" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ si le caractère superlatif de ce témoignage est de pure convention et permet de faire l’économie d’une description plus poussée du jeu grimaçant et « gestueux » du comédien Molière, ou si tout simplement un langage précis ne fait pas défaut à un témoin encore subjugué par la radicale nouveauté de ce comique quasi pantomimique : « cette dispute donne un agréable divertissement à l’auditeur, à quoi Sganarelle contribue beaucoup par des gestes qui sont inimitables et qui ne se peuvent exprimer sur le papier26 ».

      Alors qu’ils adoptent pour référence l’édition autorisée de 1662 et ne suppriment donc pas les arguments conservés par Molière, auxquels ils ne sont nullement inattentifs, Georges Forestier et Claude Bourqui jugent toutefois les « péritextes de la pièce assez faibles en vérité27 ».

      Suivant à son tour l’édition de 1662 dans sa présentation de la pièce, Charles Mazouer note simplement que

      les arguments ajoutés par lui [Neuf-Villenaine] tâcheront de rendre compte des jeux de théâtre [– « qui sont de certains endroits où il faut que le corps et le visage jouent beaucoup, et qui dépendent plus du comédien que du poète, consistant presque toujours dans l’action »]. De fait, les arguments donnent des analyses et des jugements qui ne sont pas sans intérêt, et s’efforcent de transcrire sur le papier des jeux de scène qui ne pouvaient qu’échapper aux seuls lecteurs28.

      Si l’apparat critique de cette dernière édition ne réserve aucun traitement particulier aux arguments, il y a toutefois lieu de se féliciter de leur maintien, en l’occurrence dans l’édition procurée par Charles Mazouer comme dans celle dirigée par Georges Forestier. La présence du paratexte didascalique dans les éditions du XXIe siècle forme la condition préalable à un aggiornamento de son approche par la critique.

      Focalisé sur les stratégies de Molière auteur, Molière and the Comedy of Print de Michael Call s’intéresse moins aux arguments didascaliques qu’à la lettre dédicatoire de Neufvillaine29, dont se trouve bien signalé le moment d’ironie suprême, la si plaisante paraphrase de la première phrase publiée par Molière dans la Préface des Précieuses ridicules30, ainsi que le fait que cette épître dédicatoire constitue un « écho textuel », une réponse à la Préface des Précieuses31. Prenant à la lettre le Molière préfacier des Précieuses, Neufvillaine sous-entend que sa publication du Cocu – ou plutôt, leur publication du Cocu, car il s’agit de ne pas oublier le si « charmant32 » nous dans « c’était une nécessité que nous fussions imprimé33 » – se conforme et répond au désir de Molière.

      Des arguments, il n’est nulle part fait mention dans la procédure entamée par Molière, comme le note Michael Call34. On ignore donc ce que pense Molière des arguments ou de cette édition si surprenante dans sa disposition, sinon que bon gré, mal gré, Molière consent à être considéré comme l’auteur aussi bien de ces didascalies que du texte du Cocu soi-disant mémorisé par Neufvillaine.

      Assez laudatif dans son analyse de la pièce pour le Dictionnaire analytique des œuvres théâtrales françaises du XVIIe siècle, Louis Marmin trouve « la “lecture” d’un Neuf-Villenaine […] fort pénétrante et exacte ». Il déduit notamment des arguments le « parallélisme » de certains jeux de scène, par exemple entre les scènes 6 (Sganarelle « regarde par-dessus l’épaule de sa femme, ce qu’elle considère » : le portrait de Lélie) et 9 (Lélie regarde le même portait « par-dessus [l’]épaule » de Sganarelle, qui « n’a pas le loisir de considérer ce portrait comme il le voudrait bien35 »). Conformément à la fonction d’organon qui semble leur être attribuée par leur rédacteur, les arguments permettent par exemple de mettre à jour cet art du jeu de scène en « écho36 » que ne dévoile pas le texte dialogique du Cocu imaginaire, parfois obscur sans commentaire. Louis Marmin doit baser son analyse sur l’édition de référence en 1998, l’édition Couton, qui comme vu précédemment ne donne qu’en variantes les arguments « subis par Molière, non pas voulus par lui37 », mais admet d’emblée ne pas avoir « répugné à puiser des éléments pour [son] étude dans ces “arguments” à propos de telle ou telle indication de mise en scène ne figurant pas dans le texte ou les didascalies38 ».

