Les mystères du peuple, Tome I. Эжен Сю
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Название: Les mystères du peuple, Tome I

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: История

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Ainsi, c'était de nos pères les Gaulois que parlait notre Béranger? Hélas! pauvres hommes! comme tant d'autres sans doute, ils se grisaient pour s'étourdir sur leur infortune…

      – Oui, grand-père; mais ils ont bientôt reconnu que s'étourdir n'avance à rien, que briser ses fers vaut mieux.

      – Pardieu!

      – Aussi, les Gaulois, après des insurrections sans nombre…

      – Dis donc, mon garçon, il paraît que le moyen n'est pas nouveau, mais c'est toujours le bon… Eh eh! – ajouta le vieillard en frappant de son ongle le fourneau de sa pipe, – eh eh! vois-tu, Georges, tôt ou tard, il faut en revenir à cette bonne vieille petite mère, l'insurrection… comme en 89… comme en 1830… comme demain peut-être…

      – Pauvre grand-père! – pensa Georges, – il ne croit pas si bien dire.

      Et il reprit tout haut:

      – Vous avez raison; en fait de liberté, il faut que le peuple se serve lui-même, et mette les mains au plat, sinon il n'a que des miettes… il est volé… comme il l'a été il y a dix-huit ans.

      – Et fièrement volé, mon pauvre enfant! J'ai vu cela; j'y étais.

      – Heureusement, vous savez le proverbe, grand-père… chat échaudé… suffit, la leçon aura été bonne… Mais pour revenir à nos Gaulois, ils font, comme vous dites, appel à cette bonne vieille mère l'insurrection; elle ne fait pas défaut à ses braves enfants; et ceux-ci, à force de persévérance, d'énergie, de sang versé, parviennent à reconquérir une partie de leur liberté sur les Romains, qui, d'ailleurs, n'avaient pas débaptisé la Gaule, et l'appelaient la Gaule romaine.

      – De même qu'on dit aujourd'hui l'Algérie française?

      – C'est ça, grand-père.

      – Allons, voilà, Dieu merci, nos braves Gaulois, grâce au secours de la bonne vieille mère l'insurrection, un peu remontés sur leur bête, comme on dit; ça me met du baume dans le sang.

      – Ah! grand-père, attendez… attendez!

      – Comment?

      – Ce que nos pères avaient souffert n'était rien auprès de ce qu'ils devaient souffrir encore.

      – Allons, bon, moi qui étais déjà tout aise… Et que leur est-il donc arrivé?

      – Figurez-vous qu'il y a treize ou quatorze cents ans, des hordes de barbares à demi sauvages, appelés Francs, et arrivant du fond des forêts de l'Allemagne, de vrais cosaques enfin, sont venus attaquer les armées romaines, amollies par les conquêtes de la Gaule, les ont battues, chassées, se sont à leur tour emparés de notre pauvre pays, lui ont ôté jusqu'à son nom, et l'ont appelé France, en manière de prise de possession.

      – Brigands! – s'écria le vieillard – J'aimais encore mieux les Romains, foi d'homme; au moins ils nous laissaient notre nom.

      – C'est vrai; et puis du moins les Romains étaient le peuple le plus civilisé du monde, sauf leur barbarie envers les esclaves; ils avaient couvert la Gaule de constructions magnifiques, et rendu, de gré ou de force, une partie de leurs libertés à nos pères; tandis que les Francs étaient, je vous l'ai dit, de vrais cosaques… Et sous leur domination tout a été à recommencer pour les Gaulois.

      – Ah! mon Dieu! mon Dieu!

      – Ces hordes de bandits francs…

      – Dis donc ces cosaques! nom d'un nom!

      – Pis encore, s'il est possible, grand-père… Ces bandits francs, ces cosaques, si vous voulez, appelaient leurs chefs des rois; cette graine de rois s'est perpétuée dans notre pays, d'où vient que depuis tant de siècles nous avons la douceur de posséder des rois d'origine franque, et que les royalistes appellent leurs rois de droit divin.

      – Dis donc de droit cosaque!.. Merci du cadeau!

