques européennes et nord-américaines). De plus, il avait été précédé par plusieurs articles remarqués se réclamant déjà de l’histoire du livre littéraire, dont le fameux « Raphaël Du Petit Val, de Rouen, et l’édition des textes littéraires en France » dans la Revue française d’histoire du livre20.

      Vient alors une phase de convergence que l’on peut qualifier de décisive, avec d’abord la parution des deux premiers volumes de l’Histoire de l’édition française (Paris, Promodis, 1982-1984), dirigée par Henri-Jean Martin et Roger Chartier, qui a été d’emblée reconnue comme le franchissement d’un cap de maturité pour l’histoire du livre en tant que discipline – laquelle intégrait déjà nombre de préoccupations de la sociologie de la littérature et de la lecture.

      Puis, précédée dès 1976 de rencontres directes21, c’est en 1985 la publication de la thèse d’Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique22, qui a été saluée à juste titre comme un tournant. C’était en tout cas évident pour les historiens du livre de ma génération. De fait, à la lumière du concept de « champ » formulé par Pierre Bourdieu23, mais aussi des apports des historiens du livre, notamment de la thèse de Martin sur Paris, Alain Viala éclairait l’histoire de l’autonomisation au XVIIe siècle du premier champ littéraire et les conditions d’émergence de la carrière et du statut d’écrivain – « innovation capitale dans la situation des auteurs24 ». Étudiant la trajectoire de pas moins de 159 écrivains de l’âge classique, il mettait en évidence le fonctionnement de ce champ, avec ses instances de légitimation, son passage du clientélisme au mécénat et ultimement au mécénat royal – avec sa contrepartie censoriale –, son tropisme nobiliaire, ses stratégies d’écriture, mais aussi ses possibles stratégies de succès, grâce à la centralisation croissante des publics valorisants et des libraires en voie de spécialisation, la duplicité obligée découlant de l’existence de formes diverses de consécration, etc. En bref, tout ce qui était jusque-là perçu de façon plus ou moins intuitive et dispersée, lorsqu’on parlait, chez les historiens du livre, de « milieu littéraire », de « condition d’auteur », d’« académisme », de « direction des lettres » – pour reprendre le mot de Martin –, tout cela se replaçait pour le XVIIe siècle dans un ensemble caractérisé de façon convaincante grâce à la thèse de Viala. Et force est de reconnaître qu’ainsi étudié dans un processus historique, en relativisant l’autonomie de l’œuvre, l’objet littérature n’avait rien perdu de son intérêt. Alain Viala avait au contraire démontré – et je le cite – que « le champ littéraire [était…] devenu très tôt la partie la plus dynamique et la plus influente du domaine culturel25 ». Impossible СКАЧАТЬ