      Mais pourquoi faudrait-il après tout justifier un intérêt porté aux arguments du pirate Neufvillaine ? La seule étude, semble-t-il, à ne pas prononcer sur eux de jugement de valeur et à les prendre pour ce qu’ils sont objectivement, des documents à exploiter, est la Poétique de Molière39. Jean de Guardia semble même n’y avoir aucun doute sur la valeur poéticienne de ces arguments, qu’il est pour ainsi dire le premier à découvrir et qu’il met remarquablement en valeur. Les arguments de la scène 9 (« un agréable malentendu est ce qui fait la beauté de cette Scène ») et de la scène 16 (« l’équivoque divertit merveilleusement l’Auditeur ») confirment par exemple la « valeur esthétique du quiproquo40 » et la « passion » qu’il suscite à l’âge classique. Du fait de leur teneur documentaire, les arguments présentent un nouveau faisceau de raisons de ne pas laisser indifférents, puisqu’on n’y aperçoit non seulement Molière metteur en scène, Molière comédien, mais aussi Molière poéticien.

      En parfaite cohérence avec les deux pièces liminaires de l’édition pirate de 1660, les arguments ne se bornent pas à fournir une mise en scène de papier, car ils célèbrent aussi et d’abord le poète Molière. Or il se trouve que les moliéristes se montrent de plus en plus attentifs à la valeur poétique du Cocu imaginaire, petite comédie en un acte servant de complément de spectacle, mais écrite en alexandrins. La similarité de registre non seulement thématique – la jalousie – mais aussi tonal entre Dom Garcie de Navarre ou Le Prince jaloux et LeCocu imaginaire est bien observée par Patrick Dandrey et, à sa suite, par Jean de Guardia, qui montre en outre que les deux pièces ont en commun la structure de la « série de méprises41 ».

      Le rôle de Sganarelle n’est pas encore celui d’un « Prince jaloux », mais ce n’est déjà plus un emploi, remarque Gabriel Conesa :

      […] relativement individualisé, [le personnage de Sganarelle] n’est plus une marionnette comique comme le Mascarille de L’Étourdi, ou le Sganarelle du Médecin volant, qui n’étaient que des emplois ou des types traditionnels. Il se présente, en dépit de sa bonhomie, comme un jaloux aveuglé par une idée fixe : la crainte d’être trompé, obsession qui fait de lui le premier d’une longue lignée de héros monomaniaques à venir, dont certains seront bien plus inquiétants.42

      La parenté thématique avec Dom Garcie de Navarre à travers la jalousie est certes notée, mais pas la similarité de registre tonal ni de structure entre les deux pièces, Gabriel Conesa jugeant le ton du Prince jaloux « plus grave ».

      L’auteur du Dialogue moliéresque43 met toutefois en évidence dans cette même notice un des « effets de symétrie comique » en ouverture de la scène 23, effet dont l’argument de Neufvillaine ne dit rien, mais que la mise en page de l’édition pirate de 1660 restitue parfaitement44 :

      LÉLIE

      Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retour,

      Brûlant des mêmes feux, et mon ardente amour

      Verra comme je crois la promesse accomplie

      Qui me donna l’espoir de l’hymen de Clélie.

      GORGIBUS

      Monsieur, que je revois en ces lieux de retour,

      Brûlant des mêmes feux, et dont l’ardente amour

      Verra que vous СКАЧАТЬ