Название: Les mystères du peuple, Tome I
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: История
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– En vérité, cela est très-extraordinaire, Gildas. Ce bandit de moine rouge se nommait le sire de Plouernel?
– Oui.
– Souvent j'ai entendu monsieur Lebrenn parler de cette famille comme s'il avait à s'en plaindre, et dire en parlant d'un méchant homme: C'est donc un fils de Plouernel! comme on dirait: C'est donc un fils du diable!
– Étonnante… étonnante maison que celle-ci, reprit Gildas d'un air méditatif et presque alarmé. Voilà monsieur Lebrenn qui prétend avoir à se plaindre de la famille d'un moine rouge, mort depuis huit ou neuf cents ans… Enfin, Jeanike, le récit vous servira, j'espère.
– Ah ça, Gildas, reprit Jeanike en riant, est-ce que vous vous imaginez qu'il y a des moines rouges dans la rue Saint-Denis, et qu'ils enlèvent les jeunes filles en omnibus?
Au moment où Jeanike prononçait ces mots, un domestique en livrée du matin entra dans la boutique et demanda M. Lebrenn.
– Il n'y est pas, dit Gildas.
– Alors, mon garçon, répondit le domestique, vous direz à votre bourgeois que le colonel l'attend ce matin, avant midi, pour s'entendre avec lui au sujet de la fourniture de toile dont il a parlé hier à votre bourgeoise. Voici l'adresse de mon maître, ajouta le domestique en laissant une carte sur le comptoir. Et surtout recommandez bien à votre patron d'être exact; le colonel n'aime pas attendre.
Le domestique sorti. Gildas prit machinalement la carte, la lut, et s'écria en pâlissant:
– Par Sainte-Anne d'Auray! c'est à n'y pas croire…
– Quoi donc, Gildas?
– Lisez, Jeanike!
Et d'une main tremblante il tendit la carte à la jeune fille, qui lut:
LE COMTE GONTRAN DE PLOUERNEL,
COLONEL DE DRAGONS,
18, rue de Paradis-Poissonnière.
– Étonnante… effrayante maison que celle-ci, répéta Gildas en levant les mains au ciel, tandis que Jeanike paraissait aussi surprise et presque aussi effrayée que le garçon de magasin.
CHAPITRE II
Comment et à propos de quoi le bonhomme Morin, dit le Père la Nourrice, manqua de renverser la soupe au lait que lui avait accommodée son petit-fils Georges Duchêne, ouvrier menuisier, ex-sergent d'infanterie légère. – Pourquoi M. Lebrenn, marchand de toile, avait pris pour enseigne de sa boutique l'Épée de Brennus. – Comment le petit-fils fit la leçon à son grand-père, et lui apprit des choses dont le bonhomme ne se doutait point, entre autres que les Gaulois nos pères, réduits en esclavage, portaient des colliers ni plus ni moins que des chiens de chasse, et qu'on leur coupait parfois les pieds, les mains, le nez et les oreilles.
Pendant que les événements précédents se passaient dans le magasin de M. Lebrenn, une autre scène avait lieu, presqu'à la même heure, au cinquième étage d'une vieille maison située en face de celle qu'occupait le marchand de toile.
Nous conduirons donc le lecteur dans une modeste petite chambre d'une extrême propreté: un lit de fer, une commode, deux chaises, une table au-dessus de laquelle se trouvaient quelques rayons garnis de livres; tel était l'ameublement. À la tête du lit, on voyait suspendue à la muraille une espèce de trophée, composé d'un képi d'uniforme, de deux épaulettes de sous-officier d'infanterie légère, surmontant un congé de libération de service, encadré d'une bordure de bois noir. Dans un coin de la chambre, on apercevait, rangés sur une planche, divers outils de menuisier.
Sur le lit, on voyait une carabine fraîchement mise en état, et sur une petite table, un moule à balles, un sac de poudre, une forme pour confectionner des cartouches, dont plusieurs paquets étaient déjà préparés.
Le locataire de ce logis, jeune homme d'environ vingt-six ans, d'une mâle et belle figure, portant la blouse de l'ouvrier, était déjà levé; accoudé au rebord de la fenêtre de sa mansarde, il paraissait regarder attentivement la maison de M. Lebrenn, et particulièrement une des quatre fenêtres, entre deux desquelles était fixée la fameuse enseigne: À l'Épée de Brennus.
Cette fenêtre, garnie de rideaux très-blancs et étroitement fermés, n'avait rien de remarquable, sinon une caisse de bois peint en vert, surchargée d'oves et de moulures, soigneusement travaillées, qui garnissait toute la largeur de la baie de la croisée, et contenait quelques beaux pieds d'héliotropes d'hiver et de perce-neige en pleine floraison.
Les traits de l'habitant de la mansarde, pendant qu'il contemplait la fenêtre en question, avaient une expression de mélancolie profonde, presque douloureuse; au bout de quelques instants, une larme, tombée des yeux du jeune homme, roula sur ses moustaches brunes.
Le bruit d'une horloge qui sonna la demie de sept heures tira Georges Duchêne (il se nommait ainsi) de sa rêverie; il passa la main sur ses yeux encore humides, et quitta la fenêtre en se disant avec amertume:
– Bah! aujourd'hui ou demain, une balle en pleine poitrine me délivrera de ce fol amour… Dieu merci, il y aura tantôt une prise d'armes sérieuse, et du moins ma mort servira la liberté… Puis, après un moment de réflexion, Georges ajouta:
– Et le grand-père… que j'oubliais!
Alors il alla chercher dans un coin de la chambre un réchaud à demi plein de braise allumée qui lui avait servi à fondre des balles, posa sur le feu un petit poêlon de terre rempli de lait, y éminça du pain blanc, et en quelques minutes confectionna une appétissante soupe au lait, dont une ménagère eût été jalouse.
Georges, après avoir caché la carabine et les munitions de guerre sous son matelas, prit le poêlon, ouvrit une porte pratiquée dans la cloison, et communiquant à une pièce voisine, où un homme d'un grand âge, d'une figure douce et vénérable, encadrée de longs cheveux blancs, était couché dans un lit beaucoup meilleur que celui de Georges. Ce vieillard semblait être d'une grande faiblesse; ses mains amaigries et ridées étaient agitées par un tremblement continuel.
– Bonjour, grand-père, dit Georges en embrassant tendrement le vieillard. Avez-vous bien dormi cette nuit?
– Assez bien, mon enfant.
– Voilà votre soupe au lait. Je vous l'ai fait un peu attendre.
– Mais non. Il y a si peu de temps qu'il est jour! Je t'ai entendu te lever et ouvrir ta fenêtre… il y a plus d'une heure.
– C'est vrai, grand-père… j'avais la tête un peu lourde… j'ai pris l'air de bonne heure.
– Cette nuit je t'ai aussi entendu aller et venir dans ta chambre.
– Pauvre grand-père! je vous aurai réveillé?
– Non, je ne dormais pas… Mais, tiens, Georges, sois franc… tu as quelque chose.
– Moi? pas du tout.
– Depuis plusieurs mois tu es tout triste, tu es pâli, changé, à ne pas te reconnaître; tu n'es plus gai comme à ton retour du régiment?
– Je СКАЧАТЬ