" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ fable marquait une étape instructive. La gravure de Klein et Savrij, elle, obéit à une approche moins rhétorique que pathétique des fables : les artistes, plus soucieux de formes et de détails qui évoquent l’Antiquité, dessinent un monde imaginaire habité par l’émotion. Dans la gravure du livre X, un temple en ruine décoré de guirlandes de fleurs signale la distance temporelle mais aussi ontologique qui sépare le lecteur de ce qu’il voit : les ruines renvoient l’Antiquité à un passé révolu et les fables au statut de pures fictions. De plus, à la rhétorique gestuelle de Giacomo Franco, qui découpe le discours des images en séquences éloquentes, répond ici le désir de saisir l’instant et de donner à voir la circulation merveilleuse des êtres et des récits. Les deux graveurs anglais s’attachent à lier les fables les unes avec les autres, très librement, en court-circuitant parfois la disposition ovidienne. Au livre X, par exemple, le corps de Myrrha semble faire écho à la statue de Pygmalion comme pour former un diptyque où s’opposent la pierre et le bois, tandis que les branches au-dessus de sa tête rapprochent la jeune femme d’Atys ; ces branches deviennent aussi une sorte de forêt où peut disparaître le sanglier qui vient de tuer Adonis. Le regard circule d’une scène à l’autre, établissant une suite de réseaux poétiques qui ne suivent plus l’ordre du poème. On voit par ailleurs Apollon, penché vers le corps de Hyacinthe, se retourner vers Cyparisse qui pleure son cerf favori. Le dieu, loin de sa majesté solaire, est pris entre deux deuils et ne sait plus où donner de la tête : cette vision de la Fable n’exclut pas une distance amusée.

      Les planches de Klein et Savrii trouvent un statut différent, nous semble-t-il, dans l’édition scolaire de Farnaby et dans la traduction française de Martignac: placées face à un texte dépourvu de commentaire et donné dans sa linéarité, elles modélisent la lecture comme une déambulation curieuse, en une approche sensible si ce n’est sensuelle des fables, laissant moins de place à une communauté interprétative (encore visée par l’édition latine de 1637) et plus à la rêverie individuelle. Se profilent ainsi des modes de lecture qui se développeront au cours du XVIIIe siècle.

      Pierre Du Ryer dans sa préface présentait la fable comme un être hybride, au corps « fantastique » et à « l’âme raisonnable ». Cette métaphore symbolise au fond les tiraillements entre plaisir de l’image et fidélité à l’esprit d’un texte encore réputé allégorique qui traverse les dispositifs éditoriaux des Ovide illustrés au XVIIe siècle. Au-delà des commentaires du texte, la fabrique du livre elle-même illustre le débat : le livre, dans les cas étudiés ici, fonctionne comme un dispositif qui assigne leur fonction aux gravures et tend à en orienter la lecture, sans pouvoir la circonvenir. D’un siècle à l’autre, les genres éditoriaux semblent se continuer, mais leurs variations signalent les transformations des attentes des lecteurs vis-à-vis des images. Si le XVIe siècle entend lire un plus haut sens à travers le texte et ses figures, les livres du XVIIe siècle jouent avec la matière ovidienne et constituent le poème en un Parnasse spirituel et plaisant à travers lequel les érudits entendent encore, parfois, livrer des leçons de comportement. Au crépuscule du siècle de Louis XIV, un nouveau tournant s’opère : les images, dans des livres-musées, en viennent à représenter la manière d’Ovide, son art, exhibé comme tel. Les séries gravées après les années 1580 semblent ainsi glisser d’une logique du parcours à une logique de la collection, en sorte que l’album ovidien, objet rare, est peut-être le modèle qui permet de comprendre les autres formes prises au XVIIe siècle par les Métamorphoses figurées.