      – Les chefs se nommaient des ducs, des comtes; la graine s'en est également perpétuée chez nous, d'où vient encore que nous avons eu pendant si longtemps l'agrément de posséder une noblesse d'origine franque, qui nous traitait en race conquise.

      – Qu'est-ce que tu m'apprends-là! – dit le bonhomme avec ébahissement. – Donc, si je te comprends bien, mon garçon, ces bandits francs, ces cosaques, rois et chefs, une fois maîtres de la Gaule, se sont partagé les terres que les Gaulois avaient en partie reconquises sur les Romains?

      – Oui, grand-père; les rois et seigneurs francs ont volé les propriétés des Gaulois, et se sont partagé terres et gens comme on se partage un domaine et son bétail.

      – Et nos pères ainsi dépouillés de leurs biens par ces cosaques?

      – Nos pères ont été de nouveau réduits à l'esclavage comme sous les Romains, et forcés de cultiver pour les rois et les seigneurs francs la terre qui leur avait appartenu, à eux Gaulois, depuis que la Gaule était la Gaule.

      – De sorte, mon garçon, que les rois et seigneurs francs, après avoir volé à nos pères leur propriété, vivaient de leurs sueurs…

      – Oui, grand-père; ils les vendaient, hommes, femmes, enfants, jeunes filles, au marché. S'ils regimbaient au travail, ils les fouaillaient comme on fouaille un animal rétif, ou bien les tuaient par colère ou cruauté, de même que l'on peut tuer son chien ou son cheval; car nos pères et nos mères appartenaient aux rois et aux seigneurs francs ni plus ni moins que le troupeau appartient à son maître; le tout au nom du Franc conquérant du Gaulois8. Ceci a duré jusqu'à la révolution que vous avez vue, grand-père; et vous vous rappelez la différence énorme qu'il y avait encore à cette époque entre un noble et un roturier, entre un seigneur et un manant.

      – Parbleu… la différence du maître à l'esclave.

      – Ou, si vous l'aimez mieux, du Franc au Gaulois, grand-père.

      – Mais, c'est-à-dire, – s'écria le vieillard, – que je ne suis plus du tout, mais du tout, fier d'être Français… Mais, nom d'un petit bonhomme, comment se fait-il que nos pères les Gaulois se sont ainsi laissé martyriser par une poignée de Francs, non… de cosaques, pendant des siècles?

      – Ah! grand-père! ces Francs possédaient la terre qu'ils avaient volée; donc, ils possédaient la richesse. L'armée, très-nombreuse, se composait de leurs bandes impitoyables; puis, à demi épuisés par leur longue lutte contre les Romains, nos pères eurent bientôt à subir une terrible influence: celle des prêtres…

      – Il ne leur manquait plus que cela pour les achever!

      – À leur honte éternelle, la plupart des évêques gaulois ont, dès la conquête, renié leur pays et fait cause commune avec les rois et les seigneurs francs, qu'ils ont bientôt dominés par la ruse et la flatterie, et dont ils ont tiré le plus de terre et le plus d'argent possible. Aussi, de même que les conquérants, grand nombre de ces saints prêtres, ayant des serfs qu'ils vendaient et exploitaient, vivaient dans la plus horrible débauche, dégradaient, tyrannisaient, abrutissaient à plaisir les populations gauloises, leur prêchant la résignation, le respect, l'obéissance envers les Francs, menaçant du СКАЧАТЬ



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C'est surtout pour nos frères du peuple et de la bourgeoisie que nous écrivons cette histoire sous une forme que nous tâchons de rendre amusante. Nous les supplions donc de lire ces notes, qui sont, pour ainsi dire, la clef de ces récits et qui prouvent que sous la forme romanesque se trouve la réalité historique la plus absolue.

Voici quelques extraits des historiens anciens et modernes qui établissent, quoique à différents points de vue, qu'il y a toujours eu parmi nous deux races: les conquérants et les conquis.

