Merci de votre bon souvenir pour Marie. Elle est à Nohant en attendant que Maurice et sa femme s'installent par ici. C'est à eux qu'en ce moment elle est nécessaire.
Bonsoir, chers enfants. Que le malheur s'arrête donc et que la santé, le courage et l'affection soient avec vous.
À vous de coeur.
DLXXII
A M. BERTON PÈRE, A PARIS
Palaiseau, septembre 1861.
Mon cher enfant, J'étais tellement commandée par l'heure du chemin de fer, ce matin, que je n'ai pas fait retourner mon fiacre pour courir après vous. J'aurais pourtant voulu vous serrer la main et vous dire mille choses que je n'ai pu vous écrire. D'abord M. de la Rounat avait complètement disparu dans ses villégiatures de l'été, et je n'ai pu avoir de lui un mot d'explication. Ensuite un cruel malheur m'a frappée. Mon fils a perdu son enfant. J'ai été dans le Midi, et puis en Berry. J'ai pensé à Villemer et revu La Rounat presque à la veille de la reprise, que je ne croyais pas si prochaine. J'ai eu enfin le récit de ses péripéties à propos de vous, et je l'ai eu trop tard pour rien changer à ses résolutions, puisque vous étiez en pleine Sonora19 et qu'il faisait répéter M. Brindeau. Le résultat final, c'est que M. Brindeau a très bien joué; mais ce n'était pas une préoccupation égoïste qui me faisait réclamer la connaissance des faits antérieurs à son engagement. Je tenais bien plutôt à ne pas avoir été, à mon insu, prise pour complice d'une infidélité envers vous, à qui nous avons dû un si beau succès. Après beaucoup de détails trop longs à retrouver, La Rounat m'a donné sa parole d'honneur qu'au moment où il avait engagé Brindeau, M. Harmant lui avait absolument refusé de vous rendre votre liberté, en lui démontrant par a plus b que cela était impossible.
J'ai cette affirmation depuis si peu de temps, que je n'ai pu vous l'écrire. Elle était, d'ailleurs, assez inutile. Ce à quoi je tenais, c'est à vous dire qu'on avait tout fait sans me consulter et sans me mettre à même de vous dire mes regrets et mes remerciements. Mais vous n'avez pas douté de moi, j'espère, dans tout cela, et je compte bien que nous livrerons encore ensemble quelque sérieuse bataille. Merci de tout coeur pour la dernière, et, quand vous aurez une matinée à perdre, venez (en me prévenant toutefois un jour d'avance) me voir à Palaiseau. Vous me ferez un vrai plaisir.
A vous,
G. SAND.
DLXXIII
M. LUDRE-GABILLAUD, A LA CHÂTRE
Palaiseau, octobre 1864.
Cher ami, Je vous réponds tout de suite pour le conseil que Maurice vous demande. Du moment qu'ils ont franchi courageusement cette grande tristesse de revenir seuls à Nohant, ce qu'ils feront de mieux, ces chers enfants, c'est d'y vivre, tout en se réservant un pied-à-terre à Paris, où ils pourront aller de temps en temps se distraire. S'ils organisent bien leur petit système d'économie domestique, ils pourront aussi faire de petites excursions en Savoie, en Auvergne et même en Italie. Tout cela peut et doit faire une vie agréable; car j'irai les voir à Nohant, et il faut espérer qu'il y aura bientôt une chère compagnie: celle d'un nouvel enfant. Il n'en est pas question; mais, quand leurs esprits seront bien rassis, j'espère qu'on nous fera cette bonne surprise. Alors il y aura nécessairement deux ans à rester sédentaire pour la jeune femme; où sera-t-elle mieux qu'à Nohant pour élever son petit monde?
