Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs. François Fénelon
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Читать онлайн книгу Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs - François Fénelon страница 10

СКАЧАТЬ et où vous avez retrouvé le sage Mentor, dont vous aviez senti la perte avec tant de raison.

      Télémaque reprit ainsi son discours: Les Égyptiens les plus vertueux et les plus fidèles au roi, étant les plus faibles, et voyant le roi mort, furent contraints de céder aux autres: on établit un autre roi nommé Termutis. Les Phéniciens, avec les troupes de l'île de Chypre, se retirèrent après avoir fait alliance avec le nouveau roi. Celui-ci rendit tous les prisonniers phéniciens; je fus compté comme étant de ce nombre. On me fit sortir de la tour; je m'embarquai avec les autres, et l'espérance commença à reluire au fond de mon cœur. Un vent favorable remplissait déjà nos voiles*, les rameurs fendaient les ondes écumantes, la vaste mer était couverte de navires; les mariniers poussaient des cris de joie; les rivages d'Égypte s'enfuyaient loin de nous; les collines et les montagnes s'aplanissaient peu à peu. Nous commencions à ne voir plus que le ciel et l'eau*, pendant que le soleil, qui se levait, semblait faire sortir du sein de la mer ses feux étincelants: ses rayons doraient le sommet des montagnes* que nous découvrions encore un peu sur l'horizon; et tout le ciel, peint d'un sombre azur, nous promettait une heureuse navigation.

      Quoiqu'on m'eût renvoyé comme étant Phénicien, aucun des Phéniciens avec qui j'étais ne me connaissait. Narbal, qui commandait dans le vaisseau où l'on me mit, me demanda mon nom et ma patrie. De quelle ville de Phénicie êtes-vous? me dit-il. Je ne suis point de Phénicie, lui dis-je; mais les Égyptiens m'avaient pris sur la mer dans un vaisseau de Phénicie: j'ai demeuré longtemps captif en Égypte comme un Phénicien; c'est sous ce nom que j'ai longtemps souffert; c'est sous ce nom qu'on m'a délivré. De quel pays êtes-vous donc? reprit Narbal. Alors je lui parlai ainsi: Je suis Télémaque, fils d'Ulysse, roi d'Ithaque en Grèce. Mon père s'est rendu fameux entre tous les rois qui ont assiégé la ville de Troie: mais les dieux ne lui ont pas accordé de revoir sa patrie. Je l'ai cherché en plusieurs pays; la fortune me persécute comme lui: vous voyez un malheureux qui ne soupire qu'après le bonheur de retourner parmi les siens, et de trouver son père.

      Narbal me regardait avec étonnement, et il crut apercevoir en moi je ne sais quoi d'heureux qui vient des dons du ciel, et qui n'est point dans le commun des hommes. Il était naturellement sincère et généreux; il fut touché de mon malheur, et me parla avec une confiance que les dieux lui inspirèrent pour me sauver d'un grand péril.

      Télémaque, je ne doute point, me dit-il, de ce que vous me dites, et je ne saurais en douter; la douleur et la vertu peintes sur votre visage ne me permettent pas de me délier de vous: je sens même que les dieux, que j'ai toujours servis, vous aiment, et qu'ils veulent que je vous aime aussi comme si vous étiez mon fils. Je vous donnerai un conseil salutaire; et, pour récompense, je ne vous demande que le secret. Ne craignez point, lui dis-je, que j'aie aucune peine à me taire sur les choses que vous voudrez me confier: quoique je sois si jeune, j'ai déjà vieilli dans l'habitude de ne dire jamais mon secret, et encore plus de ne trahir jamais, sous aucun prétexte, le secret d'autrui. Comment avez-vous pu, me dit-il, vous accoutumer au secret dans une si grande jeunesse? Je serai ravi d'apprendre par quel moyen vous avez acquis cette qualité, qui est le fondement de la plus sage conduite, et sans laquelle tous les talents sont inutiles.

      Quand Ulysse, lui dis-je, partit pour aller au siège de Troie, il me prit sur ses genoux et entre ses bras (c'est ainsi qu'on me l'a raconté): après m'avoir baisé tendrement, il me dit ces paroles, quoique je ne pusse les entendre: O mon fils! que les dieux me préservent de te revoir jamais; que plutôt le ciseau de la Parque tranche le fil de tes jours lorsqu'il est à peine formé, de même que le moissonneur tranche de sa faux une tendre fleur qui commence à éclore; que mes ennemis te puissent écraser aux yeux de ta mère et aux miens, si tu dois un jour te corrompre et abandonner la vertu! O mes amis! continua-t-il, je vous laisse ce fils qui m'est si cher; ayez soin de son enfance: si vous m'aimez, éloignez de lui la pernicieuse flatterie; enseignez-lui à se vaincre; qu'il soit comme un jeune arbrisseau encore tendre, qu'on plie pour le redresser; Surtout n'oubliez rien pour le rendre juste, bienfaisant, sincère, et fidèle à garder un secret. Quiconque est capable de mentir est indigne d'être compté au nombre des hommes; et quiconque ne sait pas se taire est indigne de gouverner.

