Название: Tamaris
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Dans une des parties encaissées de mon trajet, frappé de la brusque variété des zones de terrain fertiles ou désolées, je remarquai sur ma gauche une bastide si laide, que je me pris à rire. Dans ce pays du laid en fait de constructions, celle-ci devait remporter le prix; c'était une petite masse informe de bâtiments décrépits, plantée de travers et comme à demi enterrée au beau milieu d'un champ de blé: ni cour ni jardin; une façade sans entrée, soudée à un appendice complétement aveugle. En revanche, la façade avait quatre gros yeux carrés; mais, en regardant mieux, je reconnus que trois de ces fenêtres étaient peintes, et qu'une seule, fermée d'un volet, pouvait s'ouvrir.
Je ne sais pourquoi il est de ces gîtes insignifiants qu'on, prend en horreur rien qu'à les regarder de loin et à rêver qu'on pourrait être forcé par un accident d'y entrer et d'y mourir.
– En voici un, pensai-je, où je voudrais mourir vite par exemple! Quelle créature humaine abandonnée du ciel et des hommes peut donc s'être résignée à vivre là, et quel insensé a pu faire édifier à ses frais une pareille demeure?
Les Provençaux sont fiers de leurs bastides, parce qu'ils ont les matériaux à discrétion, et que leurs yeux ne sont jamais attristés par les chaumes moussus et les pignons pittoresques du vieux temps français. Depuis l'époque gallo-romaine, je crois qu'ils ont toujours dû bâtir à l'instar caricaturé des villas de la campagne de Rome. Il semble que le moyen âge et la renaissance n'aient point passé par là, et que, de temps immémorial, on ait gardé, en l'abêtissant de plus en plus, la tradition imposée par la conquête. On a perdu l'art des parties en relief. Il était plus facile et plus prompt de percer les ouvertures dans la muraille lisse, sans les rehausser par aucun filet en saillie. Soit: l'économie est une nécessité qui ne se discute pas; mais le goût est autre chose, et celui des Provençaux, toujours entiché de la tradition romaine de la décadence, s'est vengé de la pénurie de sculpture par une atroce peinture imitant de la façon la plus grossière les angles en pierre de taille, les cordons d'architecture en saillie, et les reliefs d'encadrement des ouvertures. De plus, comme on est sous le ciel de la couleur, il en faut mettre partout, et les maisons sont badigeonnées des tons les plus faux ou les plus criards. C'est beaucoup quand on s'en tient au jaune d'ocre sale, qui est le moins voyant et le moins prétentieux. Quant aux reliefs, sous prétexte d'imiter les marbres antiques, ils sont d'un vert désolé ou d'un rouge féroce. Dans l'horrible masure que j'avais sous les yeux, ils étaient vert-bouteille rehaussés d'un filet orange dont le soleil et la pluie, qui avaient tout rayé de noir inégalement, n'avaient encore pu atténuer l'aigre contraste.
Prétention et misère, c'est le caractère de toutes ces maisons; or, toute maison est comme le vêtement d'une pensée ou la révélation d'un instinct. – La Provence possède à profusion la plus belle pierre à bâtir qui existe, un calcaire gris ou bleuâtre qui a la finesse de grain et la densité du marbre. Les yeux indigènes ont horreur de ce beau produit de la nature. Il faut cacher et barbouiller cela. Il faut tâcher de faire croire aux Italiens qui passent en mer, le long des côtes, qu'on a comme eux des palais de marbre de toutes les couleurs. Aussi cette région, que la nature semble avoir mouvementée et plantée pour les délices des artistes, est-elle gâtée par une sorte de gale. On ne peut appeler autrement cette multitude de bâtisses ridicules qui lui sortent de partout, et qui semblent se disputer la gloire de grimacer et de clignoter d'une façon burlesque, en détruisant l'harmonie sévère de sa belle couleur, jusque dans les sites les plus sauvages. La bastide, épuisons ce sujet pour n'y plus revenir, a encore un agrément remarquable: c'est que, sous un ciel généralement pur et sur un sol désastreusement sec, elle est une éponge salpêtrée qui trouve moyen de ne jamais sécher. Les habitants prétendent que les pluies amenées par le vent d'est, et qui sont diluviennes, il faut le reconnaître, prennent les murs horizontalement et les pénètrent en vingt-quatre heures de part en part; mais, au lieu de bâtir à cette exposition une muraille épaisse et dense, ils imaginent toute sorte de revêtements ingénieux. Le moins laid est en tuiles imbriquées. Le plus atroce et le plus estimé est en goudron de navire. Imaginez l'agréable effet de ces maisons, dont la couleur voyante accuse les formes piètres et bâtardes, flanquées sur toute une face d'une immense tache d'encre! Pauvre charmant paysage, qu'as-tu donc fait à l'homme barbare de ces contrées?
