" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ de papier entière, joint que la principale raison pourquoi on [n’]en fait point, c’est le peu de curiosité que beaucoup de personnes ont d’en acheter après que tout un matin ou une après-dînée ils en ont lu l’argument sur la boutique d’un libraire qui leur apprend pour rien ce qu’ils ne sauraient que pour de l’argent ; chacun aime son profit, ne t’en étonne pas.14

      Soucieux de leur profit, les libraires se montrent attentifs à adapter le texte à son nouveau public et à diversifier ses usages. Robert Estienne a ainsi demandé à Jean de Schelandre de « tracer un modèle retranché » de sa tragi-comédie Tyr et Sidon « pour la commodité de ceux qui voudraient s’en donner le plaisir en des maisons particulières » : « composée proprement à l’usage d’un théâtre public », l’œuvre se voit ainsi offerte à un nouvel usage, celui de la représentation privée15. Le principal usage reste néanmoins celui de la lecture, dont les préfaces vantent tous les mérites. « Le libraire », « la boutique du libraire », « la Galerie du Palais » deviennent alors autant de métonymies de la lecture. Là où les auteurs s’excusent souvent de l’infériorité du texte imprimé par rapport au texte incarné sur scène, les libraires développent plus volontiers le lieu commun de l’équivalence entre la représentation et la lecture : « tu ne recevras pas moins de contentement à la lecture qu’à la représentation », affirme Martin Collet dans l’avis liminaire de La Philine16. La rhétorique mise en œuvre dans l’« Avis du libraire au lecteur » de L’Intrigue des carrosses à cinq sous convoque tous les topoï utilisés pour articuler l’expérience de la lecture à celle de la représentation et la valoriser. Le libraire commence par garantir la valeur de l’œuvre par le succès qu’elle a rencontré sur scène, rappelant au lecteur qu’il a déjà été spectateur et qu’il ne peut se déjuger :

      L’Intrigue des Carrosses à cinq sous que je te donne, et que j’expose à toute ta censure a paru sur le Théâtre du Marais si avantageusement et a acquis tant de gloire à son auteur par les applaudissements que peut-être toi-même tu lui as donnés, que de peur de te faire tort dans l’inégalité de tes jugements je veux croire que tu lui rendras la même justice.

      La lecture est ainsi présentée comme le renouvellement du plaisir procuré par la représentation ou comme une expérience de remplacement pour ceux qui n’ont pu assister au spectacle : « Ceux qui l’ont vue aspirent à la voir encore pour goûter la même satisfaction qu’ils ont déjà reçue peut-être plus d’une fois. » Elle permet aussi de l’approfondir en offrant la possibilité de « digérer à loisir toutes les beautés qu’ils y ont remarqué[es] en peu de temps, pour y rencontrer tout le plaisir qu’ils y trouveront quand ils y appliqueront des réflexions nécessaires17 ».

      Bien qu’elle soit relativement discrète dans la pièce imprimée, la présence du libraire rappelle que le texte dramatique ne doit pas être envisagé comme une œuvre poétique autonome, ni comme une simple partition livrée à l’interprétation des comédiens. Elle met en lumière une autre facette du texte théâtral, qui est aussi un produit de librairie, une marchandise qui a un prix, qui doit s’adapter à divers usages et répondre aux attentes du public, friand à la fois de nouveautés et de valeurs sûres. Même s’il fait parfois mine de n’écrire que pour son propre plaisir, l’auteur dramatique doit trouver les moyens de collaborer avec les deux instances créatrices concurrentes que sont les acteurs et les éditeurs et de s’adapter aux attentes d’une instance réceptrice complexe, composée à la fois de spectateurs et de lecteurs. Cette triple dépendance est soulignée par Baron, dans la préface de tonalité ironique de L’Homme à bonne fortune : le dramaturge sait devoir compter pour le succès de sa pièce sur « des acteurs zélés pour la représenter, des auditeurs favorables à l’applaudir, et un libraire intéressé pour l’imprimer sans l’en avoir prié18 ».

      Les « Arguments de chaque Scène », organon du Cocu imaginaire de Molière ?

      Jean-Luc ROBIN

      The University of Alabama

      Pièce de Molière « la plus souvent représentée du vivant » de son auteur1, LeCocu imaginaire fait l’objet, durant sa carrière, de 123 représentations publiques et de 20 représentations privées2, ce qui élève cette courte comédie en alexandrins créée au Petit-Bourbon le 28 mai 1660 au rang d’incontestable championne de ces deux catégories. Pourtant, sa publication le 12 août 1660 a quelque chose d’un « étrange monstre », puisque, tout d’abord, elle n’est pas le fait de Molière, mais du libraire Jean Ribou assisté d’un complice. L’inélégance du procédé ne passe pas inaperçue :

      Moliere, nostre cher amy,

      Que nous n’aymons pas à demy,

      Depuis quelque temps a sçeu faire

      Un Cocu, mais imaginaire.

      Cependant un archigredin

      Qui n’a pas pour avoir du pain,

      De peur de passer la carriere

      De la saison d’hiver entiere,

      Avecque son habit d’esté,

      Fut pour lors assez effronté,

      Pour je ne sçay comment le prendre,

      Et de plus pour le faire vendre.

      Il a bien mesme esté plus loin,

      Car l’on dit qu’il a pris le soin

      De l’afficher à chaque ruë.3

      La publication pirate aurait ainsi été portée par une campagne commerciale par voie d’affiches, c’est-à-dire « avec toutes les ressources dont disposait alors la publicité4 », ce qui suppose un certain investissement plutôt inattendu de la part d’un « archigredin » sans habit d’hiver et donc impécunieux. Qui que soit l’ « effronté » du Songe du resveur, c’est le libraire Ribou que poursuit Molière, auteur publiquement dépossédé de sa comédie par ce larcin aussi impudent que spectaculaire. Sa comédie – que La Grange dans son Registre aussi bien que les responsables de cette édition pirate de 1660 dans ses pièces liminaires, les matériaux épitextuels du Songe du resveur ou des Nouvelles Nouvelles de Donneau de Visé, ou encore une affiche5 datant peut-être du 16 novembre 1662 intitulent invariablement (Le) Cocu imaginaire – a désormais pour titre Sganarelle6.

      Ce qui est toutefois remarquable, et non mentionné par LeSonge du resveur, est que le texte piraté du Cocu imaginaire se trouve accompagné d’« Arguments » didascaliques précédant chaque scène. Or, loin de constituer une masse de scories dont il s’agirait de purifier les 657 alexandrins du Cocu imaginaire, ces « Arguments de chaque Scène » transforment la publication pirate en une sorte d’ovni : ovni de l’édition théâtrale française du XVIIe siècle en général, ovni dans la carrière d’auteur de Molière en particulier. Surtout, ces didascalies quelquefois plus étendues que les scènes qu’elles introduisent7 ouvrent une fenêtre sur le jeu théâtral du comédien Molière, jeu jugé radicalement nouveau par le rédacteur des arguments. C’est à ce dernier aspect – la valeur imageante des arguments – que le présent essai se consacre, délaissant ce qui touche trop étroitement à la stratégie éditoriale et auctoriale de Molière, déjà objet des travaux de Roger Chartier, d’Edric Caldicott et de Michael Call8. La fonction très précise d’organon du Cocu imaginaire que remplissent les arguments explique-t-elle que Molière les retienne plusieurs années avant de les supprimer ? Ces arguments conservent-ils, СКАЧАТЬ