Название: La coucaratcha. I
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
Pourrai-je maintenant répondre à l'un des critiques les plus éclairés de notre époque, qui, tout en m'encourageant avec éloge à suivre la voie que j'ai tracée le premier, – m'a reproché de n'avoir jusqu'ici rien publié d'historique. – Je crois avoir dit quelque part – qu'avant de faire mouvoir mes personnages au milieu d'évènements historiques, j'avais voulu d'abord familiariser les lecteurs avec l'étrangeté de leurs mœurs et de leur langage.
– J'ose considérer cette première partie de ma tâche comme à peu près remplie. – Aussi m'occupai-je en ce moment d'une de nos phases maritimes les plus glorieuses et peut-être les moins connues par leurs résultats inespérés: – Je veux parler de notre guerre dans l'Inde en 1780, – sous les ordres du bailli de Suffren. – Tel sera du moins le sujet de la Tour de Koat-Ven, roman historique qui, je crois, paraîtra, bien prochainement.
Et je ne mets cette sorte d'importance à me justifier de ce reproche, que parce que j'ai pressenti que notre Histoire nationale maritime renfermait des ressources inouïes pour le romancier, et qu'à la question purement littéraire se joindrait peut-être plus tard une question sociale et politique d'un ordre élevé, si l'on pouvait amener les masses à concevoir l'importance de la marine en France.
Et qu'on me permette de rappeler encore ici ce que j'ai dit ailleurs2.
«Ce que j'appelais de tous mes vœux est enfin arrivé. Une mine puissante et féconde est ouverte. – Peu m'importe qu'on oublie celui qui l'a signalée – si, habilement exploitée par ceux que j'ai précédés, mais qui me dépasseront sans doute, elle enrichit la France d'une littérature nouvelle.
«Aussi déjà cette impulsion commence, cette littérature maritime se crée, se forme; le cercle s'étend. – Déjà des revues nous ont donné des excellents mais trop rares extraits des livres que nous promettent MM. Jal, Raybaud, Gozlan, Romieu. Enfin M. de Lansac et M. Corbière du Hâvre nous ont aussi donné des ouvrages maritimes complets et remarquables.
« – Maintenant, en me voyant citer les noms d'écrivains aussi honorables, on comprendra et l'on excusera en moi, je l'espère, cette vanité de jeune homme, qui aime à compter les partisans qui se sont réunis à lui autour d'une bannière qu'il a plantée, – mais qu'il n'a jamais eu la prétention de porter.»
LE BONNET DE MAITRE ULRIK
C'était, je crois, en 1826, il me manquait un homme pour compléter mon équipage, et alors les matelots se recrutaient difficilement à Brest, car on armait beaucoup pour la marine militaire.
Un capitaine de frégate de mes amis m'enseigna l'auberge d'Yvon-Polard, un des plus grands embaucheurs de Recouvrance.
En vérité ce sont des gens fort utiles que les embaucheurs, ils accueillent chez eux les matelots sans service et sans pain, les hébergent, les choyent, les engraissent, et vienne un capitaine cherchant un équipage, il s'entend avec l'embaucheur, choisit ses hommes, et paie généreusement leurs dettes à l'hôte sur les avances que chaque matelot doit recevoir au jour de l'embarquement.
C'est donc jusqu'à un certain point la traite des blancs.
Or, j'allai trouver Yvon-Polard, rue de la Souris, à son auberge du Chasse-Marée; la rue de la Souris est infecte, étroite et sombre, il faut descendre huit ou dix marches pour arriver dans la salle-basse de l'hôtellerie; et cette espèce de cave est tellement obscure, que sans le secours de quelques lampes de fer, on n'y verrait pas en plein midi.
Au bas de l'escalier un petit homme roux, trapu et manchot vint à moi, et me demanda civilement ce que je voulais; quand il le sut, il cligna des yeux, d'un geste me recommanda le silence, me prit la main, me fit traverser un couloir noir comme un four, et après quelques minutes de marche, je me trouvai dans une petite salle éclairée par un soupirail.
Alors Yvon Polard me dit à voix basse: «Mon officier, vous n'avez qu'à regarder et à écouter par cette fente… que vous voyez à cette cloison? il ne me reste que cinq culottes goudronées à placer; ils sont là à courir bon-bord; c'est l'histoire de rire en attendant de pousser au large. Vous pouvez les juger; ils vont tout-à-l'heure être saouls comme des soldats, et vous savez, mon officier, qu'alors on se déboutonne, qu'on fait voir sous quelle aire de vent on a l'habitude de naviguer. Vous ferez votre choix d'après ce que vous aurez vu, et nous nous entendrons pour le reste. Je vous laisse, mon officier.»
Je collai mon œil à la fente, et je vis les cinq matelots assis autour d'une table noire et grasse, éclairée par la lueur douteuse d'une lampe. Deux femmes envinées, l'œil brillant, les cheveux épars, à la voix rauque, leur versaient à boire: ils étaient ivres ou à peu près. Au bout de cinq minutes, deux tombèrent sous la table.
Ils restaient trois: un jeune garçon de vingt ans blond et frais comme une fille; le second était basanné, vigoureux, bien découplé, et pouvant avoir quarante ans; quant au troisième, je ne pus voir sa figure, car il tenait sa tête cachée dans ses mains.
– «Pour de vieux caïmans à peau salée, ils portent b… mal la voile, dit le jeune garçon en poussant dédaigneusement du pied le corps des deux matelots qui roulèrent sous les bancs… Allons, toi… la jambe de bois, verse;… verse donc cordieu; le gosier me démange…»
Il s'adressait à une des deux femmes qui avait effectivement une jambe de bois…
Il vida prestement son verre, et continua, après s'être essuyé la bouche au revers de sa manche; et s'adressant à son compagnon basanné…
– Est-ce que tu es aussi à la cape… toi, Pierre? Eh! mon matelot…
– Non, dit l'autre en baisant bruyamment les joues marbrées de sa compagne, qui rajustait sa coiffe… Mais je pense que nous filons notre câble d'une drôle de manière… et que si nous trouvons à embarquer, il nous restera de nos avances à peu près de quoi mettre dans l'œil d'un marsouin, et encore ça ne le fera pas loucher…
– Bah, bah!.. on embarque ici et au premier port étranger on prend de l'air; on s'arrange avec un autre navire… et en chasse… sabordé le capitaine… comme nous avons fait à Saint-Thomas; tu sais bien… heim!.. matelot?..
– Je le sais si bien que nous avons gagné quarante gourdes au change; que le capitaine a été obligé de prendre deux nègres pour nous remplacer, et qu'ils ont si bêtement manœuvré pendant un grain, que la Petite Nanette a chaviré au débouquement, et que le capitaine a été noyé…
– C'est sacredieu vrai, dit l'autre avec un éclat de rire; noyé comme un chien, noyé… aussi vrai que nous sommes aujourd'hui le 13 octobre, et que j'ai donné ma dernière gourde à ma mère!..
Je pensai intérieurement que ni l'un ni l'autre de ces deux compagnons ne mettrait jamais le pied sur mon navire. J'allais me retirer, fort peu satisfait de ma visite à Yvon-Polard, lorsque le marin qui n'avait dit mot jusque-là, leva vivement sa tête d'entre ses deux mains, et s'écria avec un accent indéfinissable:
– Qui parle ici et du 13 octobre et de mère?..
Ce fut alors un hourra général, et des éclats de rire retentirent dans la chambre.
– Enfin, СКАЧАТЬ
2
Préface de la 4e édition de Plik et Plok.