" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ par exemple. Dans les deux cas, un récit rétrospectif commence, et l’illustration renvoie à ce passé dont nous ne savons encore rien. Elle aiguise la curiosité plus qu’elle n’informe. Cet affichage de l’événement important qui vient – combat, rencontre décisive, miracle – empêche certains effets de surprise, mais en prépare d’autres en incitant le lecteur à prévoir et expliquer les faits. Le public du XVIIe siècle est habitué à ce type d’énigme, qu’il rencontre souvent dans la tragédie : on connaît d’avance l’issue de l’action, par l’histoire ou par la fable, les oracles ou prédictions nous y préparent, mais toute la mécanique fatale est à découvrir. Dans les poèmes héroïques, où le substrat historique est très mince, l’image est un repère utile. L’annonce ne détruit pas les principaux plaisirs du récit, qui se déroulent dans le temps de la lecture : nous ne savons pas comment l’événement va se produire, ni ses conséquences.

      L’illustration joue aussi un rôle de documentation. On attendrait une utilisation didactique importante de l’image dans Alaric, où Scudéry essaie d’introduire le plus possible de connaissances et d’indications techniques, mais en fin de compte c’est surtout dans Saint Louis que cette fonction intervient. Les planches nous font connaître autant que possible le pays exotique où se déroule l’action, sa végétation et sa faune : dès le livre 2 nous voyons Lisamante, sous les palmiers, sauvée de la panthère qui allait la tuer.

      Saint Louis, livre 2 : Alphonse sauve Lisamante attaquée par une panthère. [Bibliothèques de Nancy]

      Au livre 3 nous voyons dans la ville de Damiette un monstrueux crocodile qui se nourrit d’enfants chrétiens, au livre 4 un éléphant, au livre 10 le cadre bucolique où vit la sainte ermite Alegonde. Deux planches nous montrent Bourbon pourfendant des monstres suscités par l’enfer. L’illustration nous initie à ce monde lointain, étrange et plein de surnaturel, qu’est l’Égypte. La gravure est bien, pour le poète, « un moyen supplémentaire de toucher et d’instruire son lecteur4 ».

      Le choix de la scène et des personnages

      Comment l’illustrateur1 – peut-être sous contrôle du poète – choisit-il dans chaque livre la scène dont il souhaite qu’elle représente l’essentiel des mille vers qui le constituent ?

      La préférence pour les scènes animées, et surtout à suspens ou pathétiques, est nette. On ne voit jamais un héros en prière2 ; un seul des moments de prophétie, dont l’importance dans les poèmes est pourtant évidente, nous est montré3, et très peu de situations de parole (échanges verbaux, monologues). Quelquefois on a l’impression, surtout dans Clovis, que la scène choisie est celle qui tombe sous les yeux dès la page suivante : par exemple, le combat d’Yoland et de Clovis au début du livre 8 – alors qu’on s’attendrait à voir sainte Geneviève qui intervient longuement un peu plus loin –, ou l’oriflamme dévoilant les traîtres que cache une nuée au livre 14. Ce n’est pas une règle générale : le livre 15 commence par l’exécution publique de Clotilde arrêtée juste à temps par Sigismond, scène dramatique à souhait, que pourtant l’illustration ne retient pas. Chez tous les poètes l’action est riche, et on comprend les hésitations sur le choix du sujet à représenter. Pour Saint Louis, réédité avec de nouvelles illustrations en 1671, Véronique Meyer signale les cas où les choix ont divergé. Huit livres sur dix-huit voient illustrer soit une autre scène, soit un autre moment de la même scène4. Le choix était souvent difficile : au livre 15, la scène violente où sous les yeux de Zahide blessée l’archer qui l’a touchée par erreur se suicide pour s’en punir, est remplacée par la déploration sur le corps de la guerrière Bélinde, tombée dans la même bataille. Des sujets également pathétiques se trouvaient en concurrence.

