" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ la rive plus basse imitent son repos.

      De chiens chacune tient une laisse vaillante.

      L’un dort, l’autre s’étend, l’autre boit l’eau coulante.

      Un sanglier aux longs poils, aux écumeuses dents,

      Semble dormir en paix près des limiers ardents ;

      Mais la rougeur du sang qui souille la verdure

      Fait reconnaître assez sa funeste aventure. […]

      Clovis en surmontant sa profonde tristesse :

      « Qui que tu sois, dit-il, soit nymphe, soit déesse,

      Favorable aux mortels de douleur consumés,

      N’as-tu point vu courir dix Bourguignons armés ? »

      Elle dresse son chef d’une façon hautaine.

      Sur le noble guerrier son regard se promène […].1

      Et la scène s’arrête ici ; Chauveau ne va pas plus loin. Yoland entend la requête mais n’y répond pas encore, c’est la suite du texte. On pourrait donc dire que Chauveau a parfaitement figé la scène à l’aide de l’attention qu’il accorde aux détails, scrupuleusement reproduits (les chiens, le sanglier, le vent dans les cheveux de Yoland…). Néanmoins, le visage de la chasseresse semble exprimer l’admiration, ou du moins la curiosité, l’intérêt, rendus sensibles par la position de sa main droite, qui suggère une posture de contemplation, la main gauche étant librement et presque sensuellement posée sur la cuisse2. Ceci n’est pas dans la scène décrite par Desmarets, qui accentue au contraire aux vers suivants la morgue de la princesse :

      Puis elle abaisse l’œil, se lève avec froideur,

      Se tient muette un temps, d’orgueil ou de pudeur.

      A peine pour ces mots ses lèvres sont ouvertes :

      « Nul passant n’a paru dans ces forêts désertes ».

      Puis elle se détourne, avare de sa voix.

      Dédaigneuse elle laisse et Clovis et le bois.3

      On attendrait que Chauveau, anticipant l’instant de la réponse, rende compte de cette « froideur ». Il ne le fait pas. Pourtant, l’admiration et la curiosité de Yoland pour Clovis sont bien présentes dans ce livre, mais on l’apprend rétrospectivement, grâce au discours qu’elle tient à Aubéron et Albione aux vers 921-925 :

      Naguère, dit sa sœur, j’ai vu ce prince illustre :

      Au moins un qui n’atteint que son cinquième lustre,

      D’un port superbe et doux, d’un auguste regard,

      Et qui presse un coursier à poil de léopard.

      Il court, et des brigands il a perdu la piste.4

      Plus explicitement encore :

      Est-ce là ce grand roi dont partout le bruit vole ?

      Je brûle du désir d’apprendre ses exploits,

      Et quels peuples sa force a rangés sous ses lois,

      Et de savoir encore le sort de ses ancêtres […].5

      Le livre II est important car il permet notamment de décrire l’amour naissant de Yoland et d’Albione pour Clovis, amour qui entraînera de nombreuses péripéties dans la chaîne épique. Chauveau se trouvait face à un problème de rendu narratif : fallait-il condenser rétrospectivement la scène – solution qu’il retient – en important de la suite du texte des sentiments qu’on peut lire ici « en avant-première » – ce qui rend bien compte de la fonction de résumé synecdochique de l’image –, ou se contenter de reproduire le comportement hautain de Yoland, qui est calculé et indexé sur son orgueil naturel, caractéristique constante du personnage tout au long de l’œuvre ? Le texte introduit en fait subtilement une alternative à cette explication : au vers 872, Yoland « se tient muette d’orgueil ou de pudeur ». Un choix est donc laissé à l’illustrateur. Chauveau s’engouffre dans la brèche pour dévoiler une interprétation de la scène : pour lui, si Yoland se montre aussi froide, c’est possiblement par « pudeur », ce qui en soi ne semble pas contredire l’orgueil (la hauteur de son rang et les règles qui en découlent exige qu’elle ne réponde pas à un inconnu avec familiarité), mais ce qui peut s’entendre de manière polysémique, comme l’illustration en témoigne. On voit en un instant, condensé, que Yoland est impressionnée par Clovis, ce que nous n’apprenons que plus tard dans le récit épique. L’illustration revêt ici une fonction proleptique.

      Asyndète et illustration : Gondebaut et les spectres

      Dans Clovis, Desmarets emploie souvent l’asyndète pour exacerber la vivacité du récit puisque, comme le rappelle Francine Wild, « une épopée, c’est d’abord un récit, et un récit haletant. Le temps du récit épique est le présent, et le récit bondit d’un épisode à l’autre1 ». L’absence de transition (le marqueur « déjà » suffit) situe le texte dans une sorte de système cinématographique par séquence2. Mais Desmarets se sert également de cette figure pour rendre compte des sensations et sentiments des personnages, qui sont souvent mêlés, voire brouillés : l’asyndète est un moyen expressif qui vise simultanément à illustrer le récit, à le placer sous les yeux du lecteur, car l’asyndète participe évidemment de l’hypotypose, et à en augmenter l’expressivité.

      L’exemple du songe de Gondebaut au livre sixième est particulièrement éclairant. Voici le passage textuel que Chauveau choisit d’illustrer (Fig. 2) :

      Sa bouche alors lança deux infâmes serpents,

      Qui déjà sur son lit et par son sein rampant

      Le mordent, et déjà le percent jusqu’à l’âme.

      Il se trouble, il s’effraie, il frémit, il se pâme.

      Mais l’effroi le réveille. En vain il veut crier.

      Son impuissante voix s’attache à son gosier.

      Au défaut du parler, il se débat, il tremble.

      Il pousse des sanglots et gémit tout ensemble.3

      Conformément au texte, le graveur représente le roi dans son lit, épouvanté par l’apparition des fantômes de son frère et de sa belle-sœur qu’il fit assassiner pour prendre le pouvoir. Le premier, qui se trouve devant lui, le second étant positionné en retrait mais dans le même angle de perspective, lui lance par la bouche « deux infâmes serpents ». Dans le texte, la strate temporelle suivante narre l’apparition des serviteurs, alertés par les gémissements confus de leur maître, incapable de crier : « Tous les siens à son aide accourent à ce bruit4. » La gravure anticipe ce vers et condense la scène en les faisant apparaître à l’arrière-plan, à gauche, introduisant un clair-obscur par le rai de lumière que produisent leurs torches. Cette anticipation se justifie par la posture de Gondebaut, condensant elle aussi le cri, le gémissement, l’effroi, en un mot ses diverses gesticulations СКАЧАТЬ