      L’illustration des poèmes héroïques

      Francine WILD

      Université de Caen Normandie

      Quatre poèmes héroïques à sujet national paraissent en France dans les années 1650 : Alaric ou Rome vaincue, de Scudéry, en 1654, La Pucelle ou la France délivrée, de Chapelain, en 1656, Clovis ou la France chrétienne, de Desmarets, en 1657, Saint Louis ou la Sainte couronne reconquise1, du P. Le Moyne, en 1658. Ces ouvrages, préparés pendant de longues années par les poètes, tentaient de réaliser en France l’équivalent de ce qu’avait été en Italie la Jérusalem délivrée du Tasse : un grand poème équivalent des grandes épopées d’Homère ou Virgile, mais appuyé sur les vérités de la religion chrétienne. Pleins de cette noble ambition, les poètes les ont édités assez luxueusement2. Tous sont illustrés par les meilleurs graveurs du temps, Abraham Bosse, François Chauveau, Jean Lepautre3. Tous présentent un frontispice ou une page de titre illustrée, la plupart contiennent un portrait du monarque ou du mécène4, tous ont une planche gravée face à la première page de chacun des « livres5 » : dix dans Alaric, douze dans La Pucelle, vingt-six dans Clovis, dix-huit dans Saint Louis.

      Dans les limites de cet article, je ne tiendrai compte que de ces planches directement liées aux étapes du récit, pour interroger le système d’illustration des poèmes. Au-delà de quelques questions matérielles et pratiques, on doit se demander ce qui est représenté en priorité : dans le millier de vers de chaque livre, plusieurs scènes sont susceptibles de devenir le sujet de la planche gravée. Les illustrations révèlent et renforcent les intentions du texte, parfois aussi elles le contredisent.

      Statut et fonctions de l’illustration

      Ces illustrations coûtent cher, si on en croit le témoignage de Tallemant des Réaux sur Chapelain et La Pucelle :

      Il a dit qu’il lui coûtait quatre mille livres pour les figures, qui, par parenthèse, ne valent rien ; […] le libraire lui a donné deux mille livres, et depuis, mille livres quand, pour empêcher la vente de l’édition de Hollande, il en fallut faire ici une en petit, parce que dans le traité il y a deux mille livres pour la première édition et mille pour la seconde.1

      Le texte est clair : le libraire, Courbé, rémunère le poète selon un contrat que Tallemant considère comme avantageux pour Chapelain, et prend les risques de l’édition. Mais c’est Chapelain qui a dû financer l’illustration. Si Chapelain dit vrai (on connaît son avarice, il pourrait avoir exagéré ses frais dans ses plaintes), les gravures lui auraient coûté plus cher que l’édition ne lui aurait rapporté.

      La présence des illustrations est donc un luxe, rendu nécessaire par le statut du poème héroïque dans l’imaginaire français de 1650 ; même l’édition étonnamment modeste de Saint Louis, in-12 en petits caractères, a des planches de Chauveau. L’acheteur d’un de ces livres coûteux, ou le grand personnage à qui le poète l’offre en hommage, apprécie l’image qui valorise ce bel objet. Il existe un exemplaire de Clovis, conservé à Harvard2, dont la reliure est marquée des armes du roi, et dont les planches ont été délicatement colorées à l’aquarelle. On peut supposer – prudemment, car les preuves manquent – que le poète est à l’origine de ce travail d’aquarelliste qui faisait du volume un hommage rare au jeune monarque de dix-huit ans, dédicataire du poème. À l’inverse, l’exemplaire de Clovis destiné à une distribution de prix dans un collège jésuite qui est conservé à Lyon3 est, lui, relié sans les planches, preuve que les Pères étaient prêts à renoncer à l’illustration pour limiter le coût de leur cadeau.

      Placées en tête de chaque livre, les planches ont une fonction d’affichage : elles annoncent les événements qu’on va lire, elles en montrent par avance des aspects curieux ou attrayants, elles peuvent guider l’interprétation. Nous voyons, au livre 13 de Saint Louis, Lisamante lever son coutelas pour tuer le vieux sultan endormi, sous les ordres d’une femme divine dont nous avons à deviner qu’il s’agit de Judith : la guerrière venait d’être faite prisonnière, nous découvrons son futur exploit.

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