Au reste, le site, qu'achevait d'enlaidir la bastide aux trois yeux crevés, la bastide cyclope que j'avais devant moi, était d'une tristesse navrante. Deschamps maigres où l'on ne connaît pas le bluet, et que n'égayait pas encore la fleur du glaïeul pourpré des moissons; au delà des champs, les pentes pierreuses de la colline, l'horizon fermé par une ligne symétrique d'oliviers blafards et par la masse carrée du fort Napoléon: il y avait là de quoi mourir du spleen en vingt-quatre heures. Tout à coup l'idée me vint que ce maussade terrain pourrait bien être le mien, la cause de mon séjour forcé dans un pays où je n'avais rien autre chose à faire que de m'en défaire. Qui me l'eût demandé en ce moment eût pu l'avoir à bon marché; mais non, la dot de ma pauvre petite sœur! Voyons ce que cela peut être.
Je pris une espèce de chemin à demi perdu sous les sillons et obstinément disputé à la charrue par les lentisques, et je cherchai une entrée. Il n'y avait pas de clôture à la petite cour infecte placée derrière la maison; le pays nourrit très-peu de bestiaux; donc il manque d'engrais, et, ne voyant point là de fumiers, je cherchais la cause de cette insupportable odeur. Des grognements sourds me firent remarquer que j'étais sur une espèce de pont à fleur de terre, et qu'une demi-douzaine de porcs engraissaient dans les silos abjects creusés sous mes pieds. C'est l'usage du pays; ces misérables bêtes ne sortent de là que pour mourir. On ne nettoie guère leur bauge qu'une fois l'an, pour prendre le fumier à la saison du labour. Un médecin ne voit pas sans en être indigné ces foyers de pestilence auprès des habitations.
Sauf la présence de ces animaux et de quelques poules criardes, j'aurais cru la bastide abandonnée. Les petits bâtiments, dégradés et lézardés, tombaient en ruine. Le châssis sans vitres de ce qui pouvait avoir été la fenêtre du fermier pendait le long du mur, à une corde fatiguée de le disputer au vent d'est. Il y avait pourtant derrière le logis principal une espèce de jardin, quelques légumes dans un carré de cyprès. Le cyprès pyramidal est encore une des grâces de la bastide: on en plante une haie serrée qui forme péristyle devant les fenêtres, cache la vue, et jette dans les chambres basses une ombre de cimetière. J'avisai une porte entre-bâillée, je frappai: rien ne répondit. Je voulais simplement demander le nom de l'habitation, et j'allais y renoncer, lorsque je vis, au fond du couloir sombre, une vieille femme assise par terre et courbée dans l'attitude du sommeil. J'élevai la voix en l'appelant madame; elle se leva, comme en colère, en grommelant qu'elle n'était pas madame, et, quand elle fut dans le rayon de jour que projetait la porte entr'ouverte, je vis que c'était une négresse d'un âge très-avancé et vraiment hideuse.
– Moi madame donc aujourd'hui? dit-elle d'un ton grondeur. Vous plus aimer personne ici donc? Vous méchant de plus jamais venir! Maîtresse toujours pleurer!
En me tenant cet étrange discours, la vieille Africaine, presque aveugle, marchait devant moi vers un horrible escalier noir.
– Vous vous trompez sûrement, lui dis-je. Je ne connais personne ici; je suis un passant qui vient vous demander le nom…
Elle ne me laissa pas achever, et, donnant les signes de la plus grande terreur, elle fit entendre des cris inarticulés. Ne pouvant lui faire comprendre que je n'étais pas un voleur, j'allais me retirer, lorsqu'un petit chien furieux, s'élançant par l'escalier, vint ajouter au ridicule de la scène.
– Qu'est-ce qu'il y a donc? cria d'en haut une voix dont le timbre doux et voilé contrastait avec СКАЧАТЬ