      Je vous rapporte ces paroles, parce qu'on a eu soin de me les répéter souvent, et qu'elles ont pénétré jusqu'au fond de mon cœur; je me les redis souvent à moi-même. Les amis de mon père eurent soin de m'exercer de bonne heure au secret: j'étais encore dans la plus tendre enfance, et ils me confiaient déjà toutes les peines qu'ils ressentaient, voyant ma mère exposée à un grand nombre de téméraires qui voulaient l'épouser. Ainsi on me traitait dès lors comme un homme raisonnable et sûr: on m'entretenait secrètement des plus grandes affaires; on m'instruisait de tout ce qu'on avait résolu pour écarter ces prétendants. J'étais ravi qu'on eût en moi cette confiance: par là je me croyais déjà un homme fait. Jamais je n'en ai abusé; jamais il ne m'a échappé une seule parole qui pût découvrir le moindre secret. Souvent les prétendants tâchaient de me faire parler, espérant qu'un enfant, qui pourrait avoir vu ou entendu quelque chose d'important, ne saurait pas se retenir; mais je savais bien leur répondre sans mentir, et sans leur apprendre ce que je ne devais pas dire.

      Alors Narbal me dit: Vous voyez, Télémaque, la puissance des Phéniciens; ils sont redoutables à toutes les nations voisines, par leurs innombrables vaisseaux: le commerce, qu'ils font jusques aux colonnes d'Hercule18, leur donne des richesses qui surpassent celles des peuples les plus florissants. Le grand roi Sésostris, qui n'aurait jamais pu les vaincre par mer, eut bien de la peine à les vaincre par terre, avec ses armées qui avaient conquis tout l'Orient; il nous imposa un tribut que nous n'avons pas longtemps payé: les Phéniciens se trouvaient trop riches et trop puissants pour porter patiemment le joug de la servitude; nous reprîmes notre liberté. La mort ne laissa pas à Sésostris le temps de finir la guerre contre nous. Il est vrai que nous avions tout à craindre de sa sagesse encore plus que de sa puissance: mais, sa puissance passant dans les mains de son fils, dépourvu de toute sagesse, nous conclûmes que nous n'avions plus rien à craindre. En effet, les Égyptiens, bien loin de rentrer les armes à la main dans notre pays pour nous subjuguer encore une fois, ont été contraints de nous appeler à leur secours pour les délivrer de ce roi impie et furieux. Nous avons été leurs libérateurs. Quelle gloire ajoutée à la liberté et à l'opulence des Phéniciens!

      Mais pendant que nous délivrons les autres, nous sommes esclaves nous-mêmes. O Télémaque, craignez de tomber dans les mains de Pygmalion, notre roi: il les a trempées, ces mains cruelles, dans le sang de Sichée, mari de Didon, sa sœur. Didon, pleine du désir de la vengeance, s'est sauvée de Tyr avec plusieurs vaisseaux. La plupart de ceux qui aiment la vertu et la liberté l'ont suivie: elle a fondé sur là côte d'Afrique une superbe ville qu'on nomme Carthage19. Pygmalion, tourmenté par une soif insatiable des richesses, se rend de plus en plus misérable et odieux à ses sujets. C'est un crime à Tyr que d'avoir de grands biens; l'avarice le rend défiant, soupçonneux, cruel; il persécute les riches, et il craint les pauvres. C'est un crime encore plus grand à Tyr d'avoir de la vertu; car Pygmalion suppose que les bons ne peuvent souffrir ses injustices et ses infamies: la vertu le condamne; il s'aigrit et s'irrite contre elle. Tout l'agite, l'inquiète, le ronge; il a peur de son ombre; il ne dort ni jour ni nuit: les dieux, pour le confondre, l'accablent de trésors dont il n'ose jouir. Ce qu'il cherche pour être heureux est précisément ce qui l'empêche de l'être. Il regrette tout ce qu'il donne, et craint toujours de perdre; il se tourmente pour gagner. On ne le voit presque jamais; il est seul, triste, abattu au fond de son palais; ses amis même n'osent l'aborder, de peur de lui devenir suspects. Une garde terrible tient toujours des épées nues et des piques levées autour de sa maison. Trente chambres qui communiquent les unes aux autres, et dont chacune a une porta de fer avec six gros verrous, sont le lieu où il se renferme; on ne sait jamais dans laquelle de ces chambres il couche, et on assure qu'il ne couche jamais deux nuits de suite dans la même, de peur d'y être égorgé. Il ne connaît ni les doux plaisirs, ni l'amitié encore plus douce; si on lui parle de chercher la joie, il sent qu'elle fuit loin de lui, et qu'elle refuse d'entrer СКАЧАТЬ



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Page 31. – 1. Le mont Abyla, en Afrique, et le mont Calpé, en Espagne, forment ce qu'on appelait les Colonnes d'Hercule. Ces deux monts, placés en face l'un de l'autre, et à la distance seulement de quelques milles, sont séparés par le détroit de Gibraltar.

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Page 32. – 1. Carthage fut, comme Tyr, comme Memphis, une des plus puissantes, des plus florissantes villes de l'antiquité. Elle avait conquis un vaste territoire dans les États actuels de Tunis et de Tripoli; elle possédait les îles Baléares, une grande partie de l'Espagne, de la Sardaigne, de la Sicile. Carthage fut détruite par Scipion Émilien. On voit encore quelques ruines de Carthage à 4 lieues de Tunis.