Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs. François Fénelon
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Читать онлайн книгу Les aventures de Télémaque suivies des aventures d'Aritonoüs - François Fénelon страница 17

СКАЧАТЬ Ce char semblait voler sur la surface des eaux paisibles*. Une troupe de nymphes couronnées de fleurs nageaient en foule derrière le char; leurs beaux cheveux pendaient sur leurs épaules et flottaient au gré du veut. La déesse tenait d'une main un sceptre d'or pour commander aux vagues, de l'autre elle portait sur ses genoux le petit dieu Palémon, son fils, pendant à sa mamelle. Elle avait un visage serein et une douce majesté qui faisait fuir les vents séditieux et toutes les noires tempêtes. Les Tritons conduisaient les chevaux, et tenaient les rênes dorées; une grande voile de pourpre flottait dans l'air au-dessus du char; elle était à demi enflée par le souffle d'une multitude de petits zéphyrs qui s'efforçaient de la pousser par leurs haleines. On voyait au milieu des airs Éole empressé, inquiet et ardent. Son visage ridé et chagrin, sa voix menaçante, ses sourcils épais et pendants, ses yeux pleins d'un feu sombre et austère, tenaient en silence les fiers aquilons et repoussaient tous les nuages. Les immenses baleines et tous les monstres marins, faisant avec leurs narines un flux et reflux de l'onde amère, sortaient à la hâte de leurs grottes profondes pour voir la déesse.

      LIVRE CINQUIÈME

SOMMAIRE

      Suite du récit de Télémaque. – Tableau de l'île de Crète. – Télémaque, à son arrivée dans l'île, apprend qu'Idoménée, qui en était le roi, vient de sacrifier son fils unique pour accomplir un vœu indiscret, et que les Crétois, voulant venger le fils immolé, ont forcé le père à quitter le pays; qu'après bien des incertitudes, ils se sont assemblés pour élire un roi nouveau. – Télémaque est admis dans cette assemblée; il y remporte le prix à divers jeux et résout avec une rare sagesse les questions proposées aux concurrents par les vieillards, juges de l'île. – La couronne de Crète est offerte à Télémaque qui la refuse. – On propose ensuite d'élire Mentor qui refuge aussi la royauté. – Enfin le choix du nouveau roi est laissé à Mentor qui propose Aristodème. – Celui-ci est proclamé roi. – Mentor et Télémaque s'embarquent pour Ithaque sur un vaisseau crétois. – Neptune suscite une horrible tempête qui brise leur vaisseau. – Télémaque et Mentor s'attachent aux débris du vaisseau et, poussés par les flots, abordent dans l'île de Calypso.

      Après que nous eûmes admiré ce spectacle, nous commençâmes à découvrir les montagnes de Crète24, que nous avions encore assez de peine à distinguer des nuées du ciel et des flots de la mer. Bientôt nous vîmes le sommet du mont Ida, qui s'élève au-dessus des autres montagnes de l'île, comme un vieux cerf dans une forêt porte son bois rameux au-dessus des têtes des jeunes faons dont il est suivi. Peu à peu nous vîmes plus distinctement les côtes de cette île, qui se présentaient à nos yeux comme un amphithéâtre. Autant que la terre de Chypre nous avait paru négligée et inculte, autant celle de Crète se montrait ornée de tous les fruits par le travail de ses habitants. De tous côtés, nous remarquions des villages bien bâtis, des bourgs qui égalaient des villes, et des villes superbes. Nous ne trouvions aucun champ où la main du diligent laboureur ne fût imprimée; partout la charrue avait laissé de creux sillons: les ronces, les épines, et toutes les plantes qui occupent inutilement la terre, sont inconnues en ce pays. Nous considérions avec plaisir les creux vallons où les troupeaux de bœufs mugissaient dans les gras herbages le long des ruisseaux; les moutons paissants sur le penchant d'une colline; les vastes campagnes couvertes de jaunes épis, riches dons de la féconde Cérès; enfin les montagnes ornées de pampre et de grappes d'un raisin déjà coloré qui promettait aux vendangeurs les doux présents de Bacchus, pour charmer les soucis des hommes.

