" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ Chauveau condensant le temps pour en maximiser l’efficacité. La scène fait tableau et suscite l’effroi du lecteur, dont le regard converge sur Gondebaut. Là où Desmarets narre en continu, Chauveau condense, ramasse, résume et produit une scène de la scène, soit une véritable ekphrasis de l’hypotypose. Comme le suggère Olivier Leplatre, il s’agit par-là de « faire de l’ekphrasis plus qu’une forme : un mouvement. Par quoi elle se comporterait comme un lieu sans lieu assigné, une figure atopique refusant les codes fixes, les cloisonnements génériques et les cadres formels5. » L’ekphrasis ne se réduit pas à la stase, à l’image fixe : elle fait signe vers le texte via un mouvement insufflé par l’illustrateur.

      Enjambement de l’image

      La lutte d’Yoland et Clovis qui oriente la lecture du livre VIII commence en fait à la toute fin du livre VII, aux vers 3084-3090, et l’on retrouve cette continuité dans l’illustration (Fig. 3), Chauveau ayant choisi le moment où Clovis a arraché Yoland de son cheval :

      Le barbe impétueux, allégé de sa chargé,

      Fournit sa course entière, et dans l’espace large,

      D’un pied libre et léger, fait cent sauts et cent bonds.

      Le peuple épars le fuit, et se presse en arrière,

      Et d’une place vaste élargit la carrière.1

      Le Livre VIII débute quant à lui par ces vers :

      Dans les bras de Clovis Yoland se débat,

      Fait mille vains efforts, de ses poings le combat,

      Enfin du fort coursier prend la bride et la serre.

      Il se cabre […].2

      L’illustration porte la marque du livre précédent (le cheval sans cavalier qui sème la panique à l’arrière-plan), tout en signalant le changement de livre en focalisant le regard sur le combat au premier plan3. L’enjambement produit par l’image fonctionne comme une condensation mémorielle : l’illustrateur agglutine les deux épisodes pour n’en former qu’un seul, tout en donnant à voir le changement de temporalité. Le jeu de l’espace (arrière-plan/premier plan) crée cette temporalisation4 : on passe clairement d’un instant à un autre. Là encore, le moment de la scène est en fait un composé de plusieurs instants, tout comme l’instant du combat est lui-même le produit de micro-instants : la narrativité est rendue par Chauveau en ce qu’il condense en une seule unité temporelle deux micros strates ; celle où Yoland donne des coups de poing à Clovis et celle où elle agrippe la bride du cheval.

      De plus, Chauveau choisit de s’arrêter juste avant l’instant fatidique5, celui de la chute, qui est déjà au demeurant suggéré ici par la posture en suspension que les éléments évoqués ci-dessus introduisent : « il se cabre » est le dernier micro-instant condensé dans cette illustration, mais il est naturellement suivi au vers 3094 par « et tous deux ils tombent sur la terre ». L’illustration invite le lecteur à imaginer la suite de l’épisode, sur laquelle la construction temporelle ouvre. L’image enjambe deux textes, qu’elle agglutine tout en en signalant la distinction, et elle fait référence simultanément à l’instant précédent et à l’instant suivant, par le biais de micro-instants condensés en instantanés : la temporalité de l’illustration est bien ici celle de l’épique en ce qu’elle relève de ce « continuel présent temporel et local » analysé par Auerbach dans une étude célèbre6. En somme, on peut dire avec Merleau-Ponty que

      Les seuls instantanés réussis d’un mouvement sont ceux qui approchent de cet arrangement paradoxal, quand par exemple l’homme marchant a été pris au moment où ses deux pieds touchaient le sol : car alors on a presque l’ubiquité temporelle du corps qui fait que l’homme enjambe l’espace. Le tableau fait voir le mouvement par sa discordance interne ; la position de chaque membre, justement par ce qu’elle a d’incompatible avec celle des autres selon la logique du corps, est autrement datée, et comme tous restent visiblement dans l’unité d’un corps, c’est lui qui se met à enjamber la durée.7

      « L’ubiquité temporelle du corps » provient d’un enjambement de l’espace qui est aussi enjambement de la temporalité, et pourrait révéler une poétique de l’illustration singulière, fondée sur l’éloquence du geste et du corps.

      Éloquence du geste et condensation du sentiment

      Carel de Sainte-Garde reconnaît lui-même que « les beaux traits de la peinture jettent dans l’esprit quelque idée du mouvement et des paroles1. » L’éloquence du corps et du geste pourrait figurer le mouvement, censé être absent en peinture. Si nous prenons l’illustration du livre IX (Fig. 4), nous nous apercevons du talent de Chauveau, qui réussit par leur expression conjointe à condenser plusieurs sentiments distincts en un seul2.

      Il semble que l’image donne à voir Clovis alors qu’il veut qu’« au moins devant tous lui-même il se surmonte3 », ce qui est perceptible notamment par son geste des mains, qui met à distance les propos de ses hommes, étonnés et réprobateurs, suggérant peut-être de rattraper la fausse Clotilde. Ce geste arrête le temps du discours en un équivalent en image de l’intimation au silence : geste de maîtrise, qui semble concorder avec le vers 3574. Mais le visage de Clovis, encore tout interdit, exprime clairement la surprise, le dépit devant l’insulte, voire la colère et, plus encore, rend bien la juxtaposition contradictoire du vers 3563 : « Il pâlit, il rougit ; ses yeux sont pleins de feu4. » On peut deviner ou imaginer la rougeur sur la joue, la pâleur sur le reste du visage. Le regard semble hésiter, témoin de la douleur causée par ce départ offensant (« son âme éperdue en mille maux flottante5 »), l’expression de la bouche marquant la surprise mais aussi l’indécision (« et sa bouche en suspens ne sait que prononcer6 »). La scène est opérée par un « retour amont » : Chauveau efface le « il veut, il ne veut pas » en axant le regard du spectateur sur le geste de maîtrise : Clovis semble bien « surmonter » son dépit et sa douleur. Cependant, le détail du visage du roi réinsère les vers précédents dans la description, et donne à voir au spectateur un Clovis qui se contient devant ses hommes, tout en masquant au mieux sa souffrance. L’équivalent pictural du « il veut, il ne veut pas » – notons à nouveau l’intérêt de la juxtaposition asyndétique, qui permet à Chauveau de poser une assise, un ancrage dans le texte, qui l’invite à en donner l’équivalent en image – est représenté par l’expression de la bouche notamment, le geste de la main figurant le vers 3574, qui révèle également une manifestation de dépit, voire d’incrédulité. Chauveau réussit à rendre effectif le tiraillement du roi, mais il ne se contente pas de marquer la contradiction : il l’exhibe comme principe artistique d’une condensation du temps, qui augmente l’expressivité du texte. L’image est un supplément, mais un supplément qui interprète en reconfigurant7.

      Pallier la parole

      La peinture ne parle pas, c’est un fait. Mais elle peut pallier la parole car elle peut en représenter l’effet, et se montrer ainsi complémentaire du texte, on l’a vu avec la scène du retour de chasse, où Chauveau rend compte de l’adresse de Clovis par le geste et par le mouvement de la bouche, qui traduisent et transcrivent la requête. Au livre XVIII, un procédé encore plus ingénieux mérite d’être analysé. Myrrhine, la servante d’Yoland et Albione, vient trouver Lisois (amoureux d’Yoland) et un autre guerrier nommé Ardéric pour les piéger, c’est-à-dire, en l’occurrence, les attirer dans les rets de l’enchanteur Aubéron. Chauveau choisit de rendre compte de l’abord des deux Francs par Myrrhine, soit de la scène СКАЧАТЬ