Название: Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs
Автор: François Fénelon
Издательство: Public Domain
Жанр: Историческая литература
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Cette aventure parut comme un songe à tous ceux qui me devaient la conservation de leur vie; ils me regardaient avec étonnement. Nous arrivâmes dans l'île de Chypre22 au mois du printemps qui est consacré à Vénus. Cette saison, disent les Chypriens, convient à cette déesse; car elle semble ranimer toute la nature, et faire naître les plaisirs comme les fleurs.
En arrivant dans l'île, je sentis un air doux qui rendait les corps lâches et paresseux, mais qui inspirait une humeur enjouée et folâtre. Je remarquai que la campagne, naturellement fertile et agréable, était presque inculte, tant les habitants étaient ennemis du travail. Je vis de tous côtés des femmes et des jeunes filles, vainement parées, qui allaient, en chantant les louanges de Vénus, se dévouer à son temple. La beauté, les grâces, la joie, les plaisirs éclataient également sur leurs visages: mais les grâces y étaient affectées; on n'y voyait point une noble simplicité et une pudeur aimable, qui fait le plus grand charme de la beauté. L'air de mollesse, l'art de composer leurs visages, leur parure vaine, leur démarche languissante, leurs regards qui semblaient chercher ceux des hommes, leur jalousie entre elles pour allumer de grandes passions; en un mot, tout ce que je voyais dans ces femmes me semblait vil et méprisable: à force de vouloir plaire, elles me dégoûtaient.
On me conduisit au temple de la déesse: elle en a plusieurs dans cette île, car elle est particulièrement adorée à Cythère23, à Idalie, et à Paphos. C'est à Cythère que je fus conduit. Le temple est tout de marbre: c'est un parfait péristyle; les colonnes sont d'une grosseur et d'une hauteur qui rendent cet édifice très-majestueux; au-dessus de l'architrave et de la frise sont à chaque face de grands frontons où l'on voit en bas-relief toutes les plus agréables aventures de la déesse. A la porte du temple est sans cesse une foule de peuples qui viennent faire leurs offrandes. On n'égorge jamais dans l'enceinte du lieu sacré aucune victime; on n'y brûle point, comme ailleurs, la graisse des génisses et des taureaux; on ne répand jamais leur sang: on présente seulement devant l'autel les bêtes qu'on offre, et on n'en peut offrir aucune qui ne soit jeune, blanche, sans défaut et sans tache. On les couvre de bandelettes de pourpre brodées d'or; leurs cornes sont dorées, et ornées de bouquets des fleurs les plus odoriférantes. Après qu'elles ont été présentées devant l'autel, on les renvoie dans un lieu écarté, où elles sont égorgées pour les festins des prêtres de la déesse.
On offre aussi toute sorte de liqueurs parfumées, et du vin plus doux que le nectar. Les prêtres sont revêtus de longues robes blanches, avec des ceintures d'or, et des franges de même au bas de leurs robes. On brûle nuit et jour, sur les autels, les parfums les plus exquis de l'Orient, et ils forment une espèce de nuage qui monte vers le ciel. Toutes les colonnes du temple sont ornées de festons pendants; tous les vases qui servent aux sacrifices sont d'or; un bois sacré de myrtes environne le bâtiment. Il n'y a que de jeunes garçons et de jeunes filles d'une rare beauté qui puissent présenter les victimes aux prêtres, et qui osent allumer le feu des autels. Mais l'impudence et la dissolution déshonorent un temple si magnifique.