      Le héros est représenté sur presque toutes les planches chez Scudéry et Chapelain, qui ont opté pour un récit linéaire, sans analepse, comme le Tasse ; mais alors que le Tasse répartit l’intérêt entre Godefroy, Renaud, Tancrède, et les suit dans des aventures et des lieux variés, eux ont tout centré sur la mission de leur héros. Celui-ci est donc constamment présent dans la narration, et par suite, dans l’illustration qui l’accompagne. Ces deux poètes ont aussi proposé leur poème à une lecture allégorique, à l’instar du Tasse qui avait fait de la conquête de Jérusalem l’allégorie de la recherche par l’âme du souverain bien. L’illustration porte ces intentions allégoriques et didactiques.

      À l’inverse, Desmarets et le P. Le Moyne ont une visée plus historique et nationale, qui n’a pas besoin de se réclamer de l’allégorie. Il s’agit pour eux de montrer la vocation particulière de la France dans les desseins de Dieu. Ils utilisent le principe du commencement in medias res, ce qui entraîne des récits rétrospectifs de divers personnages, et par là, multiplie les possibilités d’illustrations renvoyant à des temps, des lieux, des personnages divers. Les livres 5 et 10 dans Clovis, 2, 3 et 10 dans Saint Louis tirent leur illustration de ces récits. Des « épisodes », actions secondaires rattachées à l’action principale, nous amènent à suivre un autre héros : dans Saint Louis, les exploits de Bourbon, les aventures de Lisamante ou la mort de Robert d’Artois apparaissent sur les planches gravées. Par la pratique de l’analepse et par l’introduction de personnages et d’aventures multiples, les deux poètes ont fait le choix d’un récit en quelque sorte choral. L’illustration en rend nécessairement compte.

      L’image amplifie les intentions du poète

      Le héros est roi et chef de guerre. Il est systématiquement représenté au premier rang dans les batailles1, même lorsqu’il s’agit d’un combat désordonné comme celui où Alaric et ses soldats forcent le passage d’un col des Alpes.

      Alaric, livre 7 : bataille au sommet d’un col des Alpes. [Bibliothèques de Nancy]

      Dans l’exercice du pouvoir, Louis ou Clovis – qu’on voit assis sur leur trône – sont entourés d’une cour (princes du sang, chefs de l’armée, ecclésiastiques) qui préfigure la monarchie louis-quatorzienne2. Clovis sur quelques images est au milieu de ses compagnons, renvoyant au mythe vivace du roi franc entouré de ses pairs dans la forêt des temps primitifs3.

      La dignité du roi et celle du poème épique ne permettent aucune intrusion dans l’intimité. Nous n’avons droit à aucune rencontre privée de Clovis et Clotilde après le bref épisode du livre 1 où l’orage déclenché par les démons les oblige à se réfugier chez Auberon. Sur l’illustration du livre 11, il la voit de loin en prière à la cathédrale de Vienne, alors que peu après dans le poème ils se fiancent en secret, en présence de saint Avite, évêque du lieu, moment où

      Un rouge étincelant au visage leur monte,

      À l’un par le transport, à l’autre par la honte.4

      Nous ne verrons pas cette scène. Au livre 16, Clovis retrouve Clotilde à demi-évanouie à la fin de la bataille et lui baise la main « d’un baiser amoureux, et long, et languissant » ; l’image ne représente nullement ce duo, mais, un peu plus tôt, le moment où Clotilde, pour arrêter le combat entre ses prétendants, descend vivement du char où elle était placée. L’illustrateur semble anticiper les possibles critiques au nom de la bienséance. Le héros n’est que très rarement représenté dans une situation de défaite ou d’humiliation : c’est seulement le cas de la Pucelle lorsque le roi la chasse et la maudit, et celui de Clovis lorsque la fausse Clotilde le quitte en l’humiliant publiquement5. СКАЧАТЬ