Je vois bien maintenant, d'après leur incertitude, leurs besoins de bien-être, leurs projets toujours inconciliables avec les nécessités et les dépenses de la vie actuelle, qu'ils ne sauront s'installer, comme il faut, nulle part. Ils peuvent être si bien chez nous, en réduisant la vie de Nohant à des proportions modérées et avec le surcroît de revenu que je leur laisse! Si mes arrangements avec les domestiques ne leur conviennent pas, ils seront libres, l'année prochaine, de m'en proposer d'autres et je voudrai ce qu'ils voudront. Qu'ils tâtent le terrain, et, à la prochaine Saint-Jean, ils sauront à quoi s'en tenir sur leur situation intérieure. Après moi, ils auront, non pas les ressources journalières que peut me créer mon travail quand je me porte bien, mais le produit de tous mes travaux; ce qui augmentera beaucoup leur aisance, et, comme ils n'ont pas à se préoccuper de l'avenir, ils peuvent dépenser leurs revenus sans inquiétude.
Je sais qu'il y a pour Maurice un grand chagrin de coeur et un grand mécompte d'habitudes à ne m'avoir pas toujours sous sa main pour songer à tout, à sa place. Mais il est temps pour lui de se charger de sa propre existence, et le devoir de sa femme est d'avoir, de la tête et de me remplacer. N'est-ce pas avec elle qu'il doit vieillir, et comptait-il, le pauvre enfant, que je durerais autant que lui?
Attirez leur attention et provoquez leur conviction sur cette idée, que, pour que je meure en paix, il faut que je les voie prendre les rênes et mener leur attelage. Ce qui était n'était pas bien, puisqu'ils n'en étaient pas contents et qu'ils m'en faisaient souvent l'observation. J'ai changé les choses autant que j'ai pu dans leur intérêt, et je suis toujours là, prête à modifier selon leur désir, mais à la condition que je n'aurai plus la responsabilité de ce qui ne réalisera pas un idéal qui n'est point de ce monde.
Je m'en remets à votre sagesse et aussi à votre adresse de coeur délicat pour calmer ces chers êtres, que vous aimez aussi paternellement, et pour les rassurer sur mes sentiments, qui sont toujours aussi tendres pour eux.
A vous de coeur, cher ami. Quand venez-vous à Paris? Prévenez-moi dès à présent, si vous pouvez; car, toutes affaires cessantes, je veux vous voir à Palaiseau et ne pas me croiser avec vous.
Tendresses à votre femme. Parlez-moi d'Antoine, que j'embrasse de tout mon coeur.
G. SAND.
DLXXIV
A MAURICE SAND, A NOHANT
Palaiseau, 24 octobre 1864.
Cher enfant, Voilà la pluie, et, si elle dure quelques jours, j'interromprai mes plantations et j'irai vous embrasser.
J'aurais mieux aimé les finir et rester plus longtemps avec vous.
Si tu as la tête cassée de chercher, je t'offre la pareille; car j'essaye de tirer une pièce, soit de Germandre pour le Vaudeville, soit de Mont-Revêche pour l'Odéon, et je vas de l'une à l'autre, écrivant, effaçant, sans savoir encore par laquelle je commencerai; et peut-être, en somme, ne ferai-je ni l'une ni l'autre. Ce sont des douleurs d'enfantement, et il faut-bien passer par là. Si on n'en sort pas vite, il faut se secouer, aller faire une bonne promenade, et, s'il pleut, lire un ouvrage de science qui vous arrache tout à fait à la fatigue du cerveau; car il ne faut pas commencer fatigué.
Voilà mon hygiène, et je sors de ces crises habituellement avec succès ou du moins avec plaisir. Quelquefois aussi, après plusieurs essais pour s'en distraire et s'y remettre, on reconnaît que le sujet ne vaut rien ou qu'on n'est pas propre à s'en servir. On y renonce. On a perdu du temps, c'est vrai; mais il n'est pas perdu, en ce sens qu'on a réguisé l'instrument cérébral qui sert à composer, et il fonctionne mieux ensuite pour un autre sujet. Rappelle-toi qu'avant de faire Raoul, tu voulais faire le Déluge. J'ai bien commencé cent romans que j'ai abandonnés; et ça ne doit pas décourager, à moins qu'on СКАЧАТЬ
19
Berton venait de jouer