D'abord, j'eus horreur de tout ce que je voyais; mais insensiblement je commençais à m'y accoutumer. Le vice ne m'effrayait plus; toutes les compagnies m'inspiraient je ne sais quelle inclination pour le désordre: on se moquait de mon innocence; ma retenue et ma pudeur servaient de jouet à ces peuples effrontés. On n'oubliait rien pour exciter toutes mes passions, pour me tendre des pièges, et pour réveiller en moi le goût des plaisirs. Je me sentais affaiblir tous les jours; la bonne éducation que j'avais reçue ne me soutenait presque plus; toutes mes bonnes résolutions s'évanouissaient. Je ne me sentais plus la force de résister au mal qui me pressait de tous côtés; j'avais même une mauvaise honte de la vertu. J'étais comme un homme qui nage dans une rivière profonde et rapide: d'abord il fend les eaux, et remonte contre le torrent; mais si les bords sont escarpés, et s'il ne peut se reposer sur le rivage, il se lasse enfin peu à peu; sa force l'abandonne, ses membres épuisés s'engourdissent, et le cours du fleuve l'entraîne*. Ainsi, mes yeux commençaient à s'obscurcir, mon cœur tombait en défaillance; je ne pouvais plus rappeler ni ma raison ni le souvenir des vertus de mon père. Le songe où je croyais avoir vu le sage Mentor descendu aux Champs-Élysées achevait de me décourager: une secrète et douce langueur s'emparait de moi; j'aimais déjà le poison flatteur qui se glissait de veine en veine, et qui pénétrait jusqu'à la moelle de mes os. Je poussais néanmoins encore de profonds soupirs; je versais des larmes amères; je rougissais comme un lion, dans ma fureur. O malheureuse jeunesse! disais-je: ô dieux, qui vous jouez cruellement des hommes, pourquoi les faites-vous passer par cet âge, qui est un temps de folie et de fièvre ardente! O que ne suis-je couvert de cheveux blancs, courbé et proche du tombeau, comme Laërte mon aïeul! La mort me serait plus douce que la faiblesse honteuse où je me vois.
A peine avais-je ainsi parlé que ma douleur s'adoucissait, et que mon cœur, enivré d'une folle passion, secouait presque toute pudeur; puis je me voyais replongé dans un abîme de remords. Pendant ce trouble, je courais errant ça et là dans le sacré bocage, semblable à une biche qu'un chasseur a blessée: elle court au travers des vastes forêts pour soulager sa douleur; mais la flèche qui l'a percée dans le flanc la suit partout; elle porte partout avec elle le trait meurtrier*. Ainsi je courais en vain pour m'oublier moi-même et rien n'adoucissait la plaie de mon cœur.
En ce moment, j'aperçus assez loin de moi, dans l'ombre épaisse de ce bois, la figure du sage Mentor; mais son visage me parut si pâle, si triste, si austère, que je ne pus en ressentir aucune joie. Est-ce donc vous, m'écriai-je, ô mon cher ami, mon unique espérance? est-ce vous? quoi donc! est-ce vous-même? une image trompeuse ne vient-elle point abuser mes yeux? est-ce vous, Mentor? n'est-ce point votre ombre encore sensible à mes maux? n'êtes-vous point au rang des âmes heureuses qui jouissent de leur vertu, et à qui les dieux donnent des plaisirs purs dans une éternelle paix aux Champs-Élysées? Parlez, Mentor; vivez-vous encore? Suis-je assez heureux pour vous posséder? ou bien n'est-ce qu'une ombre de mon ami? En disant ces paroles, je courais vers lui, tout transporté jusqu'à perdre la respiration; il m'attendait tranquillement sans faire un pas vers moi. O dieux, vous le savez, quelle fut ma joie quand je sentis que mes mains le touchaient! Non, ce n'est pas une vaine ombre! je le tiens! je l'embrasse, mon cher Mentor! C'est ainsi que je m'écriai. J'arrosai son visage d'un torrent de larmes; je demeurais attaché à son cou sans pouvoir parler. Il me regardait tristement avec des yeux pleins d'une tendre compassion.
Enfin je lui dis: Hélas! d'où venez-vous? en quels dangers ne m'avez-vous point laissé pendant votre absence! et que ferais-je maintenant sans vous? Mais sans répondre à mes questions: Fuyez! me dit-il d'un ton terrible: fuyez, hâtez-vous de fuir! Ici la terre ne porte pour fruit que du poison; l'air qu'on y respire est empesté; les hommes contagieux ne se parlent que pour se communiquer un venin mortel. La volupté lâche et infâme, qui est le plus horrible des maux sortis de la boîte de Pandore, amollit tous les cœurs, et ne souffre ici aucune vertu. Fuyez! que СКАЧАТЬ
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