Название: La coucaratcha. I
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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J'obéis machinalement, et bien m'en prit, car à peine cette manœuvre était-elle exécutée, que le vent souffla du N. – E. avec une furieuse violence; le jour baissa tout-à-coup, et la mer devint horrible…
Nous passâmes la nuit sur le pont, et au point du jour, le temps étant par trop forcé, nous relâchâmes au Hâvre…
Quand nous fûmes mouillés, Ulrik entra dans ma chambre, où je m'étais retiré pour prendre un peu de repos…
– Capitaine, me dit-il, je vous quitte.
– Tu me quittes, et pourquoi?
– Je ne puis vous le dire… mais il le faut… pour vous…
– Non, pardieu!.. tu m'es trop utile… Où trouverai-je un maître comme toi?.. Du tout, tu resteras… et j'augmenterai ta paye…
– Alors je déserterai…
– Non, car je te consignerai à bord, dans ta chambre, et je te mettrai aux fers, s'il le faut…
– Vous le voulez donc?.. A la bonne heure… Vous verrez…
Et en prononçant ces mots, ses grands yeux gris prirent une singulière expression de pitié…
Mais le lendemain de cette entrevue, je ne sais pourquoi de sourdes rumeurs circulèrent dans mon équipage…
– C'est ce chien de Croque-Mort qui nous porte malheur, disaient les uns…
– Avec un b… comme ça à bord, c'est à y laisser sa peau…
Dès longtemps je connaissais la singulière superstition des matelots, qui attribuaient tous les événements pénibles de la navigation à un seul, espèce de bouc d'Israël qui était responsable de tout ce qui pouvait arriver de fâcheux; je fis en conséquence donner quarante bons coups de cordes à chacun des deux meneurs qui avaient propagé ces idées stupides, et j'enfermai Ulrik dans sa chambre; puis je fis mettre à la voile le jour même, car la brise avait molli.
Nous sortîmes du Hâvre le 26, avec un bon vent qui nous éloigna bientôt du rivage. Une fois au large, je rendis la liberté à Ulrik.
– On a donc tanné le cuir à quelqu'un, capitaine? me demanda-t-il.
– Un peu, à deux chiens… qui t'indiquaient à l'équipage comme cause du mauvais temps, comme si ton souffle faisait grossir la mer, crever les voiles ou craquer les mâts!..
– Peut-être, dit-il sourdement.
Je haussai les épaules, et laissai mon pauvre maître, que je crus timbré.
Par une inexplicable fatalité, à la hauteur des îles de Palme et de Fer (Canaries), comme je faisais gouverner dans l'espoir de prendre connaissance de l'île Saint-Antoine, le temps se chargea de grains, la brise se fit, il venta grand frais, et la tempête devint bientôt si violente, que dans une bourrasque mon petit mât d'hune et mon bâton de foc furent emportés.
Alors une affreuse idée s'empara de l'équipage, consterné de cette perte, et les matelots s'avancèrent vers moi en poussant avec un horrible accent de rage ces cris frénétiques: A la mer! à la mer le Croque-Mort!.. il est cause de tout…
Je frémis… et regardais Ulrik. Pour la première fois, je le vis sourire… mais quel sourire, mon Dieu!
Infâmes! m'écriai-je en m'armant d'un anspec, je vous assommerai comme des chiens si vous faites un seul pas.
– A la mer… à la mer!.. Nous ne voulons pas sombrer pour lui… A la mer!..
Ils s'approchèrent encore. Je me jetai au-devant d'Ulrik, qui me dit: – Laissez-les faire: C'est écrit:
– Laisser commettre un assassinat de sang-froid!.. Non, non… Descends dans ma chambre, tu y trouveras mes pistolets; tu remonteras avec… En attendant, je vais les maintenir…
Et ce disant, je tournai rapidement mon anspec en m'avançant vers eux.
– Pardon, capitaine… mais le Croque-Mort y passera dit l'un d'eux…
– Oui, oui, il y passera, répétèrent-ils avec fureur.
Et leurs cris dominaient le sifflement de la tempête.
Au même instant, un nœud d'agui me fut lancé; je tombai sur le pont, et fus garrotté en un moment… J'écumais de rage en voyant Ulrik calme, les attendre impassible…
– A son tour maintenant, cria le maître voilier, homme d'une taille énorme, en s'avançant vers Ulrik.
En ce moment, la tempête était si furieuse, que le navire donna un violent coup de roulis, et presque tous les matelots roulèrent sur le pont.
– Profite de l'embellie! criai-je à Ulrik… A ma chambre!..
Mais lui, s'élançant après les haubans d'artimon, fut d'un bond sur la lisse du navire.
– Je devrais, cria-t-il aux matelots, qui se relevèrent blasphémant; je devrais vous laisser commettre un crime inutile, car ma mort ne peut vous sauver que si elle est volontaire… Ce n'est pas pour vous, mais pour le capitaine, car il a une mère… une mère! répéta-t-il avec un affreux grincement de dents.
Et il secouait les cordages avec fureur.
Je vivrais, je crois, cent ans, que je n'oublierai jamais ce sombre tableau. Je le vois encore, lui Ulrik, cramponné aux haubans, les cheveux flottants, sa pâle figure qui se détachait blanche sur le gris foncé du ciel, ses yeux flamboyants et les hideuses contorsions de sa bouche hurlant le mot… mère…
L'équipage resta pétrifié, comme fasciné par cette résolution inconcevable; resta immobile, le regard fixe, attachant sur Ulrik des yeux hagards.
– Adieu donc, capitaine…
Ce furent ses dernières paroles, car il disparut.
– Hourra… hourra, vilain Croque-Mort! cria l'équipage en frappant des mains.
On vint poliment me dégager de mes liens.
Je croyais rêver.
Le timonnier qui tenait la barre, fut renversé par un coup de mer, le navire vint au vent, et nous faillîmes engager. Cette violente secousse et cet effroyable péril me firent revenir à moi… Je me précipitai sur la barre; et j'y restai… commandant la manœuvre de ce poste, car le temps pressait.
– Vous voyez, chiens, leur criai-je, que le ciel vous punit de votre atroce forfait… La mort de ce malheureux fait-elle cesser la tempête? Elle augmente au contraire, elle augmente… Malédiction!.. Dans une heure peut-être, nous irons le rejoindre… lui…
L'équipage fut un peu démoralisé; quelques-uns baissèrent la tête, lorsque l'infernal voilier reparut au grand panneau, portant un coffre…
– Va donc dans le même tombeau que ton maître le Croque-Mort! et que le bon Dieu nous laisse en repos, car nous n'avons plus rien à ce matelot de l'enfer.
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