Une chronique de 1119, citée dans l'excellent ouvrage d'Augustin Thierry (Hist. des Temps mérovingiens, v. I, p. 47), s'exprime ainsi en parlant de la Gaule:

«De là vient qu'aujourd'hui cette nation appelle Francs dans sa langue ceux qui jouissent d'une pleine liberté; et quant à ceux qui, parmi elle, vivent dans la condition de tributaires, il est clair qu'ils ne sont pas Francs par droit d'origine, mais que ce sont des fils de Gaulois assujettis aux Francs par droit de conquête.»

Maître Charles Loyseau (Traité des charges de la Noblesse, 1701, p. 24), dit à son tour:

«Pour le regard de nos François, lorsqu'ils conquestèrent les Gaules, c'est chose certaine qu'ils se firent seigneurs des biens et des personnes d'icelles; j'entends seigneurs parfaits, tant en la seigneurie publique qu'en la seigneurie privée. Quant aux personnes, ils firent les Gaulois serfs.»

Plus tard, le comte de Boulainvilliers, un des plus fiers champions de l'aristocratie et de la royauté française, écrivait (Histoire de l'ancien gouvernement de France, p. 21 à 57, citée par A. Thierry):

«Les Français conquérants des Gaules y établirent leur gouvernement tout à fait à part de la nation subjuguée. Les Gaulois devinrent sujets, les Français furent maîtres et seigneurs. Depuis la conquête, les Français originaires ont été les véritables nobles et les seuls capables de l'être, et jouissaient à raison de cette noblesse d'avantages réels, qui étaient l'exemption de toutes charges pécuniaires, l'exercice de la justice sur les Gaulois, etc., etc.»

Plus tard encore, Sieyès, dans sa fameuse brochure: Qu'est-ce que le Tiers-État? qui sonna le premier coup de tocsin contre la royauté de 89, disait:

«Si les les aristocrates entreprennent, au prix même de cette liberté dont ils se montrent indignes, de retenir le peuple dans l'oppression, le tiers-état osera demander à quel titre; si on lui répond à titre de conquête, il faut en convenir ce sera remonter un peu haut; mais le tiers-état ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la Germanie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d'être issues de la race des conquérants, et d'avoir succédé à leurs droits de conquête? La nation épurée alors pourra se consoler, je pense, d'être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaules.»

Enfin, M. Guizot, sous la dernière année de la restauration, écrivait ces éloquentes paroles:

«La révolution de 89 a été une guerre, la vraie guerre, telle que le monde la connaît, entre peuples étrangers. Depuis plus de treize cents ans, la France contenait deux peuples: un peuple vainqueur et un peuple vaincu. Depuis plus de treize cents ans le peuple vaincu luttait pour secouer le joug du peuple vainqueur. Notre histoire est l'histoire de cette lutte. De nos jours une bataille décisive a été livrée; elle s'appelait la révolution. Francs et Gaulois, seigneurs et paysans, nobles et roturiers, tous, bien longtemps avant cette révolution, s'appelaient également Français, avaient également la France pour patrie. Treize siècles se sont employés parmi nous à fondre dans une même nation la race conquérante et la race conquise, les vainqueurs et les vaincus; mais la division primitive a traversé le cours des siècles et a résisté à leur action; la lutte a continué dans tous les âges, sous toutes les formes, avec toutes les armes; et lorsqu'on 1789, les députés de la France entière ont été réunis dans une seule assemblée, les deux peuples se sont hâtés de reprendre leur vieille querelle. Le jour de la vider était enfin venu.» (Guizot, Du Gouvernement de la France depuis la restauration, et du ministère actuel, 1829.)

Ce véhément appel aux souvenirs révolutionnaires avait pour but de prouver que, malgré la révolution de 89, la monarchie légitime de 1815 voulait, en 1829, renouveler l'oppression des conquérants sur les conquis, des Francs sur les Gaulois; car M. Guizot terminait en ces termes, en s'adressant aux contre-révolutionnaires:

«On sait d'où vous venez… c'en est assez pour savoir où vous allez…» Or, aujourd'hui 5 août 1849, jour où nous écrivons ces lignes, le parti prêtre et légitimiste espère encore nous traiter en peuple conquis en nous inféodant de nouveau au dernier rejeton de cette royauté de race franque, prétendue de droit divin. C'est curieux après les notes que nous venons de citer. – Nous laisserons-nous faire?