Название: Jane Austen: Oeuvres Majeures
Автор: Джейн ОÑтин
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 9788027302383
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— Vous l’avez donc aimée ? dit Elinor un peu radoucie ; il y a donc eu un temps où vous lui avez été attaché ? Vous voulez m’ouvrir votre cœur, dites-vous ; parlez donc : avez-vous aimé Maria ?
— Si je l’ai aimée ? ah, dieu ! Résister à tant d’attraits, repousser une telle tendresse ! existe-t-il un homme au monde à qui cela fût possible ? Oui, par degrés insensibles, je me trouvai passionné d’elle, et décidé alors à renoncer à tout pour elle, à lui offrir mon cœur et ma main. Je la connaissais trop bien pour craindre que la médiocrité de ma fortune fût un motif de refus, même pour madame Dashwood, qui ne voyait que par les yeux de Maria, et qui me témoignait une amitié de mère. Résolu de changer de vie, de trouver le bonheur dans l’amour et la simplicité, je voulais lui proposer de nous garder auprès d’elle à la chaumière, jusqu’à ce que la mort et l’héritage de madame Smith me missent à même de conduire ma compagne à Altenham, dont Maria aimait la situation, et qui la laissait dans le voisinage de sa famille. Oh ! combien j’étais heureux en formant ce plan, en pensant que mon existence entière serait ce qu’elle était depuis deux mois, un enchantement continuel au milieu des quatre femmes les plus aimables en différens genres que j’eusse rencontrées dans cette délicieuse habitation ! Vous rappelez-vous, miss Dashwood, la dernière soirée que j’ai passée à la chaumière, quand je conjurai votre mère, que je regardais déjà comme la mienne, de n’y rien changer ? Ah ! le souvenir de cette seule journée suffirait pour empoisonner le reste de ma vie… Et je croyais alors que toutes mes journées seraient semblables à celle-là ! Madame Dashwood m’invita à dîner pour le lendemain, et je me décidai à lui ouvrir entièrement mon cœur, à ne parler de rien à Maria ; j’étais si sûr de son affection ! c’est devant elle que je voulais dire à sa mère : Unissez vos enfans. Je vous quittai plein de cette ravissante idée ; je voulais en parler le soir même à madame Smith, et lui demander son aveu, que j’étais sûr d’obtenir. Cette digne femme vous estimait sans vous connaître, et attachait bien plus de prix aux mœurs, à une bonne éducation, qu’à une brillante fortune. Souvent, lorsque je lui parlais de votre famille, son regard attendri m’avait dit : Voilà où vous devriez prendre une femme. Je rentrai donc chez elle résolu à lui en parler le soir même. Ah, bon dieu ! quel entretien différent eus-je avec elle ! Elle avait reçu des lettres sans doute de quelque parent éloigné qui voulait me priver de sa faveur et des preuves qu’elle m’en destinait. On lui apprenait… une affaire…, une liaison… que j’avais presque oubliée moi-même. Mais qu’est-il besoin de m’expliquer davantage ? dit-il en s’interrompant et rougissant beaucoup ; votre intime ami vous a sans doute depuis long-temps raconté cette histoire ?
Elinor rougit aussi et endurcit de nouveau son cœur contre le séducteur de la pauvre Caroline. Oui, monsieur, lui dit-elle avec fermeté, je sais tout. Mais comment pourrez-vous vous justifier dans une telle circonstance ? Cela me paraît impossible.
— Me justifier ! s’écria-t-il vivement, je n’y songe pas même. Je vous ai dit quels avaient été mes principes, mes habitudes, mes liaisons avant que j’eusse rencontré votre sœur, et cela dit tout ; j’ajouterai seulement que celui de qui vous tenez cette histoire, ne pouvait être impartial. J’ai sans doute eu beaucoup de torts avec Caroline ; mais il n’est pas dit cependant que parce qu’elle a été offensée elle soit irréprochable, et que parce que j’étais un libertin elle soit une sainte. La violence de ses passions et la faiblesse de son jugement seraient peut-être une excuse… Mais, non, non, je n’en ai point que je puisse alléguer ; son amour pour moi méritait un meilleur traitement. Je me suis bien souvent reproché de lui avoir témoigné celui que je n’ai jamais senti, ou du moins si peu de temps, que je ne puis appeler cela de l’amour, surtout après l’avoir éprouvé dans toute sa force pour une femme qui lui est, à tout égard, si supérieure.
