" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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      François Chauveau, Andromaque, estampe pour Jean Racine, Œuvres, 1675-76, in-12. [© MC Planche Collection particulière]

      Cependant il modifia son dessein en figurant Astyanax dans les bras de Phœnix. L’enfant se trouve sur une ligne diagonale marquée par le corps de sa mère à laquelle il fait face, bien qu’il soit en partie caché à ses yeux par le corps de Pyrrhus. Chauveau, parce qu’il est dessinateur et graveur témoigne en cet ajout d’une étape de la fabrique de l’illustration : il montre cette volonté de parfaire un projet que ses deux compétences lui permettaient de mettre en œuvre. La présence de l’enfant explicite la scène en offrant au lecteur-spectateur une clé de lecture supplémentaire qui ne trahit en rien le texte de Racine : Astyanax a toute sa place dans l’action de la pièce et sa représentation s’en trouve aussitôt justifiée. Dans la mesure où l’estampe se départit de la scène théâtrale, elle affiche l’autonomie expressive des arts visuels tout en établissant un très fort lien avec le texte.

      L’expressivité de Chauveau se trouve contenue dans un dessin qui a retenu notre attention, destiné à illustrer le poème héroïque de Georges de Scudéry, Alaric ou Rome vaincue publié en 165413. Dans la paisible forêt où résonne l’activité des « gens » d’Alaric, surgit un terrible ours blanc dont la force et la violence sont décrites avec une éloquence narrative relevant de l’hypotypose qui rend le portrait tout à fait terrifiant. La « Bête » ainsi nommée et mue par un démon annonce le monstre qui surgit des flots face à Hippolyte dans Phèdre de Racine14 :

      Ses yeux sont fort petits, mais ses regards terribles ;

      Le feu semble en sortir, et briller à travers

      Le long poil hérissé, dont on les voit couverts.

      Ses ongles sont tranchants ; et ses dents fort tranchantes ;

      Son dos est élevé ; ses oreilles penchantes ;

      Cet Animal paraît énorme en sa grandeur,

      Et sa force en un mot égale sa laideur.

      Ce terrible portrait est suivi d’un combat particulièrement violent dans lequel l’ours triomphe d’adversaires peu capables de lutter face à un tel déchaînement jusqu’à ce qu’un personnage se distingue :

      Tout s’écarte ; tout fuit ; et dans un tel effroi,

      Tout songe à se sauver, et nul ne songe au Roi.

      Lui, dans ce grand péril, d’un courage intrépide

      Présente son Épée, à la Bête homicide ;

      […]

      Il s’avance à grands pas, vers la Bête en colère ;

      Elle s’avance aussi, faisant ce qu’il veut faire ;

      Elle saute, il esquive ; il la presse, elle fuit ;

      L’Art enseigne le Roi ; la Nature l’instruit ;

      […]

      Cet Ours tout de nouveau, prend et jette des Pierres

      Qui volent en bruyant, ainsi que des Tonnerres ;

      Le Héros les évite, et comme il est levé,

      Le Fer victorieux, dans son sang est lavé.

      Il le choisit au ventre, où la peau n’est pas dure ;

      La Bête jette un cri, pour le mal qu’elle endure ;

      Elle bondit en l’air, où perdant sa vigueur,

      Elle retombe morte, aux pieds de son Vainqueur.15

      Le récit vivement mené est tout à fait séduisant non seulement par le jeu de contraste, mais aussi par la manière dont la « Bête homicide » périt, lancée en l’air comme un fétu de paille. Le dessin représente au premier plan l’action vaillante d’Alaric qui, épée à la main s’apprête à fondre sur l’animal en protégeant sa main droite de son manteau.

      François Chauveau, Alaric combat un ours, sanguine, plume, encre brune, lavis encre de Chine, 265x200 mm. Paris, Ensba. Dessin pour Georges de Scudéry, Alaric ou Rome vaincue, 1654. [© Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris]

      La posture des jambes, le mouvement du corps soulignent la vivacité et la témérité du personnage très proche de l’ours qui se tient debout sur ses pattes arrière, la gueule ouverte prêt à engloutir l’étoffe du manteau, tandis que les griffes acérées de sa patte tentent de s’en emparer. Tout dans la composition vise à inspirer la terreur qui règne en ces lieux. Le corps gisant près du plantigrade rappelle combien l’animal est dangereux tandis que les bras levés et les bouches ouvertes des compagnons expriment la terreur extrême, prolongée par le mouvement ascendant de l’homme qui grimpe dans l’arbre au plus près des frondaisons et des limites de la composition. Ils participent ainsi à l’expression du sentiment du spectateur et en s’écartant de la scène figurent le désir de fuite devant le danger. Tout concourt de la sorte à mettre en valeur le duel opposant l’homme et la « Bête », rendant encore plus vaillante l’action d’Alaric. Chauveau a proposé un ensemble dans lequel l’intention narrative est sensible. Une temporalité se met en place, exposant au premier plan l’action la plus récente, celle qui doit être mise en valeur tant elle relève de la bravoure. Le passé, quant à lui, est figuré par l’homme à terre et la frayeur des personnages secondaires ; ils rappellent que l’ours a récemment agi. Deux personnages sont en grande partie dissimulés. Le corps de celui qui gît à terre est en effet masqué par l’ours, laissant au spectateur la possibilité d’imaginer son état physique : est-il mort, défiguré, en partie déchiqueté par les griffes ? Le refus d’exposer les blessures intensifie ainsi le tragique. De la même manière derrière l’homme de gauche, un autre représenté de dos est en train de fuir ; sa jambe et son pied traduisent un mouvement très vif. Enfin, la hache sur le sol à droite est un indice de l’activité d’Alaric et de ses compagnons, occupés à abattre des arbres avant que ne surgisse l’animal. Cette activité qui appartient au passé trouve son prolongement dans le groupe d’hommes, aux silhouettes seulement esquissées de l’arrière-plan. Si le passé et le présent sont bien mis en scène, qu’en est-il du futur ? Le dessinateur livre-t-il au spectateur l’issue du combat ? Il nous semble possible d’en deviner les contours : bien qu’effrayant, l’animal ne paraît pas « énorme » puisqu’il ne domine pas l’homme par sa stature. Il occupe en outre environ un tiers de la feuille, proche du bord gauche tandis que l’espace dévolu au roi donne de l’ampleur à son geste en laissant le mouvement des jambes se déployer. L’épée, enfin, est proche de frapper le « ventre, où la peau n’est pas dure ». Si la souplesse des traits du dessin est moins présente dans l’estampe gravée par Chauveau, l’illustration atteint cependant une force expressive servie par une intention narrative particulièrement adaptée au passage du poème.

      François Chauveau, Alaric combat un ours, estampe pour Georges de Scudéry, Alaric ou Rome vaincue, 1654, p. 42. [© MC Planche, BmL. Rés 23435]

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