      Mentor nous dit qu'il avait été autrefois en Crète, et il nous expliqua ce qu'il en connaissait. Cette île, disait-il, admirée de tous les étrangers, et fameuse par ses cent villes, nourrit sans peine tous ses habitants, quoiqu'ils soient innombrables*. C'est que la terre ne se lasse jamais de répandre ses biens sur ceux qui la cultivent*; son sein fécond ne peut s'épuiser. Plus il y a d'hommes dans un pays, pourvu qu'ils soient laborieux, plus ils jouissent de l'abondance. Ils n'ont jamais besoin d'être jaloux les uns des autres: la terre, cette bonne mère, multiplie ses dons selon le nombre de ses enfants qui méritent ses fruits par leur travail. L'ambition et l'avarice des hommes sont les seules sources de leur malheur: les hommes veulent tout avoir, et ils se rendent malheureux par le désir du superflu; s'ils voulaient vivre simplement, et se contenter de satisfaire aux vrais besoins, on verrait partout l'abondance, la joie, la paix et l'union.

      C'est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avait compris. Tout ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette île est le fruit de ses lois. L'éducation qu'il faisait donner aux enfants rend les corps sains et robustes: on les accoutume d'abord à une vie simple, frugale et laborieuse; on suppose que toute volupté amollit le corps et l'esprit; on ne leur propose jamais d'autre plaisir que celui d'être invincibles par la vertu, et d'acquérir beaucoup de gloire. On ne met pas seulement ici le courage à mépriser la mort dans les dangers de la guerre, mais encore à fouler aux pieds les trop grandes richesses et les plaisirs honteux. Ici on punit trois vices qui sont impunis chez les autres peuples: l'ingratitude, la dissimulation et l'avarice.

      Pour le faste et la mollesse, on n'a jamais besoin de les réprimer, car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne songe à s'y enrichir; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce et réglée, où l'on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à la vie. On n'y souffre ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis et sans broderie. Les repas y sont sobres; on y boit peu de vin: le bon pain en fait la principale partie, avec les fruits que les arbres offrent comme d'eux-mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on y mange un peu de grosse viande sans ragoût; encore même a-t-on soin de réserver ce qu'il y a de meilleur dans les grands troupeaux de bœufs pour faire fleurir l'agriculture. Les maisons y sont propres, commodes, riantes, mais sans ornements. La superbe architecture n'y est pas ignorée; mais elle est réservée pour les temples des dieux: et les hommes n'oseraient avoir des maisons semblables à celles des immortels. Les grands biens des Crétois sont la santé, la force, le courage, la paix et l'union des familles, la liberté de tous les citoyens, l'abondance des choses nécessaires, le mépris des superflues, l'habitude du travail et l'horreur de l'oisiveté, l'émulation pour la vertu la soumission aux lois, et la crainte des justes dieux.

      Je lui demandai en quoi consistait l'autorité du roi; et il me répondit: Il peut tout sur les peuples; mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu'il veut faire le mal. Les lois lui confient les peuples comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu'il sera le père de ses sujets. Elles veulent qu'un seul homme serve, par sa sagesse et par sa modération, à la félicité de tant d'hommes; et non pas que tant d'hommes servent, par leur misère et par leur servitude lâche, à flatter l'orgueil et la mollesse d'un seul homme. Le roi ne doit rien avoir au-dessus des autres, excepté ce qui est nécessaire, ou pour le soulager dans ses pénibles fonctions, ou pour imprimer aux peuples le respect de celui qui doit soutenir les lois. D'ailleurs, le roi doit être plus sobre, plus ennemi de la mollesse, plus exempt de faste et de hauteur, qu'aucun autre. Il ne doit point avoir plus de richesses et de plaisirs, mais plus de sagesse, de vertu et de gloire, que le reste des hommes. Il doit être au dehors le défenseur de la patrie, en commandant les armées; et au dedans, le juge des peuples, pour les rendre bons, sages et heureux. Ce n'est point pour lui-même que les dieux l'ont fait roi; il ne l'est que pour être l'homme des peuples: c'est aux peuples qu'il doit tout son temps, tous ses soins, toute son affection; et il n'est digne de la royauté qu'autant qu'il s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public. Minos n'a voulu que ses enfants régnassent après lui, qu'à condition qu'ils régneraient suivant ses maximes: il aimait encore plus son peuple que sa famille. C'est par une telle sagesse qu'il a rendu la Crète si puissante et si heureuse; c'est par cette modération qu'il a effacé la gloire de tous les conquérants qui veulent faire servir les peuples à leur propre grandeur, c'est-à-dire à leur vanité; enfin, c'est par sa justice qu'il a mérité d'être aux enfers le souverain juge des morts.

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Page 58. – 1. Crète, aujourd'hui Candie, grande île de la mer Méditerranée. La Crète renfermait autrefois cent villes, dit-on, entre lesquelles Gnosse, Cydon, Gortyne, etc.