Название: Les mystères du peuple, Tome I
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: История
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– Il n'est pas probable que tout se soit passé sans nombreuses révoltes des serfs contre les rois, les seigneurs et les prêtres. Mais, grand-père, je vous ai dit le peu que je savais… et ce peu là, je l'ai appris tout en travaillant à la menuiserie du magasin de monsieur Lebrenn, le marchand de toile d'en face…
– Comment donc cela, mon garçon?
– Pendant que j'étais à l'ouvrage, monsieur Lebrenn, qui est le meilleur homme du monde, causait avec moi… me parlait de l'histoire de nos pères, que j'ignorais comme vous l'ignoriez. Une fois ma curiosité éveillée… et elle était vive…
– Je le crois bien…
– Je faisais mille questions à monsieur Lebrenn, tout en rabottant et en ajustant; il me répondait avec une bonté vraiment paternelle. C'est ainsi que j'ai appris le peu que je vous ai dit. Mais… – ajouta Georges avec un soupir qu'il put à peine étouffer, – mes travaux de menuiserie finis… les leçons d'histoire ont été interrompues. Aussi, je vous ai dit tout ce que je savais, grand-père.
– Ah! le marchand de toile d'en face est si savant que ça?
– Il est aussi savant que bon patriote; c'est un vieux Gaulois, comme il s'appelle lui-même. Et quelquefois, – ajouta Georges sans pouvoir s'empêcher de rougir légèrement, – je l'ai entendu dire à sa fille, en l'embrassant avec fierté pour quelque réponse qu'elle lui avait faite: Oh! toi… tu es bien une vraie Gauloise!
À ce moment, le père Morin et Georges entendirent frapper à la porte de la première chambre.
– Entrez, – dit Georges.
On entra dans la pièce qui précédait celle où était couché le vieillard.
– Qui est là? – demanda Georges.
– Moi… monsieur Lebrenn, – répondit une voix.
– Tiens!.. ce digne marchand de toile… dont nous parlions… Ce vieux Gaulois! – dit à demi-voix le bonhomme. – Va donc vite, mon enfant, et ferme la porte.
Georges, aussi troublé que surpris de cette visite inattendue, quitta la chambre de son grand-père, et se trouva bientôt en face de M. Lebrenn.
CHAPITRE III
Comment M. Marik Lebrenn, le marchand de toile, devina ce que Georges Duchêne, le menuisier, ne voulait pas dire, et ce qui s'ensuivit.
M. Lebrenn avait cinquante ans environ, quoiqu'il parût plus jeune. Sa grande stature, la nerveuse musculature de son cou, de ses bras et de ses épaules, le port fier et décidé de sa tête, son visage large et fortement accentué, ses yeux bleus de mer au regard ferme et perçant, son épaisse et rude chevelure châtain clair, quelque peu grisonnante et plantée un peu bas sur un front qui semblait avoir la dureté du marbre, offraient le type caractéristique de la race bretonne, où le sang et le langage gaulois se sont surtout perpétués presque sans mélange jusqu'à nos jours. Sur les lèvres vermeilles et charnues de M. Lebrenn régnait tantôt un sourire rempli de bonhomie, tantôt empreint d'une malice narquoise et salée, comme disent nos vieux livres en parlant des plaisanteries de haut goût, du vieil esprit gaulois, toujours si enclin à gaber (narguer). Nous achèverons le portrait du marchand en l'habillant d'un large paletot bleu et d'un pantalon gris.
Georges Duchêne, étonné, presque interdit de cette visite imprévue, attendait en silence les premières paroles de M. Lebrenn. Celui-ci lui dit:
– Monsieur Georges, il y a six mois, vous avez été chargé, par votre patron, de différents travaux à exécuter dans ma boutique; j'ai été fort satisfait de votre intelligence et de votre habileté.
– Vous me l'avez prouvé, monsieur, par votre bienveillance.
– Elle devait vous être acquise; je vous voyais laborieux. Désireux de vous instruire, je savais de plus… comme tous nos voisins, votre digne conduite envers votre vieux grand-père, qui habite cette maison depuis quinze ans…
– Monsieur, – dit Georges embarrassé de ces louanges, – ma conduite…
– Est toute simple, n'est-ce pas? Soit. Vos travaux dans ma boutique ont duré trois mois… Très-satisfait de nos relations, je vous ai dit, et cela de tout cœur: Monsieur Georges, nous sommes voisins… venez donc me voir, soit le dimanche, soit d'autres jours, après votre travail… vous me ferez plaisir… bien plaisir…
– En effet, monsieur, vous m'avez dit cela.
– Et cependant, monsieur Georges, vous n'avez jamais remis les pieds chez moi.
– Je vous en prie, monsieur, n'attribuez ma réserve ni à l'ingratitude ni à l'oubli.
– À quoi l'attribuer alors?
– Monsieur…
– Tenez, monsieur Georges, soyez franc… vous aimez ma fille…
Le jeune homme tressaillit, pâlit, rougit tour à tour, et après une hésitation de quelques instants, il répondit à M. Lebrenn d'une voix émue:
– C'est vrai, monsieur… j'aime mademoiselle votre fille.
– De sorte que, vos travaux achevés, vous n'êtes pas revenu chez nous de peur de vous laisser entraîner davantage à votre amour?
– Oui, monsieur…
– De cet amour vous n'avez jamais parlé à ma fille?
– Jamais, monsieur…
– Je le savais. Mais pourquoi avoir manqué de confiance envers moi, monsieur Georges?
– Monsieur, – répondit le jeune homme avec embarras, – je… n'ai… pas osé…
– Pourquoi? parce que je suis ce qu'on appelle un bourgeois?.. un homme riche comparativement à vous, qui vivez au jour le jour de votre travail?
– Oui, monsieur…
Après un moment de silence, le marchand reprit:
– Permettez-moi, monsieur Georges, de vous adresser une question; vous y répondrez si vous le jugez convenable.
– Je vous écoute, monsieur.
– Il y a environ quinze mois, quelque temps après votre retour de l'armée, vous avez dû vous marier?
– Oui, monsieur.
– Avec une jeune ouvrière fleuriste, orpheline, nommée Joséphine Éloi?
– Oui, monsieur.
– Pouvez-vous m'apprendre pourquoi ce СКАЧАТЬ