— Votre indifférence pour cette fille infortunée, quelque étrange qu’elle me paraisse, est un tort involontaire, reprit Elinor ; mais votre négligence est bien plus impardonnable. Quoiqu’il me soit désagréable d’entrer dans une discussion sur cet objet, permettez-moi de vous dire que si je vois de la faiblesse et de la crédulité de son côté, je vois du vôtre une cruauté, une inhumanité bien moins excusables. Pendant que vous étiez en Devonshire, poursuivant de nouveaux plans, de nouvelles amours, toujours gai, toujours heureux, votre victime était réduite à la plus extrême indigence, à la honte, au désespoir, à l’abandon.
— Sur mon ame ! je l’ignorais. J’avais pourvu à tout en la quittant ; je ne lui avais point caché que je ne comptais pas la rejoindre ; je lui avais conseillé de recourir au pardon de son protecteur. Tout pouvait être caché ou réparé, si elle avait suivi mes avis. Je croyais qu’elle était rentrée dans sa pension ou dans une autre, et je ne songeais plus à elle, quand elle fut tout à coup rappelée à mon souvenir d’une manière aussi terrible ! Je trouvai madame Smith au comble de l’indignation, et ma confusion fut extrême. La pureté de sa vie, son ignorance complète du monde, ses idées religieuses et morales très-exaltées, tout fut contre moi. Elle m’accabla du poids de sa colère, mais cependant m’offrit son pardon, si je voulais épouser Caroline. Cela ne se pouvait ; je ne le voulus pas, et je fus formellement rejeté de toute prétention sur l’amitié et la fortune de ma parente, et banni de sa maison que je devais quitter le lendemain. Je rentrai dans ma chambre pour faire mon paquet, et je trouvai sur ma table une lettre du colonel Brandon qui me reprochait le déshonneur de sa pupille, et me donnait rendez-vous à Londres, pour lui rendre raison de ma conduite. Étais-je assez puni de ce que les jeunes gens appelent un passe-temps, une légèreté ? la perte de ma fortune et de toutes mes espérances de bonheur, et peut-être celle de ma vie ! Quelle nuit je passai !… Mais à quoi servaient les combats, les réflexions ? tout était fini pour moi. Je ne pouvais plus offrir à madame Dashwood un fils, et à Maria un époux ; je n’avais plus de ressources ni pour le présent, ni pour l’avenir, et j’étais rejeté pour un genre de tort qui ne pouvait que les blesser vivement et me faire repousser aussi d’elles. Ah ! combien je désirais alors que la vengeance du colonel fût complète ! avec quel plaisir, quel empressement j’allai au-devant de la mort, que j’espérais recevoir de sa main ! Je craignais bien davantage la scène qui m’attendait encore avant de quitter pour jamais le Devonshire en prenant congé de Maria. J’étais engagé à dîner chez vous ; il fallait aller m’excuser ; il fallait revoir celle que j’allais quitter pour toujours et laisser si malheureuse !
— Pourquoi la voir, M. Willoughby ? Pourquoi ne pas écrire un mot d’excuse ? Qu’était-il nécessaire de venir vous-même ? s’écria Elinor.
— C’était nécessaire à mon orgueil et à mon amour. Je ne voulais pas laisser soupçonner à personne ce qui s’était passé entre madame Smith et moi, et je voulais voir encore une fois, avant de mourir, celle que j’idolâtrais de toute la force de mon ame ; je ne croyais pas d’ailleurs la trouver seule. Je voulais encore une fois être au milieu de cette famille que la veille encore je regardais déjà comme la mienne. Oh ! quand je me rappelais avec quelles délices j’étais revenu de la chaumière à СКАЧАТЬ